Tristan Mat | Descente

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Tristan Mat vit. Ailleurs. Il écrit. Son site ici.
proposition n° 1

C’est la descente, comme tomber, à nouveau, encore, la route, la rue, qui descend, tourne, coule, échapper aux murs qui se serrent, se rapprochent comme à se toucher et les côtes de s’écraser. À hauteur des yeux déjà, le ciel. Les tables du bar sont vides, les immobiles assis le regardent comme des miroirs, sans qu’il sache si ce sont les mêmes qu’alors. Au loin, des morts marchant, un instant avant que ce ne soient d’autres vivants. Mais, aucun de ses morts n’est ici. Les murs ont changé. Ils sont restés les mêmes.

proposition n° 2

Par ce que la nuit a d’étal, d’uni, de sans fond, surgissent, se découpent des points formant des arrêtes par l’étirement auquel est soumis l’œil. Sans aspérité, relief, variation de lumière, le lisse laisse affleurer la couleur. Derrière la masse concentrée qui s’est déjà effondrée et contient le plan, des lignes horizontales apparaissent, rainures noires d’ombre, après les yeux en lignes et la bouche, carrés surmontés d’un demi-cercle. Seulement plus tard les lettres gravées pour l’entrée. Dans le coin, presqu’île du ciel, une seule figure offre la lumière, toute de surface. C’est le point.

proposition n° 3

Fixe, pour ne pas se retourner, comme si cela tenait à distance le chœur. Les murs encerclent, formant la place. Deux yeux plein cintre sont les seules portes vers le labyrinthe glissant jusqu’au pré minuscule créé par le tremblement de terre et les grilles devant le vide. Accolées les façades : la maison de dieu, celles de ses hommes, celle des riches du Nord à trois étages et salon de musique, l’Égyptien qui tient le bar, le cavalier qui tourne les îles en nageant, la sœur de la veuve du chef d’orchestre mort dans un accident d’avion, l’Anglaise et son mari qui louche et promène le chien, le musée du peintre aveugle où se tiennent les réunions du comité central, une portion de château appartenant à une société domiciliée à Monaco, le couple de soigneurs de fous, Cornélius, peintre de murs, les parents de la plus belle fille du village, celui qui cherche des compagnons pour aller en Sibérie. Au centre le feu, allumé une fois par an, et c’est la croix de bois au sommet du bûcher à s’effondrer en premier, les bêtes tournent autour, il brûle toute une semaine et six mois plus tard, l’enfant de trois ans désigne son emplacement.

proposition n° 4

Aller nulle part, oui, mais il n’y a pas de nulle part. Loin, oui, en suivant la route en courbe au revêtement éclaté, plaques de mâchefer sautées, pièces plus sombres collées, comme sur les murs là-bas, crépis tombés découvrant briques et pierres de taille, et lèvres colorées des vêtements tranchant avec les tons sans lumière, passés, délavés par le temps. Ce qui est là serré, encastré, est ici disséminé au hasard, l’herbe folle régnant mais entrecoupée de murs, d’allées bétonnées, de pelouses rases et vertes dans l’été, de portails. Loin, on reste dans l’orbite, happé. Ce qui pourrait être espace porte à l’hébétude, l’égarement, désolation portée au tour de soi comme un manteau.

proposition n° 5

Les deux, le rouge, mains sur la taille, tête penchée vers la droite, bermudas, le blanc, chemise et lunettes, tous deux en sandales, regardant mais regardant quoi, directions divergentes, et le bras levé et la main vers le sol, rien à voir, il n’y a jamais rien à voir, les voitures garées, les places libres, les arbres et leurs fleurs en étoile, nul ne les regarde, ils grandissent imperceptiblement et leurs racines s’enfoncent et avancent invisibles sous les pavés, les maisons en cercle finiront par se soulever, les fleurs sont collantes, s’attachent aux semelles lorsqu’elles sont tombées, les pavés piquetés de blanc sont regardés, sans savoir les cercles empilés qu’ils dessinent, lorsque les yeux se relèvent, ils passent sans s’arrêter sur les roses et les beiges des murs changeant à chaque heure, éclatants avec la pluie, peu à peu s’éclaircissant avec les années, avant que brusquement ils ne soient recouvert d’une peinture figée, sans attention pour les lichens sur les blocs de tuf de la rampe, puis ce seront les mousses, la terre, les arbres, lorsque les yeux auront disparus et qu’aucun pied ne touchera les marches qui portent vers l’ancien cinéma, maintenant l’atelier du peintre aveugle, et Bartolomé n’est pas là, lui qui est assis dès le matin, tenant droit ses béquilles, changeant de station selon la course du soleil, qui fixe et apostrophe chacun de ceux qui passent, eux que regardent-ils, et leurs visages sont flous, pas de bouche ni d’yeux, et il se sont tournés, une cigarette est entre les doigts, et la fumée n’est pas ou ne se laisse pas deviner, vers quoi sont-ils tendus sinon vers l’œil qui les voient sans les regarder, et le chat près d’eux, immobile sinon il serait invisible, quel est son monde ?

