contribution auteur | Michèle Ducret

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Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _ 5 _ 6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 9

Scènes de vies enfantines…
Le soleil hésite entre éblouissement printanier et chaleur estivale, les oiseaux aussi dont les trilles aiguës font par moment place à une mélodie continue et rythmée. Deux fillettes jouent sur les marches de la maison de l’une d’elles ; le jeu de la marchande, à défaut d’en inventer un autre. Le grand-père sort de la cuisine, les salue d’une pichenette sur la joue en passant devant elles, avant d’entamer sa promenade quotidienne, arpentant les ruelles du village, les mains croisées comme soudées derrière le dos, la tête penchée : rituel familier et rassurant.
Elles poursuivent leur jeu sans grande conviction, se chamaillant mollement « c’est toujours toi la marchande ! »
L’attention de la seconde est un instant détournée par une autre scène à peine plus loin...Impossible d’attraper le regard de la fillette aux boucles sablées ; cependant elle le connaît bien ce fameux regard tellement déroutant d’azur, de franchise et de détermination, c’est sa sœur qui devant le regard, dans le petit matin, au milieu de la rue avec le soleil bas glissant ses rayons givrants sur toute la scène a décidé qu’elle ne céderait pas un pouce de la ruelle qu’elle a fait sienne afin de contempler une fleur, un caillou et, le temps d’un moment ne pas bouger même face à l’exaspération de quelques rares automobilistes qui après moult appels de klaxons ou interpellations diverses descendront de leur véhicule afin de l’enlever du milieu de la chaussée et de la déposer tout aussi doucement sur le bord pour pouvoir poursuivre leur route. Elle lui évoque le mythe de la chèvre de M Seguin dont elle n’a retenu que la première : celle dont Blanquette se libère de la chaîne à laquelle M Seguin l’avait attachée pour qu’ elle ne tente pas d’imiter la Noiraude...elle n’aime guère Blanquette et encore moins la peine qu’elle cause à son bienfaiteur en ne répondant pas à ses appels désespérés et en tentant d’imiter Noiraude ! Pour l’heure sa sœur rêve devant un vélo nonchalamment adossé à une barrière : oui ce vélo bleu est important et je l’aurai ; il est tellement plus beau et attirant que celui de ses aînées, flanqué de petites roulettes. Celui ci est flamboyant de ciel bleu : saurait elle l’enjamber au risque de devoir s’arrêter contre un mur et d’érafler la peinture ? Elle est encore si petite !
Les deux autres fillettes poursuivent leur jeu sans guère de conviction. Le vieux monsieur a terminé sa promenade et après un clin d’oeil descend la petite pente qui mène à la grange où il s’effondre d’un coup, les mains toujours liées dans le dos. Elles lui jettent un regard attendri : il doit être fatigué et se sera endormi.
La mère brutalement surgie les chasse comme deux moineaux inopportuns.
Qu’importe… elles viennent d’être happées par l’exploit d’un garçonnet qui grimpe avec l’habileté d’un singe à l’un des poteaux en béton supportant les fils électriques. Il ne faut pas jouer avec les garçons a dit la grand-mère de la seconde sinon on va en enfer. Effrayant mais le garçon est là et semble les inviter à la transgression inéluctable…
Les yeux des fillettes se sont écarquillés aux propos de ce petit « effronté » comme le qualifient d’un même accord leurs mères.
Entre temps le vélo bleu a disparu.

Le même soir les quatre gosses sont collés derrière la porte du couloir. Pieds nus, en chemise de nuit et pyjamas.
Elles sont toutes quatre, les parents ont interrompu leur conversation à voix basse, ils ne vont pas tarder à monter l’escalier
Sur qui tombera la foudre parentale ? La première qui aura rapporté un nouvel animal : souris ou serpent au gré de ses aventures diurnes et qui fera hurler de peur la mère ?
La seconde, dont bien sûr les parents auront deviné le secret des révélations de l’effronté ?
La troisième : a t’elle osé emprunter le vélo bleu ?
La dernière enfin trop petite, effarouchée comme un rongeur timide, qui ne se sent nullement fautive mais attend que l’orage qui fera dégringoler les tuiles sur la tête de ses sœurs ne l’effleurera que d’un souffle !

Les parents déboulent enfin , un peu essoufflés : pas un reproche, pas le temps non plus de poser une question : « il est temps de fermer les yeux et de dormir « intime le père.

proposition n° 8

Un nouveau soleil se lève sur une journée qui somme toute aurait pu être banale. Au loin le lac offre sa surface étale, les montagnes sont à leur place.

