le roman de Simone Wambeke

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20. Un Kashkoul*


Il faut marcher longtemps. Je m’essouffle. Des arbres emportés par le vent de droite à gauche, des désordres, des questions. Il n’y a pas d’enfants, il faut aller sur les petits sentiers perdus, pour trouver de la couleur, peut-être le bleu du ciel, et toujours le vent furieux. On dirait un monde silencieux, à peine un tintinnabulement de clochette, quelques conversations, de la musique en sourdine, seuls des noms évoqués. Tiens le sentier bifurque, s’enfonce, il est plein de ronces et de fougères, mais pas d’odeurs ni de la terre, de l’humus, des champignons, Une sombre histoire a évoqué un mystère, une fiction, non, pas une fiction, un départ, vers où ? En écho à ? je vais où, là ? Inventer une histoire ou faire une thèse sur l’enfermement ? Je me moque, de moi. Le prisonnier est très présent, venu de loin, plutôt venu de l’époque traversée et de la question : Comment fait-on pour traverser la prison, comment font ceux qui en tirent de fabuleuses vies, la prison peut être intérieure, toute une vie pour la vaincre, comment en parler ? Ce ne seront que des fragments, pour l’instant, des notes, un livre comme « L’année du singe » de Patti Smith, pas de prétention là-dedans, juste une trace, un modèle, des poèmes d’autres des photos aimées, inventer au milieu du chaos des amitiés, en connaître, chercher tout ce qui permet la vie, et les chansons, des autres, comme un remplacement de ce qui ne vient pas, pas encore. Résister à ce qui détruit. Des fragments, ce sera, c’est trop tôt pour écrire d’autres textes et pourtant il se fait tard, et quelle importance au final ? Ayant tout découvert à l’envers, avoir été ado à 75 ans, et alors ? Dans le ventre ça se sent, et il s’agit d’« un moment auto-réflexif du langage, y compris s’il a plus de maladresse, y compris s’il doit se réitérer. » Tout le reste, c’est peanuts, on a le droit de bafouiller, puisque de toute façon on en est là. Et les oiseaux, et les enfants ? Où sont-ils ? Ma première vidéo de cinq secondes, un selfie, pour dire aux enfants et petits enfants que je les aime, voilà toute mon expérience, je me moque de moi, ça fait du bien. Et « qu’est-ce qui te trouble ? » J’y suis en plein dans ce trouble, trop la tête dedans encore.

* Mot trouvé dans le livre de Seyyed Ebrahim Nabavi, « Couloir N°6 ». Emprisonné, pour se maintenir en vie, il écrit un Kashkoul, des surnoms donnés aux gens,des mots inhabituels, des blagues, rêves, contes, poèmes, maximes, mots d’esprit...

19. Une traversée en solitaire


proposition de départ

19 octobre. Huit jours que je suis là je commence ce cahier il est vingt et une heure je n’ai pas pu avant. Je commence à peine à réaliser, une semaine que ça a commencé, tout est chamboulé, ça va trop vite. Je vais me coucher et dormir.
20 octobre. Infernal le bruit de cette porte quand elle s’est refermée. Je suis là, tête à l’envers,tout seul enfin pas tout seul, on est deux. Mais les copains, le boulot, plus rien. Huit jours pour me poser un peu, arrêter de tout mélanger et de me crisper tout le temps sur ces horaires ces repas, le bruit incessant. Ce soir j’ai mis de la musique, ça donne un peu de chaleur.

21 octobre. Je ne croyais pas...je pensais ressortir de suite. Huit ans ils m’ont mis. La douche ? Maintenant ? J’ai intégré déjà, pas de questions, c’est comme ça. Bon elle m’a fait du bien mais plutôt froide l’eau et puis rapido. C’est tout pour ce soir.

22octobre. Je reviens de la « promenade ». J’ai bien regardé, tous des hommes jeunes, des gestes furtifs. Tout ce qui doit circuler ! Deux, trois pourraient être des copains, peut-être, vas-y doucement. Vite fait de repérer les anciens et les nouveaux arrivants, tous en survêtements et baskets, un ou deux en pantalon et blouson. Pour l’instant j’écris sur mes genoux, la cellule est petite et très crade, j’en ai une boule au ventre. Plus rien de familier ici. J’ai tout laissé en rentrant. Je suis un des plus vieux quoique à peine cinquante-deux ans. Écrire me calme.

23 octobre. Vingt-deux heures sur vingt-quatre dans cette piaule. Aujourd’hui j’ai touché le fond. Comment attendre tout le temps, attendre la douche, attendre la promenade, attendre : Je pense trop. Déjà avant le procès ce n’était pas évident de tourner et retourner dans tous les sens ce qui s’était passé et puis ça a été tellement vite, le jour même la tension était extrême, quelques copains étaient là. Je n’ai pas de famille. Mince alors, ce que ça doit faire de laisser ses enfants et sa femme. Seul c’est dur aussi, mais j’ai toujours été seul. J’en ai pris pour huit ans, huit ans !

24 octobre. Parloir aujourd’hui. C’est Delbert, le contremaître, il a parlé un peu, il a bafouillé un peu, n’a pas osé poser de questions. On est tous éberlués de ta peine, il a dit, on te connaît depuis longtemps et on n’arrive pas à comprendre. Allez, je reviendrai. Il te faut quelque chose ? Non, je n’ai rien dit, je ne pouvais pas. Mais bon, allez au lit, vieux.

4 novembre. Treize jours que je n’ai rien écrit. Pas envie. L’ennui me passe par tous les pores. L’autre, là . Il ne parle pas, est prostré. On n’a pas encore échangé trois mots. Un ennui abyssal. Les heures sont longues et se répètent toutes les mêmes. Et le bruit, des coups sur les murs, des cris dans les couloirs, tout le temps. Ce matin, j’ai renversé mon bol de café, suis resté un long temps hébété puis me suis évadé de la prison. Ce n’est pas si vieux que j’avais vendu tous mes meubles, arrêté le travail pour partir en Scandinavie trois mois. Je suis intérimaire et retrouve vite du travail, avant ça avait été le Mexique puis La Nouvelle-Zélande. Ici, le café est infâme mais j’ai retrouvé le goût de celui des aéroports, des bistrots où on faisait toujours de surprenantes rencontres. Gros cafard.

Codicille. Jamais fini cet exercice. Grande envie de continuer, améliorer. Je pense souvent à ces hommes et femmes emprisonné.e.s comme Bernard Stiegler et ce qu’il a appris pendant son incarcération, ce qu’il en a fait, et tant d’autres, coupables ou pas, et qui ont pu ou su ne pas plonger.

17 & 18.


proposition de départ
Savoir ?

