contribution auteur | Nicole Busquant

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proposition n° 2

Décembre 1878. La goélette négocie sa dernière manœuvre pour franchir l’étroite passe à l’entrée du port. La main droite en visière au dessus des yeux pour se protéger des éclats de lumière, l’homme scrute la côte, lègèrement désapointé par la platitude du paysage qu’il devine au loin, dans l’entrelacs des mâts et des voiles dérobant la ville. Où sont les dômes et les minarets d’Alexandrie ? Il pense au phare antique dont il a lu maintes descriptions et dont il ne reste pas même la ruine. L’homme à l’oeil bleu blanc se sent tout à coup épuisé, rongé par des siècles de pluie et de tempêtes. Exilé dans l’outremer de midi, aveuglé par le miroitement de palais invisibles et de livres à jamais engloutis, le chant d’un enfant soudain le surprend. Le garçon court sur le quai, là-bas, chevauche les cordages entremêlés comme des lianes, dans un chaos de malles, sacs, balles de marchandises éventrées. Il scande à tue-tête Rimbo Rimbo...

proposition n° 1

Impossible d’attraper le regard de la fillette aux boucles sablées ; le corps est appareillé d’un habit de fête probablement sous tendu par un jeu de cerceaux en métal pour offrir à son vêtement une telle rondeur des plis ; cœur brodé sur la poitrine corsetée de l’ enfant ; que cherche son regard ? Petite femme posée là. L’autre fillette lui tend de tout son corps penché sur elle une main ouverte ; elle la mange des yeux. Une autre fille, d’un autre monde, d’ une autre époque, hors scène, scrute chaque détail du tableau.

Les minarets, clochers, dômes dorés tracent une écriture familière. Tantôt mamelon, tantôt bâton de suie. Tantôt liée, tantôt séparée. Elle offre les caractères de trois alphabets muets. Aux pouvoirs immémoriaux. N’attendent que le souffle. Puis, vient l’errance dans l’opacité de ruelles encombrées de linges, d’animaux, de véhicules à trois roues, de montagnes de marchandises entassées dans les charrettes frôlant les arcades à demi cintrées, d’enfants déguenillés, de femmes voûtées, de roues empilées, de tas d’ordures et d’épices, on avance, on ne sait pas si on se trouve sur la terre ferme ou sur le pont d’un navire tellement ça tangue.

Septembre 1979. Elle n’a rien oublié. La scène se présente comme une image fixe et muette, trempée dans une étendue d’eau à peine agitée par la fraîcheur d’une nuit. Près d’elle, au creux d’une courbe de la jetée, le garçon qu’elle a suivi dans les rochers et dont elle ne connaîtra pas le nom prépare une pipe à eau. Ils sont à l’abri. Elle voit tout sans bouger : la Méditerranée, noire, sans un pli ; les quais animés du vieux port, les palmiers, les silhouettes masculines aux tissus souples. Elle ne sait plus si les murailles de la forteresse sont visibles du point où ils se trouvent au bout de la jetée ; à ras de la ligne d’horizon, un liseré de feux scintille. Ils ne se parleront pas. La roche sous leurs corps se ramollit ; restera le souffle de l’étreinte volée à la nuit dans le silence des pierres dans le halo des loupiotes dans le murmure au fond d’une barque de pêcheurs amarrée là, dans le vieux port de St Jean d’ Acre.



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1ère mise en ligne 1er janvier 2019 et dernière modification le 22 février 2019.
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