Le diable ne l’a pas entraînée dans la fournaise promise.

Son père enfourne ses pains sans se douter du sens nouveau qu’il représente désormais pour sa fille.

Sa mère lui annonce que le vieux monsieur est parti : où ? Peut être en Italie songe l’enfant en pensant aux rares fois où il avait évoqué avec son drôle d’accent zézayant, la lumière et les pierres chaudes de son pays natal : les recherchaient il lorsqu’il déambulait les mains croisées, la tête penchée à travers le village ?

Au ciel ! Reprend brutalement la voix de sa mère ; la même qui lui annoncera des années plus tard la mort de son amie d’un sans appel « on l’a enterrée ce matin ! »
Le garçon effronté et agile comme un singe ira sans doute aujourd’hui encore semer le doute et le trouble dans d’autres jeunes esprits ; d’ailleurs d’où lui vient son étrange savoir ? Dit il vrai ?

Sa sœur au clair regard cherchera une nouvelle fois fleurs et cailloux qu’elle contemplera à son gré, là où elle a choisi d’être.

C’est la même journée qu’hier, pourtant elle se sent lourde, troublée ; quelque chose a changé et malgré le soleil qui, après sa valse hésitation matinale, choisira la touffeur, elle a froid !

proposition n° 7

A treize ans, un jour comme ça elle avait décidé qu’elle écrirait et s’appellerait « Gilberte Larivière » : pourquoi l’imminence de cette pensée, la même peut être que celle qui a quatre ans l’avait plongée dans un abîme sans fin ?
Elle se souvient qu’elle se rendait à la corvée bihebdomadaire d’aller remplir des bouteilles à la fontaine thermale : on y fait la queue, des rencontres hâtives parfois pas trop agréables, d’autres plus enchanteresses qu’on aimerait poursuivre indéfiniment ; est ce pour figer le temps, le fixer, l’épingler avec des mots qu’elle avait pris cette décision soudaine ?
Alors elle tente ses premières phrases sur une page aussi vierge et naïve que son espoir sans nom ; une première jaillie fragile, facile et précieuse mais tellement indomptable que la suivante surgie elle aussi comme du fond des eaux, ne peut trouver sa place, tant l’autre s’ancre, violette sur la blancheur de la feuille. On dirait deux poissons gigotants, frétillants qui ne demandent qu’à retourner à l’eau.
« Gilberte » est pleine de ces mots qui l’habitent, la hantent quoi qu’elle fasse ; elle les promène pour les bercer, les contenir, les apaiser, s’apaiser...en vain !
Un jour elle a l’idée, le jour du sixième anniversaire de son fils, alors qu’elle est seule au travail entre deux rendez vous, de prendre un petit carnet vide et d’y jeter deux ou trois pensées dans cet instant précis, creux de l’absence de son enfant.
Et c’est le début de toute une série de carnets emplis tantôt hâtivement, fiévreusement de tous ces mots qui l’emplissent, tantôt dans une sorte de quiétude, de grâce un peu divine !
Elle écrit dès qu’elle est enfin seule, assise à la table ronde de la cuisine qui est plutôt accoutumée aux repas familiaux et au bourdonnement quotidien.
Bien vite le rituel semble la nourrir, elle ne paraît vivre que pour ces moments emprunts d’un apaisement confortable et inimaginé : les mots semblent cohabiter harmonieusement, sans se repousser, en demandant toujours d’avantage.
La magie du moment : sortir carnet après carnet, rouge, noir , violet puis le stylo qui de sa pointe formera lettre après lettre la phrase qui l’obsède, la tient toute entière . Elle se souvient de la plume qui l’accompagne trente années durant, une plume en or, suffisamment douce mais pas trop ; du corps qu’ il faut décapuchonner en le dévissant doucement et de l’extase qu’il procure lorsqu’il glisse allègrement sur les pages quadrillées du carnet à peine commencé ou au contraire largement entamé. Elle anticipe, savoure à l’avance ce moment juste en y songeant…
Les pensées se bousculent, les mots éclosent à peine effleurés.
L’un de ces carnets contient un bonheur à peine dicible : elle attend son second enfant et des bouffées de cette joie presque palpables deviennent peut être trop intimes, pas destinées à être lues ?
Un jour, il y a peu, elle les a détruit un à un, se blessant, se meurtrissant de façon certaine !
Et puis elle recommence ou continue ? On dirait qu’elle ne peut s’empêcher de tenter de retenir le temps ; cette fois un carnet à spirales dont pourtant elle n’arrache pas les pages, ne met pas toujours la date : qu’importe ? Le temps est le plus fort, elle sait désormais que « Gilberte »n’aura pas eu sa chance, son heure.