Je ne veux pas que ça ressemble à une introspection, une biographie, un ressassement, un étalage. Je ne veux pas que ça ressemble à un roman de gare, ni à un roman d’ailleurs, ni aux écrits divers de développement personnel ni aux livres de rentrée littéraire, je ne veux pas que ça ressemble à de la psychologie de bazar, à des catastrophes, à une distraction, à du déjà dit, à de l’à peu près. Et peut-être il ne sera pas, il sera toujours en route, des fragments, des bouts. Pour l’instant, j’ai besoin des mots des autres, ils m’agitent, me désarçonnent, m’ouvrent à d’autres continents et il se fait tard.
Codicille. Il se fait tard, vu mon âge, c’est si riche et si nouveau de découvrir tous ces auteurs. Un ouvrage achevé ? « Quezàs, quezàs, quezàs. »

Une maison discrète

Quand ils sont venus, il faisait beau, à deux, lui sûr de lui, elle encore plus. Pas de gène, ils sont chez eux, et Suzanne se ratatine intérieurement. Rien n’a changé pourtant, la maison est pareille qu’hier soir. Leurs yeux sont fureteurs, rapides. Ils sont là pour « estimer » un endroit inconnu d’eux. Elle est là, avec tout ce qui a été vécu dedans : les anciens propriétaires ont bien dit ce n’est pas le montant de la vente qui nous importe, on est heureux de la vendre à une grande famille cette maison où les locataires s’entendaient bien, on rentre demain à Paris, bien contents de vite régler l’affaire . Suzanne et André n’ont pas pu y faire de grands frais, juste le nécessaire, pour les enfants et eux. Elle a gardé la plaque avec le nom des locataires du rez-de-chaussée, un vieux couple,deux pièces, une cuisine une chambre, à coté un vieil homme, une cuisine, une chambre. Ils étaient là, y sont resté, jusqu’à la maison de retraite pour un, resté très secret, jusqu’à leur mort pour eux deux, devenus nos amis. Eux avec leurs enfants avaient largement assez avec le premier étage et les combles. En plus, l’annexe, un bâtiment attenant, leur a permis des rangements et surtout un garage pour les motos. Au premier, dans la pièce à vivre, une photo en témoigne, tous, ils y sont tous, avec déjà des petits- enfants, cinq parmi eux installés sur une moto-trial. Ha ! Ces motos, ils ont une vidéo avec l’un des grands avec son fils et son neveu de dix-sept ans s’acharner à vaincre un gros talus— Une marche, maman, pas un talus—encore et encore et recommencer. Les deux agents de l’agence, drôle d’engeance rentrent, ouvrent les portes, jaugent les recoins, froidement, méthodiquement. À mesure que passent les secondes Suzanne se rétracte. Ils fouillent, à froid, tout ce qui a été si précieux. Oui, c’est vieux, d’un air détaché, l’électricité date de quarante ans, vous avez vu les velux prennent l’eau, et la peinture des volets écaillée, la cave est humide... Suzanne les écoute et rajoute mentalement les défauts, les entretiens pas faits, continue la visite avec eux, voit sa maison comme elle est, escalier extérieur pas carrelé comme les autres dans la rue, sol de la cuisine revêtu de dalles plastiques, le vieux plancher ne supportait pas un carrelage, mais avec André, ils s’en foutaient, trouvaient toujours des occupations plus importante. De la cuisine, on ne voyait que des arbres et le ciel,et le petit jardin, côté soleil est bien joli, oui, il est plein d’herbe à lapin, de mousse, de pissenlits, mais bien tondu. Et cette table qui lui a bien servi, tout l’été si chaud, à l’ombre de l’arbre débarrassé des nids de chenille processionnaires, est de la récupération, comme les trois sièges de jardin blancs, mais qu’est-ce que ça peut faire ? Ils y étaient si bien. Quand assis dans la grande cuisine à la grande table en chêne ils ont cet air retenu pour cacher leur diagnostic, Suzanne s’oblige à rester calme, ce n’est pas une perquisition quand même lui aurait dit André qui est mort depuis douze ans, mais elle le ressent comme ça. Le soleil est toujours là, deux heures c’est tout ont passé, mais un grand branle-bas intérieur l’agite. Elle s’en défend de toutes ses forces, ils vont partir et je serais toujours là et j’y suis bien. Elle s’assied sur sa chaise de jardin écaillé et boit du thé bien chaud. Pour l’instant, c’est encore sa maison.

Codicille. « Un petit point, un détail, un petit rouage, vous le prenez dans les pieds et dans les dents » et tout vient. Je ne voudrais pas m’arrêter.

16. Les variations Goldberg.


proposition de départ

Il est sûr que SW a voulu le plus possible créer un texte. Roman, non. Essai ? Comme des bribes, comme une pensée pas finie, pas ordonnée. Elle ne veux rien masquer et surtout pas les lacunes, les difficultés. Une jambe coupée, ça se voit, un tumulte intérieur ne se perçoit pas.. Un chemin hésitant encore à quatre vingt ans. Cet embryon d’écrit pour affirmer qu’elle voulait travailler et chercher comme Simone Weil. Qui l’a accompagnée toute sa vie quoique ses écrits soient difficiles pour elle. Alors SW lit, relit, survole, s’arrête sur une pensée magnifique et s’inspire de. Comme pour le piano, un si grand désir de jouer encore et encore, et la grande difficulté à.

Où l’on voit que SW est très imprégnée par la guerre, les bombardements, les bruits lourds et sourds des avions. Étudier dans les années cinquante soixante, imprégnées de la guerre, de l’histoire entendue des adultes et apprise à l’école, de la philosophie, laisse des traces toute une vie. Comme les lectures venues de Camus, du Vercors, de la résistance.

Sur la tristesse, on peut la traduire par dépression ou angoisse. Pour Romano Guardini
c’est un état de dissonance intérieure, on ne peut pas l’abandonner aux psychiatres. De la difficulté de sonder ce poids de tristesse, et de l’éjecter. Elle ne comprend pas sa difficulté à construire, mais sent très fort que tout de même une grande force rejaillit toujours.

Elle pense à Andrée Chedid : « Un combat pour se tenir debout et comprendre le monde et que peut-on faire », « la ferveur, l’attention, l’accord parfait ». Une phrase l’a laissée interloquée tellement elle voudrait être ça « Le bassiste Ware n’avait pas peur de déplacer l’accent rythmique en variant la longueur de ses notes et en laissant des espaces entre les phrases » de Pierre Ménard.

Une grande place est donnée à deux hommes de sa vie : André, de Picardie, toute une vie, un homme qui lui a amené l’amour, la vie et la liberté. Sa famille si grande et connue au fil de quarante-cinq ans toutes les vacances, un monde inouï comparé au sien. Il était bon, fidèle, équilibré, un grand bon sens qui vient de la terre. Il se disait fourmi, travailleur, c’est tout. Et pourtant, il y aurait une biographie complète à écrire sur lui.

