contribution auteur | Lucie Renaudin

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Rêveuse inadaptée, tête ennuagée qui plonge dans des mondes faits de mots, en noir et en blanc, en gris et couleurs aussi ! Psychopathe qui ne ferait pas de mal à une mouche mais à un moustique si faut pas pousser non plus. Grande faculté à s’intéresser à des métiers dits sans avenir. Et on en vit ?

Son site : realittes.fr.

Ses contributions à l’atelier ville.

Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _ 5 _ 6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 3

Quatre légendes rapportent l’histoire d’Astérion.

Prince issu des amours inavouables et pulsionnelles de sa mère et de la force brute, la première nous raconte que le roi trompé éloigna l’enfant et l’enferma dans une gigantesque demeure labyrinthique à cause de sa sauvagerie et du danger qu’il représentait.

La deuxième, alimentant la peur, nous raconte que chaque neuf années, neuf jeunes gens étaient envoyés en sacrifice à cet être monstrueux et sanguinaire pour expier un meurtre passé.

La troisième, dans sa version moins connue, nous dit que Thésée, prince sacrifié, partit combattre le Minotaure pour mettre un terme à l’abominable rituel. Là, il croisa de nombreux jeunes gens enjoués, jouant, batifolant, parfois accompagnés de jeunes enfants, au fil des innombrables salles, chambres, couloirs amusants et patios verdoyants. Il en rencontra quelques uns, et résolu à protéger la petite communauté idéale de la sauvagerie extérieure, raconta qu’il avait tué le monstre. Ainsi on laissa les alentours du labyrinthe en paix et plus personne ne vint.

Selon la quatrième enfin, Astérion lassé de toute cette agitation s’installa dans un recoin et commença à méditer. Dans la solitude retrouvée de son monde intérieur il redécouvrit ses jeux d’antan et tous les mondes, toutes les aventures, tous les êtres qu’il y avait créés.

proposition n° 2

En reposant sa tasse il nous dît que nous pouvions prendre nos cafés avec nous pour les finir tranquillement, se leva en dressant un regard souriant à Christiane avant de se replonger dans ses pensées que nous suivions chaque jour de la cuisine à cette grande salle où nous travaillerions jusqu’à la tombée de la nuit et pour quelques semaines encore. Était-ce l’ambiance plus détendue que d’habitude, la confiance gagnée par la satisfaction de la trouvaille faite le matin-même, Diane osa une question qui, je le sentais, la tiraillait depuis sa première visite. Difficile pour un esprit curieux de ne pas s’interroger, difficile pour une romancière sans doute de ne pas laisser courir son imagination derrière une porte close, la seule porte close en dehors de ma chambre et de celles de mes soeurs, de la maison. Ce qui me prouva qu’il devait beaucoup estimer Diane, c’est qu’aussitôt il s’engouffra dans la pièce remplie d’archives. L’immense salon (enfin, ce qui un jour avait été un salon) barré en tous sens de rayonnages surchargés. Ici les étagères où attendaient les gravures de costumes, les modèles, les patrons, les échantillons de tissus, là les recueils sur la gastronomie, les précis d’architecture, les études sur l’évolution de la société au cours des 18e et 19e siècles et les livres d’histoire de tous les pays d’Europe, la Révolution Française, le Consulat et l’Empire, et le couloir de rayonnages dédié à toutes les biographies de Napoléon qu’il avait pu trouver. Au centre, un vaste espace où une bibliothèque chargée de classeurs et de piles de papier coloré et dactylographié s’adossait à une large table transformé en bureau. Les dos de certaines bibliothèques utilisés comme panneau d’affichage montraient des cartes d’Europe et d’autres régions non reconnaissables au premier coup d’oeil, annotées et épinglées, un large tableau détaillant les scènes en regard d’un calendrier laissé vide et une frise chronologique découpée mois par mois de 1768 à 1821. Une reconstitution en bonshommes de plomb sur une grande planche sur tréteaux finissait d’envahir l’espace.

Sur le bureau, quelques feuilles dessinées permettaient d’entrevoir l’ébauche du storyboard laissé en suspens.

« Oh c’est juste un projet qui me tient à cœur depuis quelques années… je ne peux pas comprendre comment un homme aussi intelligent a pu sombrer. Malheureusement les films en costume coûtent cher et ne font plus recette. »

Puis après une pause il ajouta :

« Jack n’incarnera peut-être jamais Napoléon mais on va enfin pouvoir travailler ensemble. Il sera un formidable Jack Torrance. » en repassant dans le couloir puis la pièce voisine. Diane se mit alors à l’interroger en vue d’approfondir leur idée du matin.
« Si le labyrinthe est pris comme symbole de la psyché humaine, pourquoi Danny s’en sortirait-il mieux que Jack ? Par son pouvoir ?
— Non ! bien sûr que non, laissons la magie de côté… je crois qu’il s’en sort juste parce qu’il est encore un enfant, tout simplement. »

Je l’ai toujours admiré. Au fond de moi j’aurais tant aimé pouvoir rester enfant toute ma vie, échapper au labyrinthe.

proposition n° 1

Une silhouette, de dos, sur la plage. Épaules affaissées. Le vent fort fait défiler les nuages depuis l’océan et le sable soulevé dessine les contours flous et mouvants du sol à ses pieds. Face à elle et à perte de vue toutes les larmes qu’elle a contenues.

Au milieu d’un édifice aux murs à moitié construits un homme assis à sa table de travail, tête dans les mains, concentré sur les plans de ce qui devrait être sa future maison. Partout commencée mais pas encore finie. Une flaque au centre du chantier encombré reflète un ciel bleu d’été. Tout autour n’est qu’agitation colorée. Cerfs-volants orangers, employés de bureau en complet-sac-à-dos, randonneuses à bâtons, enfants-cartables et ados esquivants sur un perron de carton. Le chien du voisin promène son maître qui jette un regard discret. Au coin de la construction un monumental amas de pierres. Chacune pas plus grosse qu’un grain de sable.

Plusieurs silhouettes de dos une main sur leur caddie grillagé totalement vide se tiennent hésitantes et figées face à une imposante paroi de cadres pour photographies. Tous exactement semblables, toujours à un détail près.

Debout devant la porte, les yeux sur le tableau d’interphone, le doigt suspendu à quelques millimètres du bouton d’appel, immobile et flottant.

Le salon débordant de vieux livres aux dos jaunis, quelques éditions reliées, le Chronique du 20e Siècle et le Quid de 1979 soigneusement scotché. Sur la table, le Grand Robert ouvert à côté d’une grille de mots fléchés, d’une gomme et d’un crayon bien taillé. Sur les murs, les photos encadrées des enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants… et dans un médaillon, une photo usée d’avoir traversé tant d’années, fatiguée d’avoir protégé du temps cette belle femme brune aux yeux noirs cernés, creusés, aux côtés de ses deux aînées en aubes de communiantes et la main posée sur l’épaule du jeune garçon en culotte courte et marinière. Sur le buffet, une collection d’ours en peluche neufs ou anciens, glanés dans les brocantes ou sauvés d’un froid magasin, débordant sur le sommet de la bibliothèque, des étagères, du téléviseur souvent allumé, jusque sur la table-bureau, ensevelissant l’ordinateur tout neuf qui n’a jamais servi.



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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 février 2019.
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