Depuis qu’elle a quitté la grande ville, elle aime écrire assise sur un vieux tronc de sapin tranché, coupé net dans son élan de sage contemplatif et silencieux ; elle pense à celui majestueux, défiant le temps dans le grand jardin de son enfance : a t’il connu le même sort cruel ? Elle en caresse tendrement les nœuds et l’écorce rugueuse avant d’ouvrir son carnet ; elle s’assure du poids du stylo dans sa main : elle l’aime lourd, épais car il semble asseoir plus sûrement les mots ; elle regarde à ses pieds les jeunes pousses, perçoit les senteurs de fumée ou de printemps naissant ; s’apitoie sur les arbres maigres au sortir de l’hiver ; songe distraitement qu’il lui faudrait ôter la mousse de la murette.
Et elle couche enfin sur le papier les petits riens, les soucis ou les bonheurs de tous les jours.
Elle écrit, se libère de tout ce qui l’envahit et qu’ elle traîne avec elle à longueur de temps, d’heures ; des mots avant qu’ils ne deviennent maux.

Qui aurait pu être le sujet ? Elle même enfermée dans ce corps et cet esprit depuis que datent ses premiers souvenirs : quelle forteresse tellement peuplée de lieux, pensées, hantises, enchantements, tristesses, deuils ; puis à nouveau repeuplée, enfants, petits enfants...richesse et dérision d’une vie qui galope, nous suit nous poursuit et enfin nous rattrape.

proposition n° 6

Le sommeil s’est fait silence, léger, presque aérien. Les voix se sont tues. La mère dort digne et droite ; seule sa jambe qui tressaille par instants attire l’attention de sa fille accroupie près de son fils ; elle regarde , sans vraiment le voir, dévoilé par le mouvement spasmodique, l’ouvrage crocheté par sa mère, point par point, morceau après morceau assemblés en de doubles brides par les mains maternelles où maintenant se dessinent les veines en deux renflements bleutés, tels des ruisseaux paisibles et coulant côte à côte.

Il y en a un pour chaque chaise.

La laine aux couleurs grise et rose, des teintes qui s’épousent bien, semblent désormais usées, passées comme déshabillées à force de ne pas être regardées.
Elle se met à songer distraitement d’abord aux pensées que devait tricoter leur mère tandis qu’elle accomplissait son travail de fourmi patiente et laborieuse : avait elle le désir de réchauffer la lumière parfois crue voire cruelle du lustre, pourtant aux plusieurs branches ?

Avait elle en tête les soucis que portaient ses filles, qu’elle ne voulait pas connaître mais qui étaient malgré tout si présents ?

Voulait elle les consoler à sa manière à chaque fois qu’elles se poseraient dessus, même sans les voir, chacune à sa façon, l’une les chevauchant, l’autre les effleurant ?
Les fils de laine s’emmêlent et se grossissent, dévoilant çà et là comme un petit trou diffus où apparaît la paille régulière mise à nu brutalement, sourdement.

Le dessin peu à peu se transforme, la matière s’étire en une offrande si douce aux doigts qui n’ont pas su la saisir, la caresser. Soudain il fait place à une blancheur de neige, la même qui avait figé, il y a longtemps un rire d’enfant alors qu’elle jouait insouciante et qu’était survenue cette pensée fulgurante, furibonde et désarçonnante « j’ai quatre ans et je n’aurai plus jamais quatre ans ! » signe du temps compté à jamais…

Le tissu se resserre, reprend ses formes et couleurs ; le gris demeure de perle et le rose un peu fané comme le temps qui s’étire, s’allonge indéfiniment avant de se suspendre d’un coup !

Ce travail, peut être celui qui a en partie, bleui les veines de sa mère, elle vient d’ en percevoir l’amour !

proposition n° 5

Le repas est sur le point de s’achever. Tout à l’heure alors qu’elle s’affairait dans la cuisine, à découper la volaille, il lui a semblé que l’ambiance jusque là rieuse et festive avait d’un coup, comme un nuage assombrissant le ciel, changé de tonalité : une perception sans doute hâtive et non fondée ; bah, songe t’elle, elle a du rêver.