SW a fait à l’envers le chemin d’un-e humain-e, les découvertes de l’adolescence viennent vers la fin de sa vie. Vers soixante-quinze ans.Nul besoin d’étaler, plutôt garder en tête Ugo, il apparaît depuis longtemps dans ses brouillons. Il fait beaucoup penser à Stéphane dans « Le boulevard périphérique » de Henri Bauchau : « Il a un sourire d’indien et je ressens à travers lui un sentiment de joie, de plénitude totale. ».

Plusieurs événements fondateurs pouvant créer un texte, SW ne veut pas raconter les détails, ne veut pas un bond en arrière dans le temps. C’est maintenant, en quoi son besoin d’absolu est limité, comment on perçoit les bouleversements à venir, comment y faire face et oser autrement. Elle entend jean Rondeau dans les variations Goldberg, les variations de la musique, les variations de la vie.

 

14. Le mort tranquille


proposition de départ

Je meurs tranquille, à soixante-treize ans. La mort n’est rien, pas de convulsions, pas de transes. Je vais trouver les ombres ou la lumière ? J’ai lu tant de livres sur l’après, l’au-delà, sur les gens passés tout près du tunnel et revenus. La lumière m’envahit. Il ne fait pas noir, il n’y a pas de bruit. Insensible au petit jour, insensible au froid, seul dans le bois Héluin là-bas en Picardie, mais ce n’est pas un bois, c’est un autre endroit, ce n’est pas Héluin c’est un autre nom. Plus de boussole plus de carte et Orion plus lumineuse, je suis un insolite voyageur dans la galaxie, là où tournent tant d’autres mais je ne les vois pas, l’infini m’a rendu le désert, la solitude de l’espace. Tu rêves que j’amarre ce soir vers toi, j’étais fort, tu étais faible, c’est pénible d’être quelqu’un ? Nombreux sont les blessés, mais qu’importe, nombreux seront les morts mais qu’importe ? Un jour tu seras dans l’immensité, loin ou près de moi. Tu es pour les sentiments, j’étais autre, pour la raison. Nous nous parlerons ou nous nous tairons. Quand tu seras morte, tu n’auras plus peur. Maintenant elle doit demander à dormir et le privilège de mourir ?

Codicille. Beaucoup d’emprunts à Emilie Dickinson. Elle m’a donné quelques mots et même quelques phrases. Sur un texte si court, il ne reste pas beaucoup de mes mots. Mais ça suffit.

13. le fait que


proposition de départ

Le fait que la maison devient trop grande pour une toute seule, le fait que d’y avoir vécu toute une vie compte, le fait que prendre un appartement deux pièces paraît impensable, le fait que les ouvriers viennent juste d’isoler la cave et que Total préfère lutter contre le réchauffement climatique en payant mes travaux plutôt que de faire le ménage chez lui, le fait que c’est le monde à l’envers déjà qu’il ne va pas si bien, le fait qu’il faut tout de même faire la vaisselle quoique parfois ça fait du bien mais ça devient gênant si la machine à penser repart de plus belle, le fait que penser trop... je viens d’avoir quatre coups de fil à la suite qui me troublent et m’empêchent de réfléchir, le fait que tous ces livres sur le développement personnel me tapent sur les nerfs, « vivre l’instant présent et aller de l’avant », un mantra bien à la mode mais incompréhensible, et le fait que les fêlés m’attirent et parfois je le suis, complètement fêlée, la folie m’attire ou me guette, le fait que les consignes pour le covid incitent à une séparation, à s’écarter alors qu’on ne peut vivre sans les autres, et que depuis quelques jours on s’est mis à dire « la covid » et tout le monde suit sans savoir pourquoi, le fait que le Liban a eu sa capitale dévastée le quatre août 2020 et ce pays fait partie de moi uniquement par un chemin imaginé depuis longtemps passant par la création d’Israël et l’occupation de la Palestine, les poèmes d’Andrée Chedid, le journal Témoignage chrétien cette longue et compliquée histoire du moyen orient, le fait que ceux qui sont nés vers les années 1940 ont vu en direct le monde évoluer, toute sa profusion tout son chaos et toute sa laideur, le fait que souvent on voudrait en finir, plus penser, plus voir, ne plus vivre mais le fait que comme si on était tous reliés quelque chose me retient de l’ordre de ne jamais désespérer pour ne pas désespérer les autres.

12. Sa tête et moi


proposition de départ

A vingt ans de notre vie ensemble Vrac et moi installés obligés sur un lit plus amis que jamais elle ne peut pas faire autrement un travail commence et prend de la tête aux pieds cette tête toujours à penser à chercher à vouloir tout comprendre elle s’échappe de moi mais là tous les deux concentrés par une force inextinguible monte monte s’enfle en douleur puis doucement retombe reprends tout entier serré dans un étau concentrés ensemble on donne tout souffle reprend allez allez encore accordés complètement transpirant puis froid puis chaud occupé propulsé veut soudain une contraction énorme continue ne s ’arrête pas Vrac est là avec toi comme jamais ce temps de douleur dure longtemps plus de temps arrêté le temps et en un cri un accord de symphonie éblouie parfait.

Tronqué pas de tronc pas de membres trop abandonné le cerveau de Vrac tourne à plein régime oublié laissé sur le côté a bougé palpité un peu encore laissé de côté pas important proteste comme il peut veut se déployer par moments irréguliers tributaire de cette tête qui le contraint à pas bouger rester tranquille ankylosé peu importe froid peu importe trop chaud peu importe il essaie se manifeste ligaments croisée décroisés jambes actives heurtées l’une contre l’autre pour trébucher mains actives sans cesse épaule douloureuse n’existe plus presque Vrac prend la place travaille tellement Vrac m’empêche non tu n’as pas faim non tu n’as pas froid ni es fatigué coupés en deux comme deux sœurs siamoises séparées.

Tant de temps et d’années ai toujours été là attentif je continue sans Vrac tant d’années coup après coup blessures après blessure ressenties mais il faudrait accord pas de mots pour lui dire c’est elle qui a les mots avec acharnement tant de douleurs subies Vrac d’un côté moi de l’autre dans sa tête ont perfusé déteint jusqu’à épuisement couché pour de bon des cellules malignes ont fini par me dévaster pas pu lutter et pourtant tout ce qu’il faut cellules installées et morphine passant dans le sang les liquides les nerfs jusqu’au cerveau dans cette cohue désorganisée a commencé une entente moins livré à moi-même cette tête de pioche de Vrac commence -t-elle à saisir on se rencontre plus souvent bafouillant peut-être jamais comblé tout à fait cet écart entre nous deux.

Codicille. Trop dur tête en vrac depuis huit jours. Difficile de faire parler ce corps, j’ai commencé un texte presque copié-collé d’ Antonin Artaud et puis non ce n’est pas ça. Ce matin, nouveau texte sans cadeau.

