contribution auteur | Shirin Rooze

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Metteur en scène, conteuse, vit entre Paris et la vallée de l’Aude.

Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _ 5 _ 6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 9

apocryphe
Je repose le livre. J’ai tout mon temps. Le temps m’emporte. Nous étions rebelles. Rebelles, pacifistes et anarchistes. Reiser, Cabu, Wolinski…et Pierre. C’était « le journal de Fournier », le journal qui annonçait la fin du monde.

Haute-Savoie. Le chalet. La simplicité volontaire. parfois j’écrivais des recettes de cuisine. Ou je parlais des vaccins à ne pas infliger aux enfants. De l’avion que j’ai pris pour la première fois contre tous mes principes. C’était en 1972. C’était le temps de la Gueule Ouverte. Et cela, qui n’est pas raconté dans ce gros livre, reste à moi.

apocryphe
Le souvenir de Leny Escudero m’est resté. Je l’entend encore parler : Je suis un cul rouge, un enfant de la laïque. Merde, oui, je suis un révolté. Dans un pays où l’on sait tout faire, il y a des gens qui meurent de faim. Oui, je suis écoeuré. Pour un être humain qu’est-ce qu’il y a de plus important que le temps de vie ? J’ai jamais vu un coffre-fort suivre un corbillard. Vous me demandez ce que je pense de ce monde ? C’est un monde de merde. J’ai honte du monde que je vais laisser à mes petits-enfants. Voilà !

proposition n° 8

Les faits se sont déroulés le dimanche 23 avril 2017, jour de l’élection présidentielle, dans le petit village de Rennes-le-Château.

Une jeune femme, vêtue d’un manteau noir, se présente à l’office de tourisme pour demander l’heure d’ouverture de l’église. Comme il est trop tôt, elle déambule dans les ruelles puis va boire un café. Elle demande au restaurateur de lui indiquer les toilettes. Elle en ressort quelques minutes plus tard vêtue d’une longue cape blanche, d’un voile blanc sur la tête et d’un masque de style vénitien sur le visage.

Les villageois ne prêtent guère attention à elle, habitués qu’ils sont à voir défiler des visiteurs étranges attirés par les mystères qui entourent l’histoire de l’abbé Saunière. Elle pénètre dans l’église, sort de sous sa cape une hache et devant quelques touristes médusés, s’attaque au célèbre Asmodée, le diable qui soutien le bénitier. Elle lui coupe la tête et les deux bras.

Alerté, le maire convoque les gendarmes. La vandale n’oppose aucune résistance à la maréchaussée. Elle prétend avoir agit au nom de Daech et que son mari combat en Syrie. Elle a été conduite à l’hôpital psychiatrique de Limoux.

proposition n° 7

J’ai longtemps désiré un lieu bien à moi pour écrire.

Il y a eu cette véranda, immense, lumineuse, au milieu des arbres. Elle avait été promise à mon désir d’écrire de la fiction. Elle n’a jamais été terminée — du moins tant que j’ai vécu dans cette maison. Il s’en servait comme atelier, comme dépotoir, y entassant une infinitude de pièces mécaniques de toutes les espèces.Et quand bien même aurais-je joui de cette véranda, aurais-je eu le temps d’écrire entre le travail, les enfants, les courses et les panières de linge à repasser chaque dimanche après-midi ?
Ecrire— écrire de la fiction, car j’ai toutefois gagné ma vie comme écrivante— a longtemps été un fantasme inaccessible.

Je ne ferai pas l’inventaire de mes lieux d’écriture depuis que j’ai gagné au prix des larmes et de la solitude, ma liberté. Je ne parlerai que d’aujourd’hui.
Je vis dans une grande maison à la campagne dont j’ai fait une résidence d’artistes. Des amis y vont et viennent. Nous racontons, nous jouons, nous écrivons. Il y a des petits bureaux dans chaque chambre, il y a la terrasse et même le jardin.

Je suis un oiseau de nuit. J’écris rarement avant quatre heures de l’après-midi. Je choisis la bibliothèque en hiver, la terrasse en été, la table de la cuisine à l’occasion ou encore le canapé. Je me sers principalement de mon cher Macbook Air, compagnon docile et léger qui s’accorde à tous les repentir. Mais j’ai des cahiers, des carnets, des bloc-notes. Un cahier de rêves, un journal tenu irrégulièrement, un petit carnet de citations. Dans le grand bloc journalier fourre-tout, les idées éparses se mêlent aux rendez-vous, aux horaires de train, aux gribouillis dessinés pendant les coups de téléphone un peu rasoir…J’aime acheter de beaux cahiers dont je n’ai pas un besoin immédiat, et je les range dans un placard. J’utilise de préférence des stylos à dessin à pointe fine et si je n’en ai pas ou plus ou qu’on me les a piqués, j’écris avec ce qui me tombe sous la main à condition que l’encre soit fluide et la bille douce sur le papier. Autrefois, je n’écrivais qu’au stylo à plume d’or et j’étais persuadée que jamais je ne pourrais m’en passer ! Comme tout cela a peu d’importance, finalement. Toutes ces petites manies s’évanouissent et disparaissent lorsqu’un vrai sujet me taraude ! Qu’écrire devient une nécessité.