Elle va s’asseoir lourdement au bout de la grande tablée ; d’un coup elle se sent vieille, cependant elle n’est pas si âgée que ça ! Ses paupières se mettent à battre doucement, dévoilant puis dérobant des yeux bleus qui semblent usés de fatigue et de désillusions contenues mais quand même si présentes ; un regard, comment dire, gris d’une attente imperceptible, vague comme celle qui se prépare et se meut doucement…

Le mouvement de la paupière devient plus régulier et elle se laisse bercer par le battement contre lequel elle ne peut plus lutter. A ses pieds ou ailleurs ses petits enfants jouent une petite musique enveloppante de sons aigus mais feutrés : comptine légère, joyeuse et sans fin. Ses filles ont repris leur conversation de tout à l’heure, elle ne sait laquelle, n’a pas suivi ou voulu savoir...celle de toutes les années.

Elle va sans doute s’endormir sans la connaître d’avantage ; elle a juste perçu ce changement soudain et brutal comme elle a pu percevoir, au fil des ans l’assombrissement de la magie de ce moment, de la lumière qui peu à peu s’amenuise, de l’arbre aux mille senteurs et mille promesses qui ne semble plus lui non plus tenir sa parole. Elle pense à sa mère qui faisait régner une sorte de résignation triste lorsqu’elle menaçait ses filles, ses petites filles d’un « si tu n’es pas sage, le petit Jésus te punira » terrifiant la seconde qui lui avait alors confié, oh il y a longtemps maintenant, qu’elle avait peur de se rendre à l’église.

Ses paupières semblent clore ce moment incertain. Les trompettes , hautbois de « Jésus que ma joie demeure » deviennent presque douloureux tant elle les subit avec force dans ce fatras de pensées qui surgissent en une sarabande effrénée. Elle écoute sans les entendre, sans s’y attarder les voix de ses filles qui entre bas et hauts se disputent sans doute sur un mode que seules elles connaissent : à quels propos ? sont elles en désaccord sur le nombre de cadeaux comme quand elles étaient petites : « mon dieu pense t’ elle que ce temps semble loin et comme béni de l’impudence de leur jeune âge ! » Comptent elles les coups, les bonheurs que la vie leur a infligés ou donnés ? Que se veulent elles ? Que lui veulent elles à elle, leur mère qui a tenté comme elle l’ a pu de les guider sur les sentiers parfois si difficiles de la vie ?

Les voix montent et descendent, se font plus âpres, les regards noirs.

Qu’importe elle n’entend plus, ne voit plus ; ses yeux bleus usés, las de guetter toujours et en vain se sont fermés un instant, sur les rêves d’autrefois ?

Elle se laisse emporter par le sommeil bienvenu et bienveillant.

C’est une fête de Noël ordinaire en somme !

proposition n° 4

Anthy-sur-Léman, Haute-Savoie.

Le lac, sans doute première et aussi toute dernière image à ceux qui le côtoient ; celle en tous cas que l’on emporte lorsqu’on l’a connue et nous emplit de la même stupéfaction quand on la retrouve.
Le lac mouvance indolente qui reflète paresseusement les nuances bleues ou grises du ciel ; qui se teinte magnifiquement de sang lorsque le soleil, en se couchant vient l’abraser de ses reflets pourpres ou orangés.
Le lac entouré de ses montagnes qui semblent jalousement le veiller, certaines assagies en un massif aux contours d’une sobriété tranquille, les autres hardies, grandioses comme surgies au hasard tel un mystère dans un encore plus grand mystère presque menaçantes, s’imposant à une admiration forcenée et inéluctable.
Le lac qui peut entrer parfois dans de noires colères vomissant alors des vagues écumeuses, retournant les bateaux et ravissant la vie de tant de gens.

Elles sont toutes deux assises, languissantes, dans ce petit endroit, à l’abri des regards, qu’elles se plaisent à nommer « leur p’tit coin de paradis » Sous leurs fesses, les galets chauds et irréguliers les fait se déplacer mollement de temps à autre, au gré de l’inconfort. Le dos droit et les genoux enlacés dans les bras, elles se perdent dans le miroitement irisé parfois troublé en d’infinis rayonnements plissant la surface étale. Dans le sillage des bateaux, des gouttelettes fraîches et bienvenues viennent leur lécher les pieds. Quelques cygnes et canards, en un ballet incertain, inattendu et bruyant vient troubler le silence dans lequel elles semblent baigner.
Marie se met à parler alors et encore des chansons de Barbara : « La Solitude » et « A mourir pour mourir »
Son amie suspend son attention distraite ; un arbre esseulé maigre et penché au dessus d’elles semble écouter lui aussi.
Elles ont seize ans.