11. Perfectionniste ?


proposition de départ

Ils jouent au jeu délicieux de l’empilage des mains à plat sur la table : Celle de dessous passe dessus et ainsi de suite de plus en plus vite pour se terminer en fou-rire et bataille de toutes ces mains agglutinées. La sienne se relève et, coude sur la table, il la porte au visage, comme un paravent et se cache pour rire sans bruit, à part. C’est la main droite, le pouce un peu écarté, comme une gaucherie. Dans la paume, les lignes un peu tordues, une opération lointaine. Le petit le regarde, ils rient ensemble, yeux dans les yeux, il le prend dans ses bras, le met sur ses genoux, les mains du grand posées sur le ventre du petit, connivence. Elles sont chaudes, fermes, assurées, nettes comme tendues. Il les a méticuleusement lavées séchées, une longue habitude, elles ont tenu des altères des poignées de moto-route avec assurance, de moto-trial avec virtuosité. Pourtant elles ont l’air de celles de musicien sculptées par le travail journalier. Tout son corps a été travaillé par lui méthodiquement, tous les jours. Sa force s’est concentrée dans ses mains. À l’usine, les autres le disent, il leur donne de l’exigence, sa main a appris à sentir, connaître la qualité de l’acier,il leur montre les bons gestes parce qu’il veut un acier de qualité, ses mains font ce qu’il veut, pas de crainte d’acier défectueux. Il est une référence pour eux. Lui ne le sait pas. Lui ne sait pas trop parler. Mécanique, si, si mais tout le reste, non. Sa pensée passe par sa main, il pense, si, beaucoup, pendant que ses mains sont occupées à la ferronnerie. Il a refait patiemment les six arabesques qui obturent les soupiraux du sous-sol chez lui, il a chauffé tordu tourné la ferraille. Ses mains tournent le fer, son cerveau tourne tout le temps, trop de pensées. Il faudrait que le mouvement harmonieux de ses mains modifie les mouvements du cerveau. Mais ça n’est pas ainsi, il a la maîtrise de son corps, de sa main, pas de sa tête. Ses mains ont su, cherchent le geste le plus précis, le trouvent, la connexion cerveau-main arrive à la perfection. Ce qui n’empêche pas sa tête de fonctionner, ailleurs. Le corps est bien là, les mains au travail, la tête réfléchit sans cesse, le matin au réveil jusqu’au soir, tard. Il pense, une pensée constructive il voudrait, une perfection de la pensée égale à celle de la main. Sa vraie perfection a été de dire NON, je ne signerai pas de ma main cette lettre de licenciement de cet homme qui a créé cette usine qu’il vous a vendu. Il est parti...

Codicille. Trop de pensées, dans tous les sens. Et deux photos m’ont fait démarrer. Sur l’une le sourire limpide du grand, les mains dans le dos du petit qui le regarde. Sur l’autre, il se tourne sur le coté pour un rire libéré, comme une respiration. Un vestige, une trace.

9. Vu par la fenêtre.


proposition de départ

Par hasard en ville, dans une maison discrète, de sa table, elle ne voit que le ciel, plein d’hirondelles et de grands arbres. Aucune maison pour attires le regard ailleurs. On dirait une forêt en dehors de tout, ses grands arbres agités par un vent violent, ce serait comme une âme déchirée entre calme limpide et questionnements insensés.

C’est une maison de ville mais bien cachée. Entourée de grands arbres vigoureux. Du lit, on ne voit qu’une forêt. Aucune maison pour troubler la solitude. On entend les oiseaux comme là-bas il y a si longtemps. Les branches fouettent le ciel violemment, il va y avoir de la casse. Une grosse tempête. Il l’imaginait bien ainsi depuis longtemps.

En ville ou nulle part, une maison séparée de tout, avec plein d’arbres et un grand ciel. Le regard se perd dans cette forêt, rien d’autre à voir, surtout pas, rien. Les yeux se perdent, s’égarent là ou plus loin dans le vague. Le vent s’est levé violemment, la tête soudain part dans tous les sens ballotée comme les branches, le corps s’est convulsé, une douleur intense au fond du ventre.

 

8 dans ma tête, dedans / dehors


proposition de départ
extérieurs

En ville, une maison cachée, de la cuisine, on ne voit que des arbres et du ciel. On est dans la forêt. Aucune maison visible, le ciel avec ses hirondelles, deux grands hêtres, un marronnier, un noisetier, un sorbier et le jeune sureau souvent agités violemment, une vraie tempête.

Tout près du Vercors, une cour de ferme d’ouvrier-paysan recouverte de gravier. Vue du pas-de-porte et au fond sur la gauche un sycomore et un tilleul, sur la droite le muret et sa vigne, et cet escalier, juste cinq marches inégales, il mène au jardin extraordinaire. Entre les deux, le four à pain avec table et bancs. Sur la droite, la grange avec un tracteur très vieux coincé par une cale, et là, surtout là, au milieu d’une pelouse de mousse, achillée, turquette, un catalpa de forme oblongue, un rêve d’arbre, où on peut se perdre pendant des heures.

On y voit un ciel à trois cent soixante degrés. Un vent léger tout le temps promène des nuages et il pleuvine. Deux, parfois trois milans dessinent de grands cercles tout là-haut, et les hirondelles virevoltent en trissant. Cela au-dessus du cimetière en pleine campagne et pourtant de ville. L’immensité, le vent, le silence.

Le bois Héluin. Dans cette région si plate, et si cultivée partout, c’est un lieu caché et entretenu. Sont marqués à la peinture rouge ceux qu’il faudra abattre. Déjà des troncs par terre empilés, les grumes, prêts pour la scierie. Le sous-bois est un tapis de feuilles, plein de fougères, de ronces. Des jours et des jours de travail, dans la solitude et le silence. Mais là, tout près, la cabane des chasseurs avec une grande table en bois devant, on peut y venir en famille le dimanche. Un bref moment de joie et de rires remplace la solitude et le travail tant désiré.

intérieurs

Une chambre d’hôtel, la nuit, la mer est tout près, on entend le bruit rythmé des vagues, elles arrivent en roulis rapides et redescendent lentement par légers ressauts, elles accompagnent la respiration, à l’intérieur, on voit le lit en désordre. La pièce est toute blanche, très peu de mobilier presque invisible. Des ombres légères se déplacent sur un plancher blond et brillant, elles viennent d’un voilage mouvant avançant dans la pièce, reculant, au rythme du vent. Une nuit qui devrait durer longtemps, longtemps, encore, encore un peu…

Le moment délicieux de la montée de l’avion. Là où tout est laissé derrière, rien ne bouge ni dans la carlingue, ni dans la tête. Presque, le temps n’existe plus. Ce peut être douze heures de vol, douze heures dans un unique lieu, fermé, insonorisé, où toutes les surfaces sont rondes, lisses, du hublot aux parois, des accoudoirs aux lampes à led. Quelques heures absentes de tout.