proposition n° 6

Du vernis noir usé sur un ongle long taillé en amande, couronne un index rongé d’arthrose dont la dernière phalange de traviole est posée sur l’Arcane XV du Tarot de Marseille version Jodorowsky. Vernis usé mais pas écaillé. Le bout de l’ongle est dégarni et laisse voir sa transparence laiteuse.De quand date cette manucure imparfaite ? Trois ou quatre jours ? Ferait-elle sa vaisselle à la main ? Lessiverait-elle dans une bassine, chaque soir, son petit linge intime avec du savon trop caustique ? Les ailes de l’ongle ne sont pas recouverts non plus. Ne l’ont jamais été. Elle s’est contenté de passer le petit pinceau gluant au milieu en deux ou trois coups. Ça se remarque pour qui regarde. Elle a négligé les bords pour éviter de maculer la chair. Y voit-elle encore assez pour tenter la perfection ? Ou alors plutôt, n’en a -t-elle rien à foutre de la perfection ? Elle se peint les ongles en noir comme une punkette parce que ça lui fait plaisir, qu’elle est une vieille dame indigne qui tient une boutique foutraque, qu’elle lave à la main ses petites culottes, qu’elle tire les cartes et qu’elle aime l’abbé Saunière. Son beau Béranger ! Et basta !

proposition n° 5

à plus vous embrasse… bonjour madame … livres empilés revues…fatras poussière…curé Béranger suaire de Turin dame à la licorne… derrière comptoir vieille en noir… sur parvis piaillements en amerloque… meute de retraitées … Da Vinci Code boire à la source…selfies à la perche ? Selfies et gloussements…lunettes pendantes sur poitrine maigre…chaînette de perles brunes translucides autour du cou et croix ansée… chapelets sur le comptoir mêlés aux pendules en cristal…vieux gros doigts bagués à l’excès et vernis noir sur Tarot déployé…petit ange ailé tout blanc à côté…Asmodée ? tête et bras coupés !…une folle…a la hache…vêtue de blanc et masquée…un rituel alors…satanique…Daech Allah Ouakbar… pas sûr …asile psychiatrique…prison procès jugement prison…restauration…tronc dans l’église…silence soudain…les veuves américaines redescendent l’unique rue vers l’autocar derrière le guide portant sous le soleil un parapluie ouvert .

proposition n° 4

On ne le voit pas de la route. Ce village.

Si pourtant. Dans le virage de Luc-sur-Aude vers Couiza soudain là-haut sur la colline, pointe le sommet d’une tour. Image fugitive. Encore faut-il savoir que c’est ça. Que c’est ce village.
« Rennes-le-Château » est le nom de ce village. Et c’est un nom célèbre.
Personne ne grimpe là-haut pas hasard. Personne ne s’égare sur cette piste en lacets par hasard.
Dix-sept habitants. Un château déglingué. Un bout de rempart. Quelques masures blotties les unes contre les autres. Un panonceau :« les fouilles sont interdites ». Une vue ébahissante sur la vallée avec les cimes bleues et blanches du Canigou en arrière-plan. A gauche le Bugarach au profil de roi endormi.
Il y a tout cela. Il y a aussi les constructions stupéfiantes réalisées par ce curé, celui qui aurait trouvé un trésor : la tour Magdala, le jardin aux arbres de Judée, l’orangerie, la maison de maître.
Et puis l’église. L’église. Sa pénombre et ses bougies. Ses statues en stuc, naïves et colorées. Ses murs ornés de frises bleu pâle et rouge brique comme un livre d’images Art Nouveau. Le démon à l’entrée, qui soutien le bénitier. Et Marie Madeleine lavant les pieds de Jésus : une peinture ornant l’autel qu’une folle a maculé de noir.