Marie, des rires et des rages. Des espoirs et des doutes, à grands traits, à peine esquissés.

Où s’en est elle allée cette amie en ce matin de juin sans que le moindre signe ne l’ébranle, elle, ne la secoue bref sans qu’elle le sache ; se sont elles lâché la main ?
La fin du lycée les avait séparé ; elles poursuivaient les mêmes études, chacune dans une ville différente. Elles s’écrivaient semaine après semaine ; elles comptaient les heures où elles se retrouveraient au hasard de leurs retours dans leurs foyers.

De ce samedi de juin qui devait être une fête, leur fête quasi mensuelle, la seconde ne se souvient que de ces seuls mots lourds comme du plomb, noire comme la vague mauvaise et qui l’a engloutie aussi inexorable et implacable : « on l’a enterrée ce matin. »
Marie « A mourir pour mourir » avait choisi « L’âge tendre. »,

Il lui faudra quelques trente années avant de pousser le portail grinçant de ce petit cimetière jouxtant le lac où son amie repose. Accompagnée du cri rauque des mouettes qui se chamaillent et de l’odeur âprement sirupeuse des confitures de la grand-mère qui habitait tout près , ses pas la mènent, sans hésitation aucune à la tombe qu’elle n’avait jamais voulu voir. Seul le sourire qu’elle connaît si bien, cette petite photo, elle a la même qu’elle a cessé de regarder depuis tout ce temps, seul ce sourire éclaire ce monument couleur de charbon, couleur de trahison.

Le lac tout proche semble aussi calme et onctueux qu’il peut l’être, en signe d’approbation muette ?

Pour toi Marie, pour tous ces mots que je n’ai pas su, pas eu le temps de te dire ;pour ces pensées pleines d’ombres ; pour tout ce qui nous a fait rêver et tout ce que le temps nous a volé. Pour la « lettre à Elise » que nous jouions à quatre mains…

Et si, à cette histoire on ne mettait jamais le mot FIN !

proposition n° 3

En la vieille église, la petite fille va connaître l’une de ses premières peurs lorsque le prêtre paré de ses vêtements sacerdotaux éblouissant de leur somptuosité la chaire noircie va en gravir les marches de son pas pesant, les faisant gémir l’une après l’autre pour enfin surgir, emplissant totalement et de façon inexorable l’espace et se mettre à tonner sur les fidèles à demi somnolents. Le moindre de ses soupirs portera un courant d’air froid jusqu’aux tréfonds de l’édifice de pierres.
La fillette se blottit d’avantage contre le flanc large et chaud de sa grand-mère.

Dans l’église où en dépit de la chaleur moite de mi-août, elle a froid et devient elle même supplique en contemplant les statues et les scènes bibliques autour d’elle et au son des sanglots ininterrompus

En l’église où désormais il lui semble qu’il fera toujours froid lorsque s’ouvre à elle, tel un puits sans fonds ni écho, à jamais, un autre mystère ; sorte d’inconnue totale et absolue !

Dans l’église encore, de plus en plus austère où elle s’ennuie et tente pour se distraire de suivre le trajet d’une mouche aussi esseulée qu’elle, hasardeusement échue là, presque pitoyable et dont elle observe songeusement le cahotement erratique.

proposition n° 2

Scène irréelle, d’un flou improbable, l’a t’elle rêvé ? Malheureusement non…
Trois petites filles sont à la tête d’un étrange cortège, ruban sinueux qui semble se dérouler à l’infini de leurs yeux tant il est long ; cortège, qui dans la chaleur du mois d’août semble avoir presque un aspect dansant.
Elles sont derrière un corbillard tiré par un cheval. Le chariot grince au gré des contours et du pas du cheval, sorte de gémissement de circonstance. Juste devant elles, une manivelle qui paraît insolite : à quoi sert elle ? Sinon à la fixer encore et encore comme un point d’interrogation.
Le cheval, gris ou blanc comme sur une espèce de photo sépia, est couvert de mouches qui s’agglutinent sur les larges taches de transpiration de l’animal qui souffle les naseaux largement ouverts afin d’échapper à cette grappe mesquine, têtue et envahissante. Il balance en rythme sa queue de ficelle jaunâtre et mal tressée ; il laisse, durant sa course échapper un crottin chaud et un peu malodorant, seule réalité de ce parcours incertain et qui fait pouffer d’ un rire étouffé les fillettes. Les roues du char cerclées de métal, par leur ferraillement régulier, chantent une mélopée funèbre et agaçante.
L’une des petites filles se demandera longtemps si cette étrange scène a vraiment existé… Il s’agit des funérailles de leur grand-père.