Un bar, vraiment ? Un bar ? En haut du col de la croix de Toutes Aures dans le Vercors, il existe. On entre en faisant teinter une petite cloche, six tables en bois rudes et des chaises paillées. Essentiellement y viennent des randonneurs et des cyclistes. La dame qui le tient voit arriver les gens de sa cuisine, une simple porte vitrée la sépare, on peut la voir nettoyer sa cuisinière, tricoter ou coudre, sa machine posée sur la table. Tout ce qui suffit pour un bon cani.

Les infirmières, aides-soignantes, femmes de service et médecins y rentrent avec le sourire. Pourtant c’est un service souvent lourd en gériatrie, et dans cette chambre c’est le cas, pour des personnes en fin de vie. La pièce est meublée du strict minimum, et pourtant, de tous côtés, on y voit et sent la vie : sur la table, un petit-fils a laissé un dessin, un gros œuf de Pâques en chocolat, et au mur, des cartes postales, des photos, des petits mots, des dessins sont accrochés par des mini-pinces à linge en bois sur des rubans tendus dans tous les sens. On y devine les rires et échanges de toute une famille autour du Père qui va mourir.

 

5. Un café, vite. Ou lentement.


proposition de départ

Il est debout, seul, à coté de sa tente. Très jeune, en bermuda tee-shirt et baskets. Dans le camping, tous dorment encore. Il a sorti son butagaz, tranquille, puis sa cafetière italienne une tasse, et le sachet où il a mis le café. Léger, le sac. Le plus lourd est sa caméra. Il dose l’eau, le café, deux cuillères, pas plus et revisse. L’eau bouillonne, traverse la poudre et c’est prêt, cette odeur le matin, il ne peut pas s’en passer, avec trois biscuits complets, c’est bon.

En costume et chemise blanche, il retrouve deux collègues à 10 heures, à la machine à café. C’est bruyant, la musique de fond pas géniale, mais ils sont bien ensemble. Tous les trois préparent de la monnaie ou leur carte bancaire, le café sera vite fait, le petit clic de la pièce qui tombe, le gobelet se met en place, on regarde juste l’eau couler. Tu as eu des nouvelles de ton fils ? Oui, il est en Auvergne, il veut filmer le ravin de Corbeuf. Il n’est pas très bon ce café, venez chez moi ce soir, je vous en ferai du vrai.

Elle est seule dans sa cuisine et vient de finir son repas. Le moment du café ! Toutes les fois, elle pense à sa mère qui en 42 le faisait avec de la chicorée, mais tant pis, le goût, on le retrouvait sur la langue, l’odeur se recréait instantanément. Elle non plus ne peut s’en passer. Elle se lève et prépare soigneusement ce moment spécial pour elle. Dans la cafetière 8 tasses, elle met de l’eau pour 6, le reste sera pour le petit déjeuner demain, 7 cuillères bien pleines de poudre, c’est du bon, acheté chez l’épicier D. place Boivin, il est connu pour ses thés, tisanes et cafés. C’est lui qui lui a donné l’affiche, elle l’a placé en face d’elle : Un hibou fait de grains de café, et à la place des grands yeux, deux tasses vues de dessus, pleines d’un café marron foncé, les deux anses servent de sourcils. L’eau coule doucement dans le filtre puis dans le pot en verre. Elle le boira à petites gorgées, en prenant son temps.

Elle a invité deux couples amis. Ils sont heureux d’être là, tous. Son mari l’a bien aidée, laisse, le café, c’est moi. Oh ! C’est tout prêt, ce ne sera pas long, sur le muret séparant la cuisine de la salle, la cafetière unidose est là, les dosettes à côté. Elle a juste à prendre les tasses rangées dans le bahut, et tout en continuant à rire avec eux, au sujet des enfants partis en vacances et qui leur envoient des SMS un peu déjantés, met les dosettes dans leur logement, en 3,4 minutes, les cafés fumants arrivent sur un plateau. Quelqu’un préfère du thé ? Un non amusé et bien sonore des 5 bouches à côté d’elle, du café ! Ton café est trop bon.

Il ne comprend pas, comment a-t-il fait ? Ce n’est pourtant pas difficile ! Il regarde par terre ahuri de voir la cafetière éclatée, et tout le liquide brûlant en train de s’étaler à son aise sur le plancher. Juste maintenant, il finit de taper son mémoire, qui a pris forme, ça avançait bien, il a voulu faire une pause, et voilà ! Il s’assied, complètement dégoûté, et reste là, sans aucune conscience du temps, à imaginer ce qu’il voit dans cette flaque qui a essaimé en gouttes giclantes, un nuage noir d’orage, un ours placide qui avance en se déformant, devient un bateau qui s’étire, se disloque en une île déserte qui s’estompe et devient rêve de départ, de langueurs traînantes, réellement évaporées, pour lentement lentement arriver jusqu’à ses pieds ce qui va, avec ménagement on dirait, le sortir de son rêve.

Il a un air absent. Il faut dire que là où il se trouve, rien pour faire rêver : Deux lits superposés, des vêtements partout, une petite fenêtre entravée par des barreaux, dans cette cellule, rien de beau. Son codétenu est à la promenade, il a un moment de tranquillité. Il pose le café soluble sur la table encombrée, un verre, une cuillère, il verse l’eau chaude, ajoute 4 sucres, s’assied et le boit d’un trait. Il réalise qu’il l’a bu par cœur, pas senti, Il s’en refait un autre, un peu, enfin pas mal de poudre est tombée sur la toile cirée, il boit lentement, il n’est plus là, parti loin en arrière, il avait vendu tous ses meubles, libéré l’appartement, était parti en Norvège, il s’absente, son doigt comme en dehors de lui trace un dessin dans la poudre de café, une éternité envahit la cellule, les murs tombent, il sent les embruns de la mer, le vent le décoiffe, et lui revient l’odeur du café bu à l’escale.

Vite, un café ! Une réunion houleuse qui engage toute la boite lui laisse un goût méchant. Il se sent pris dans un étau, ne peut plus respirer et quitte la pièce rageusement, descend les escaliers, il est dehors, vite, au bout de la rue, il respire longuement et essaye de se calmer avant d’entrer. Elle le connait, est déjà devant la machine et un bon café arrive sur la table. Il croise les bras, ne sent même pas cette odeur et cette chaleur. Non, c’est trop, il n’arrive pas à se reprendre, refait toute la réunion en boucle, il ne le boira pas, le laisse refroidir. Se lève et va payer, Il s’en va.

Juste au moment où il rentre chez lui, il aperçoit sa fille et sa copine monter l’escalier de l’étage à toute vitesse et fermer la porte. Il hausse les sourcils, en fait, il a déjà compris depuis un bon moment. Les deux jeunes filles là-haut reçoivent un SMS : Trois cafés, ça vous va ? Ça alors ! Elles redescendent à la cuisine, il fait le café, il aime le préparer, écouter le chuintement, il veille à ce que les tasses soient bien remplies. Un café, c’est sérieux. Le temps qu’il met à le faire est déjà une attention pour les deux copines. Les voilà en train de le boire tous les trois en discutant tranquillement.