Autour de ce village, légendes, mystères, énigmes et canulars s’empilent. Rennes-le-Château est un mille-feuille qui fait fantasmer. Chaque été des hordes de touristes déferlent dans la petite rue et se tirent le portrait sur le porche de l’église en piaillant en italien, en allemand ou en américain. Mention spéciale à toi, Dan Brown. De ces histoires fascinantes tu as fait tes choux gras !
Mais il n’y a pas que le « Da Vinci Code ».
Une librairie ésotérique est blottie tout contre l’église. Elle est tenue par une très vieille dame volubile. On y trouve un fatras de bondieuseries, d’anges en plâtre, de chapelets, de pendules, de fleurs de vie imprimées sur des sets de table, de panoplies de chevaliers pour enfants de six ans, de reproductions sur tissu de la tapisserie de la Dame à la Licorne et puis des livres. Des monceaux de livres dans toutes les langues qui expliquent et démontrent et racontent l’histoire de ce curé, l’Abbé Saunière et celle de la descendance supposée de Jésus et de Myriam de Magdala. Oui, tel est le noeud de l’affaire. Myriam de Magdala aurait vécu ici après avoir fui la Palestine, elle y aurait mis au monde une fille et aurait confié la dépouille de Jésus à une des grottes qui entourent le village. C’est ce que croit la libraire. Le problème est que l’on n’a pas encore retrouvé ce tombeau. Donc certains cherchent. Tandis que d’autres viennent ici vénérer la sainte devenue à l’ère du New Age, un avatar de la Déesse Mère.

Tu pourrais croire, toi qui me lis, que j’ironise. Non, je ne suis pas différente de ces femmes et de ces hommes qui ont senti que ce troisième millénaire serait celui de Dieu la Mère ou s’en irait à grands pas vers le chaos. Je ne vis pas au pied de cette colline par hasard.

Ecrire pour ajouter mon grain de sel aux légendes, aux rumeurs qui circulent autour de Rennes-le-Château ? Ce n’est pas, ce ne sera pas mon projet. Alors, d’où vient que j’ai tiré ce fil-là ? Quelque chose se cache encore sous ces apparences qui demande à voir le jour. Patience.

proposition n° 3

Ce conte traditionnel présente bien des variantes.

Selon la première, c’est l’histoire d’un loup qui a dévoré coup sur coup une grand-mère et une fillette mais qui a dédaigné une galette et un petit pot de beurre.

Selon la deuxième, c’est l’histoire d’une fillette qui a dévoré une grand-mère et couché ensuite avec un loup mais qui a dédaigné une galette et un petit pot de beurre.

Selon la troisième, c’est l’histoire d’une grand-mère qui a couché avec un loup avant de dévorer une fillette mais qui a dédaigné une galette et un petit pot de beurre.

Selon la quatrième c’est l’histoire d’une galette et d’un petit pot de beurre qui, échappant à la convoitise d’une fillette, d’un loup et d’une grand-mère, les ont regardé passivement se dévorer entre eux.

proposition n° 2

étonnamment chaude pour un mois de décembre, M ; s’assoupit dans son transat et les feuillets qu’il tient à la main s’éparpillent sur le plancher de bois du plagiste.

Brusque coup de vent. Le brouillon de discours, semblable à un envol de mouettes rieuses, s’éparpille vers la mer.

Couché tout habillé sur son lit d’enfant, M perçoit un léger baiser sur son front. Sa maman le réveille d’une sieste en lui murmurant qu’il est à présent en vacances pour toujours. Elle le prie de se lever, lui met dans les mains un panier d’osier en l’envoie acheter à la pâtisserie des chocolats en forme de Père Noël pour distribuer le lendemain aux grandes personnes.

Le jeune M en culottes courtes et le panier au bras, descend la grand rue déserte. Il marche au milieu de la chaussée, seul avec son panier, et se dirige vers la pâtisserie dans laquelle travaille la dame blonde.

La dame remplit le panier de chocolats en forme de Père Noël et glisse un bonbon dans la bouche que l’enfant entrouvre comme pour recevoir l’hostie.

Mais le bonbon goûte la moutarde forte, la jaune moutarde de Dijon et M se réveille en sursaut dans son

proposition n° 1

C’est un arbre. Tronc énorme. Écorce grise déchiquetée comme autant de feuillets de papier. Belle frondaison mais courte. C’est un arbre trapu. Le coeur de l’arbre est ouvert. Il y scintille parmi cette écorce en lambeaux, une étoile gigantesque, très jaune, un sceau de Salomon.

Hall d’entrée d’un immeuble contemporain à Paris. Batterie de boîtes aux lettres en métal vert. Chaque boîte est fermée par un petit cadenas doré.

Je suis dans la rue et j’ai soudain mes règles. Je n’ai aucune protection dans ma culotte. Une tache de sang énorme, écarlate, tombe sur le sol entre mes jambes.

Une couronne de roses en plastique délavé par les intempéries, en forme de lemniscate, repose dans une flaque boueuse creusée au milieu de l’allée mal entretenue de ce tout petit cimetière de village.

Un jeune chat tigré s’échappe d’un buisson et s’enfuit, la queue haute. Les poils de son petit derrière sont blancs, comme ceux d’un lapin.

Une robe de tissu moiré noire, devant servir de costume de scène, est mise à tremper pour décantation, dans une cuve à vin.



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1ère mise en ligne 29 décembre 2018 et dernière modification le 16 février 2019.
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