Bien plus tard, elle entendra, entre autres chansons de ce poète « Les funérailles d’antan » et cent fois elle reconstituera la scène.
L’auteur, chanteur sera à ses côtés marchant d’un pas souple et soutenu. Sa moustache deviendra celle du disparu. Au fumet du crottin se substituera l’odeur difficilement définissable mais chaude et parfumée du tabac de sa pipe ; elle pourra même entendre sur ses lèvres le clapotis des tétées répétitives mais rassurantes lorsqu’il en tire des bouffées qui s’ envolent en petits nuages compacts, tellement inattendus. Sa main, qui pour une fois ne caressera pas sa guitare, sera si chaude sur sa nuque penchée de petite fille chagrinée. Son regard qui souvent fixe une ligne lointaine et déterminée à l’horizon pour ne pas avoir à affronter des centaines de paires d’yeux où on ne peut rien lire, la contiendra elle seule : ce regard sombre et chaleureux !
Elle entend le frottement de ses pantalons de velours qu’ il affectionne, un bruit d’étoffe qui couvre le bruit métallique des roues cerclées, tellement doucement bruissant . Elle sourit lorsqu’il lui fredonne à l’oreille, l’ air plus malicieux que jamais : « Les malheureux n’ont mêm’ plus le plaisir enfantin D’voir leurs héritiers marrons marcher dans le crottin... »

Il lui apprend à apprivoiser la mort qu’il réussit à rendre vivante et malicieuse, presque joyeuse ! Il l’accompagne d’un clin d’oeil dans ses deuils.
Une fois, une seule elle rêvera de lui et même si elle ne se souviendra jamais du contenu, restera au réveil, le sentiment d’un bien être chaleureux et peu commun.

Lorsqu’il fera à son tour « De sa majesté la mort, la rencontre... » elle pleurera au volant de sa voiture et le battement frénétique et caoutchouteux des essuie-glaces remplacera le ferraillement douloureux des roues du char.

Elle a perdu son compagnon de « Déroute »
« Les pleureuses sanglotaient pour de bon. Bravo. »

proposition n° 1

Une église de pierres construite au début du siècle dernier, froide et bruissante de tous les soupirs, toussotements gênés ou contenus ; des remugles d’odeurs concentrées et singulières. Non loin du choeur trône la massive chaire de bois sombre, presque noire à force d’être. Pour y accéder un escalier qui peut paraître d’ une inattendue espièglerie tant il semble léger et une invite à le grimper ! Le tout est surmonté d’ une vaste couronne ou chapeau, sorte de toit tellement travaillé qu’ il peut friser l’absurdité ou l’émerveillement, selon.

Un jardin clos de hauts murs, aux dimensions démesurées dans cette petite ville où du coup, les maisons alentours semblent se bousculer les une les autres. Un jardin vide de toutes fleurs ou autres frondaisons ; une vaste étendue d’une herbe fraîchement coupée cependant d’où même pas une tige froissée ne dépasse et qui n’étaient les murs qui l’entourent, semble dériver jusqu’à se confondre avec le lac tout proche . Devant l’austère et immense édifice, presque aux pied des marches disjointes et usées, un sapin majestueux de solitude et de vieillesse : il n’attend rien depuis longtemps ; il est, planté, paisible, hors du temps.

Une toute petite chapelle, fut elle jadis blanche ? Maintenant un peu grisée coupant le souffle tant elle s’offre d’un coup totalement et inévitablement dans son humilité paisible et grandiose, révélant ainsi la luminosité d’un azur jusque là ignoré
Elle repose, tel un bijou baroque dans son écrin de champs verdoyants et comme sertie du bois dense et presque noir de la forêt en lisière.
Les vaches tout autour semblent elles mêmes méditer en broutant paresseusement l’herbe. Espace d’ une paix insoupçonnée !



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1ère mise en ligne 20 décembre 2018 et dernière modification le 18 février 2019.
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