Elle a bien dans les 70-75 ans, va rejoindre son compagnon pour une quinzaine, voilà 5 ans qu’elle le fait. Elle adore partir, laisser tout derrière pour un « autre chose » qu’elle découvre et lui plaît bien. Elle est presque arrivée et 15 kilomètres avant de le voir, elle aime faire une pause. Elle a repéré ce petit cani, ancien comme ça, on n’en voit plus. La dame qui le tient n’a qu’à sortir de sa cuisine où elle coud pour la servir. Un café ? Elle repasse dans la cuisine, on la voit par la porte vitrée prendre une casserole, y mettre ce qu’il faut de café et elle revient le servir directement, sans même un pichet. La dernière fois, elle lui a dit : Je n’ai pas d’autre client, rentrez chez moi, on sera plus tranquille. Alors moi buvant le café réchauffé, et elle continuant sa couture on échange des mots simples qui lui reviennent souvent en tête comme un moment de grâce.

Codicile. J’ai lu beaucoup de # 5 des participants, ils sont très chouette, notamment ceux qui ont fait 10 phrases très courtes, ou qui ont créé des liens de personnes entre les 10 textes.

Je suis allée un peu vite, il y aurait eu à retravailler, mais je voudrais bien rattraper le rythme.

4. comme un rayon de soleil


proposition de départ
version sur ton doux

Elle l’attend, vient de finir la vaisselle et regarde par la fenêtre, à l’écoute de sa voiture qui va arriver. En fait, elle ne regarde rien, elle songe, assez indécise on dirait. Des souvenirs lointains la traversent. Le soleil glisse quelques derniers rayons dans la pièce. Tous les soirs, elle doit voir ces couleurs, rose, pourpre, orange et le bleu en train de pâlir. Tous les soirs le temps semble suspendu. Elle ne bouge pas, à peine parfois arrange ses vêtements, doucement elle lisse ses cheveux, comme avec tendresse, son visage est doux. Son attente visible la fait paraître tranquille mais aussi en demande. Son inquiétude feutrée se perçoit et son silence parle, il dit qu’elle n’en peut plus, il dit qu elle voudrait disparaître, là, sur place, à l’instant. Il dit aussi ce coucher de soleil est tellement lumineux, elle va continuer longtemps avec tout son fatras ? Une force la saisit comme si le soleil finissant l’entourait, la protégeait, une tendresse vient du fond d’elle, comme on ressent une caresse, comme si une main heureuse tendrement effleurait encore et encore sa joue, une onde l’emplit malgré elle, la renouvelle, elle ne peut pas, non, elle ne peut pas s’arrêter de marcher, un passage difficile vient de se dissiper. Elle se tourne vers l’évier, juste pour ranger l’éponge et fermer cette porte. De nouveau elle est immobile, elle sait, ça va passer, ça passe toujours, il lui a dit chante, quand tu chantes tout va mieux. Un soupir, un autre infiniment plus long, la chamade est passée et tout en bas, on entend la voiture, un bon coup de frein, il arrive.

version sur ton dur

Elle est postée devant la fenêtre depuis un moment. En finissant la vaisselle, elle a cassé la carafe, tombée bruyamment sur le carrelage. Pas possible, ça ! Elle sait qu’il va rentrer, elle s’est dépêchée et voilà le résultat. Elle regarde par la vitre et tire les rideaux qui la gênent. On dirait qu’il lui est impossible de rester tranquille, son visage est fermé, elle se retient ? Ne veut penser à rien ? Elle ne peut repousser ces flots d’images tourbillonnants, on sent qu’elle ne maîtrise plus. Sur son visage passent des changements rapides d’expression, tendue, agacée, des rides se sont formées, elle paraît totalement paniquée, ne sait pas à quoi se raccrocher. Le désespoir creuse ses traits, cet écart entre ce qu’elle veut et ce qui a eu lieu,ce vertige qui la prend elle n’en peut plus, ou n’en veut plus. Elle se recoiffe rageusement, range et défroisse ses vêtements à la va-vite. Il va finir ce maelstrom de déboires, de malentendus, de maladie, de tout ce qu’elle veut réaliser et qu’à peine un millième arrive à terme. Elle se raidit comme une qui s’admoneste, qui ne peut pas se pardonner, ne peux pas oublier, un naufrage. Elle a un regard noir, un noir profond, plus noir que la nuit noire par temps de bourrasque, plus noir que sa révolte et sa colère pour le coucher du soleil qu’elle attend d’habitude tous les soirs. Là, il la dérange. Puis en un instant, aussi vite qu’une tempête se calme, elle se ressaisit, donne un coup d’éponge à l’évier, ferme rageusement une porte, elle sait pourtant, elle se connaît, mais plonge dans cette eau trouble qui l’aveugle, lui fait noircir tout ce qu’elle a vécu ou va vivre, cette crainte envahissante qui la saisit, oui, et pourtant non, elle ne veut pas de ces brûlures, elle veut sortir de ces combats trop violents. Elle voudrait rester la douce femme qu’il a connu au début. Elle est où celle-ci ? Il va rentrer, elle vient d’entendre son coup de frein si énergique.

3. il venait de Lamaronde...


proposition de départ
il venait de Lamaronde, en long...

Le grand père d’André était resté toujours à Ruiselede, tout petit village de Belgique. Il avait eu onze enfants. 4 sont partis aux États-Unis, passés par le service d’immigration à Ellis Island, séparés le long de la côte Est dans les usines Dupont de Nemours, déjà qui commençaient à bien polluer, et après quelques années, ils achetèrent des terres à défricher, dans le Wyoming. Le plus jeune frère, le cinquième garçon, Rémi déjà marié, plus modestement alla en France rejoindre un oncle installé en Picardie. Tout se passa comme en belgique : la ferme, petite, faisait vivre l’oncle, sa femme, ses enfants, plus Rémi et sa femme et bientôt leurs 2 puis 3 enfants. Rémi parlait peu de ses parents, pas bavards eux-mêmes. Quand André naquit, ils étaient installés dans leur propre ferme, heureux, pas riches et bosseurs. Rémi était un homme droit, franc, plutôt psychologue dans ce milieu de paysan peu enclins à chercher la petit bête, il éleva ses enfants avec rudesse mais toujours en remettant les choses en place par quelques mots, les ramenant à leur juste proportion. Sérieux, bien planté, ce qu’il légua à ses enfants, un vrai éducateur sans le nom. Il n’était pas causeur, ne fit jamais de cadeau à sa femme, mais leur entente était très sereine à contempler. André ne sut jamais s’ils avaient été vraiment amoureux, comment ils s’étaient connus, on ne parlait pas de ça, guère d’autres choses d’ailleurs. C’était un pince sans rire mais dans ses yeux bleus très clairs, on décelait de la malice et il taquinait souvent sa femme, qui l’engueulait en flamand. André se rappelait, quand il avait 9 ans, avec des copains ils avaient énervé un peu trop deux allemands en bicyclette et s’étaient retrouvés à la gendarmerie. Leur père était venu les chercher, sans un mot, fier, sans cris ni punitions et « Ne recommencez jamais ». Quelques jours après, il les avait emmenés dans un champ bordé d’une clairière où avaient été laissées là un tas de grenades non explosés et tous ensemble les avaient fait éclater avec ardeur, « Et vous n’en parlez pas à Maman ». Tous connaissaient peu la famille restée en Belgique, les enfants y retournaient chacun leur tour en vacances pour donner la main. Mais André n’aimait pas y aller, les belges parlaient fort et en flamand, il avait toujours l’impression qu’ils se moquaient.A mesure que les quatre garçons grandissaient, ils travaillaient avec le père et André le racontera plus tard, c’est vers 14, 15 ans qu’il décida de ne pas rester paysan, il n’y aurait pas de place pour lui, ce qui se précisa à mesure qu’il grandissait. C’est au service militaire, en 1958 et 59, au moment de la guerre en Algérie, où il n’eut pas de mauvais choix à faire, et se trouva des copains très proches le pire furent les gardes de nuit en dehors du camp, avec l’ordre de tirer à vue où ils avaient tous eu la trouille, là sa décision se fit plus précise. Il rentra chez lui, par le train, où il échangea avec un prètre qui lui parla du métier d’éducateur, resta peu de temps à jauger tout ce qu’il allait perdre, sa vie dans le bois héluin, les haies, le calme, les odeurs de blé et de fumier, l’alouette. Mais aussi, il avait connu une vie variée, des copains, des fêtes avec des filles. Il était plutôt trop sérieux, ses copains l’appelait le séminariste. Il avait fait la connaissance d’un africain avec qui il avait beaucoup échangé, gardé son adresse pour plus tard. Et puis rester dans cette Lamaronde, à peine une ville, plutôt un gros bourg ne lui apporterait rien, Cette intention d’être éducateur s’est imposée à lui, et c’est ainsi qu’il franchît la porte de l’école d’Epinay-sur-Seine.

il venait de Lamaronde, en court...

André venait de finir son service militaire et rentrait chez lui, chez ses parents, mais déjà savait qu’il ne pourrait pas y rester. Déjà 3 frères aînés sur la ferme, non, pour quoi faire ? Dans le train du retour, il avait parlé avec un prêtre, et qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? Et pourquoi tu ne serais pas éducateur ? L’idée lui tourna dans la tête, ce serait donc une arrivée et un départ furtifs ? Chez lui, c’était un tout petit village de Picardie, « Tiens, tu es là, toi ? » pas très causeurs dans la famille. Il vit les haies, taillées tant de fois, le bois héluin nettoyé, élagué, les champs de blé immenses et l’alouette, du sol, elle montait à la verticale en trillant. Tout lui avait tellement manqué pendant son service, mais en revoyant ses frères aînés occupés à conduire les chevaux, un tracteur tout neuf, aller semer, ils iraient moissonner et lui, il lui restait des occupations, le jardin, les haies, les bois. Non, il partait, sûr. Peu de jours après, il reprit sa valise et le train en sens inverse, il irait directement à l’école d’Epinay-sur-Seine.

2. partir et devenir


proposition de départ

Depuis quatre ans, je n’étais pas retourné dans le centre du village. Un mariage avait lieu et sans être des invités, je tenais à y aller. Après la cérémonie on s’est retrouvé au café pour un pot offert. Plusieurs tables ont été vite pleines, je me suis retrouvé dans un coin, d’où je pouvais voir et essayer d’entendre tous ces gens que je revoyais avec plaisir. Installés à coté de moi, ils étaient 4, un couple de 50 ans, Céline et son mari Paul, Maurice seul comme toujours, plus âgé, et Vincent, la trentaine, on était au collège ensemble. Déjà ils étaient loin du mariage, il n’est pas parti avec l’idée de revenir, il avait dit je resterai toujours ailleurs, pas de retour ? Il voulait échapper à quoi ? Tu te souviens Céline, avant qu’il s’en aille, on les aimait bien, on les admirait, ils vivaient simplement dans la maison achetée récemment, ils étaient naturels, vivants, on les voyait au village, aux réunions de parents. Lui, le seul parti au loin, était à l’ haltérophilie et surtout au club de trial, on le voyait partir avec son jeune frère. Vincent m’avait dit qu’ils passaient tous les deux des soirées entières à jouer du métal sur leur guitares électriques, juste à l’oreille. Maurice enchaîne, ça m’a énervé quand il est parti, il va chercher quoi qu’on n’a pas ? C’était pas bien ici ? Il était si mal que ça ? On n’aurait pas dit ! Qu’est-ce qu’il a vu de plus ? Tout seul chez moi, je voyage aussi, je cherche en moi, J’approfondis, je me pose des questions. Et Céline s’y met, des moments, on aurait bien changé de vie, la répétition, l’ennui, mais pas partir, non, je m’évade à la bibliothèque, il est je crois, continue Maurice, parti en woofing, avec ces pays inconnus, on a profité de lui, tu donnes la main on te prend le bras et voir des musées, des monuments, ça va un moment et...Vincent l’arrête, il n’est pas parti en croisière ni en voyage organisé quand même, son voyage a duré dix-huit heures, mais là-bas, il est resté deux ans. Une fois j’ai eu des nouvelles, ses parents sont allés le voir huit jours, et j’ai vu des vidéos de lui, plutôt de ce qu’il faisait, il voulait toujours plus se perfectionner, et la moto et le sport, et les travaux dehors et les grands espaces... Et voilà, il est revenu, lui qui ne voulait pas rentrer, fini le voyage sans retour ? Les jeunes, ça voyage, ça pérégrine, ça construit rien... Tu critiques, tu as la réponse, toi, partir ou pas ?... Eh bien oui, je suis d’ici, mon père est né ici, mon grand-père a construit la ferme, il est mort ici...Hé, ça ne veut rien dire ça ! Et toi, tu es quoi, c’est ça la question. Tu as peur de l’inconnu, oui... Ce qui est sûr, c’est qu’il a voulu échapper à quelque chose et à quoi ? Le couple ne dit plus rien, le silence s ’installe. Je suis songeur, est-ce qu’on trouve en partant, est-ce qu’on change ? Il a l’air plus serein, ces deux ans ont laissé des traces. Mais il s’était passé quoi avant qu’il parte ? Grande question. Chacun des quatre y pense, boit son café, son thé, son pastis, ils vont s’en aller.

Codicille. « l’anthropologue parfait qui ne touche à rien, s’efface,assimile, archive, ne pas souffler sur la poussière, ne pas nettoyer » voilà ce qui m’a fait démarrer. J’avais gardé depuis longtemps un article de Libération -– du temps où il était vraiment un journal — sur Edmond Jabès « L’écriture du désert, poète et romancier de l’errance » à propos de son livre Du désert au livre et j’ai assimilé le départ à une recherche du désert.

1. le tintinabulement de la clochette


proposition de départ

Il court. Je vais l’avoir, comment j’ai fait pour ne pas mettre le réveil ? Je vais être en retard. Bon, il s’arrête ? Il fonce et entre de justesse dans le tram, il a ses écouteurs. Comme ça, je n’ai pas besoin de dire bonjour, m’obliger à discuter pour ne rien dire. J’ai laissé les enfants à la maison, ce n’est pas le moment, comment vont-ils se débrouiller ? A le regarder, on devine que sa femme vient de le quitter. Il a l’air désarmé, surpris. La quarantaine, ses enfants sont jeunes. Déjà qu’au travail ce n’est pas facile, je n’aurais jamais dû l’écouter, tout ce temps perdu. Bon, je file à ce rendez-vous important pour la suite. Il est élégant dans son costume, il écoute Bill Evans, tiens, déjà l’arrêt il entend la clochette à l’instant où il descend. Le tram est plein, 7 heure 30, il est tôt, ambiance plutôt calme, une légère odeur de parfum. A coté, la jeune femme toute tendue, il ne faut pas s’approcher d’elle, elle ne veut pas qu’on la touche. Perdue dans sa tête, elle entame la peau de son sac à l’endroit où des paroles se trouvent écrites. Comment je vais faire ce matin, j’ai trop de travail et il faut que j’aille voir maman ce soir, ne pas oublier surtout, elle vient de changer d’appartement et c’est trop de dépaysement pour elle. Mais comment fait-elle Annie, avec ses trois enfants ? Ah ! J’ai oublié d’éteindre la chaîne en partant, et voilà ! Avec le casque je vais de la cuisine à la chambre, en ce moment c’est Brad Mehldau en boucle. Je n’ai pas à me plaindre, mon travail me plaît et je vis toute seule. C’est mon arrêt. Le tram s’arrête et sa clochette vient de résonner : fini, le calme, les jeunes envahissent l’allée centrale, tout est plus bruyant. Et lui, il se tient à l’écart, il écoute tout mais ne dit rien. Les autres rient, lancent des paroles on ne sait pas à qui, s’agacent les uns les autres, tout n’est que maladresses, impatiences chamailleries, ils ont tous les écouteurs accrochés aux oreilles, c’est « Right Swipe » de U-Bahn. Tom lui a dit l’autre jour:des fois tu ne dis rien, et des fois c’est le contraire, tu n’es pas obligé d’en faire trop pour te faire accepter, sois nature. Ça cogite dur pour lui il est en section PAO, c’est fou, exactement ce que je voulais, mais avec le changement du collège au lycée je n’ai plus mes copains, alors je lance des vannes qui tombent à plat, je parle trop fort dans la classe. Vivement ce soir que je finisse le montage de ma vidéo sur le skate, il manque la musique aussi. Une odeur d’arachide tiède, on dirait sur leurs habits. Quelques arrêts plus loin, changement complet de population, c’est l’heure des qui ne travaillent pas. Lui, la clochette lancinante l’a prévenu, il vient de monter avec difficulté, une valise à roulette l’encombre mais il a l’air d’y tenir comme à la...enfin il y tient, on le voit à la façon dont il la coince entre lui et un siège vide. Il est déboussolé, regarde à droite puis à gauche, touche du bout des doigts sa casquette déformée, usée, revient vers sa valise, elle est bien fermée oui, ça va. Je suis monté par hasard dans ce tram, tiens il s’arrête encore, j’aime bien le ding-ding de la clochette, je descendrai deux arrêts plus loin le temps de tourner un peu dans les rues, voir du monde, et je remonterai avec mon barda . Voilà bien trois ans que je fais ça, je rentrerai chez moi dans une heure. Il est angoissé, ne s’occupe pas de sa tenue ni de ses chaussures toutes abîmées, il a l’habitude, il est fatigué et regarde de nouveau sa valise. Je n’ai pas grand chose dedans des vieilleries aussi poussiéreuses que ces banquettes et j’oublie tout, mais elle me rassure. De toute une vie, il ne me reste que ça . Ho ! J’ai Michel aussi, il a bossé autant que moi, maintenant on profite, on aime bien écouter de la trompette, de Maurice André. Chaque jour est du rab, un cadeau. Merci, Madame, c’est très aimable. La sonnette vient de tinter. La dame fait un petit signe discret et va s’asseoir à côté d’une autre montée en même temps,avec beaucoup de mal, c’est une grosse dame très mal à l’aise dans sa peau. Elle regarde en-dessous celle qui vient de s’installer. J’en ai mare qu’on me reluque, je suis mal fagotée, je sais,mais je ne trouve rien à ma taille. Je vais être en retard à mon rendez-vous chez le dentiste. Ce soir, j’ai mon petit-fils, tant mieux, il me fait rire et il discute avec moi, il me chante des chansons en anglais et il a l’accent ! Pardon Madame, je peux vous demander... Oui bien sûr... le prochain arrêt c’est place du peuple ou l’hôtel de ville ? ...C’est place du peuple... Merci, parce que je viens de finir un pull et il me manque quelques boutons... Vous allez à la mercerie ? J’y vais aussi... Elle parait bien cette dame, ses cheveux sont retenus par un petit peigne et ses longues mains aux vaines bleutées sont très fines et voilà qu’elle me parle comme si on se connaissait depuis toujours, et elle continue...Je viens de me remettre au tricot depuis que je suis à la retraite, j’écoute beaucoup de chansons, Jean-Louis Aubert je l’aime beaucoup. Il faut que je m’occupe, les enfants se sont mariés à deux mois d’intervalle et la maison est vide. Ça fait 42 ans que je travaillais comme vendeuse, j’ai pris le tram pendant tout ce temps. Sa petite clochette tintinabule tout le temps dans ma tête.

Un codicille. J’ai commencé ce texte à reculons : comment je vais faire par où je commence ? Ça a été le tram, j’aime beaucoup le prendre du sud au nord, dans cette « grand’ rue »toute droite de 7 km. surtout quand je n’y ai aucune obligation. Et le livre, c’est irrationnel, j’ai repensé à Boussole de Mathias Enard, sûrement parce qu’il me suit depuis un bon moment, il parle énormément de musique, il est fiévreux,il relie l’orient et l’occident. J’ai écrit en le relisant.

 



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1ère mise en ligne 22 juin 2020 et dernière modification le 11 novembre 2020.
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