proposition n° 6

En montant et après avoir déjà monté, le souffle court, s’arrêter penché vers l’avant, pour contrer la tendance à tomber à la renverse, puis en arrière, comme si la pente pouvait écraser. C’est le Rue des effets, elle tourne, elle est ascension, gris et bleus les pans de murs dans le soir, jamais vu ou rencontré quelqu’un. Tout près il y aura la route qui suit les soubassements aux parois obliques du château, large, mais le passage dure, le ciel est publié. D’un coup sur la place XXIII, immobile, aller plus loin - où, tout se vaut, et seulement ceux assis à la journée qui ne parlent plus, il faudra donc attendre encore pour le feu. Enrouler les pas dans les ruelles absentes des cartes, escaliers pour la plupart, les logis encastrés, creusés, trop familiers, trop tard pour se perdre, mais encore se demander si son nom commence par un C ou K. Finir par la Rue du Coup des Barbares, une maison à la construction abandonnée, quelques immeubles, des chiens déjà qui aboient, une autre rue qui se sépare, monte au flanc de la colline, puis des villas, les chiens libres maintenant, dix ans avant de venir ici, et la dernière maison, celle du marchand de pneumatiques, l’amphithéâtre naturel, les chevaux immobiles, les taches blanches des moutons s’assemblant puis glissant vers le fond de la vallée, puis quelque part la voie des anciens aux dalles de basalte.

proposition n° 7

Au petit matin, avec la lumière rase entre les maisons serrées, ou dans la nuit après avoir délaissé toutes les attaches, et traversé le désespoir face à la question décisive. Les marches vers le ciel et la descente dans le labyrinthe, tourner, se retourner jusqu’à se sentir perdu, ne plus savoir où est la vallée ni la place, ni comment les rejoindre, être en même temps, cette présence aiguë au carrefour de deux ruelles, des portes, des escaliers, et encore des portes, des balcons, l’odeur dense des murs humides et invisibles au ciel, des pavés sales, et être libre de ce point particulier, ressentir l’espace dans toutes ces directions, sans voie à choisir. Revenir, essayer de marcher au hasard, et arriver très vite là où l’espace s’ouvre vers les collines, et sinon retrouver le proche puis les voitures. Tu tournes et tu retournes. Les pas ralentissent, essayent de se défausser de tout rythme. Tu ne découvres plus que des détails, plus rien qui surgisse, isolé et absolu, seulement des pièces d’un puzzle qui se complète.

proposition n° 8

Arriver, poussé par l’air lourd, la toile abaissée du gris presque douloureux au regard qui se lève, la peau devenant une carapace à l’existence indépendante entre le corps et le monde. Être venu comme cherchant le hasard, il n’est pas possible de descendre plus bas, l’ombre des arbres est illusoire. S’approcher pour entrer dans le murmure du fil de la fontaine. Main à plat sur le tuf moite, une goutte lourde sur son dos. Une autre sur le nez. Comme un réveil le martèlement sur les dalles. Chaque goutte est vue, pourrait être comptée. L’air tourne à nouveau. Le sol redevient sombre et luisant. Refréner l’impulsion de courber la tête et de courir. Les gouttes se perdent et l’eau coule sur le front, les joues. La chemise épouse le corps. La boue naît entre les pieds et les sandales. La battement rapide enveloppe et l’odeur qui monte du sol, étreint, froisse, soulève les jupes en dedans. Tu es vivant par tout ce qui est mort en toi.

proposition n° 9

Dès que tu fermes les yeux, tu sens la chaleur, ses paumes qui appuient sur tes joues, ton front, tes mains, te masse pénètre en toi, comme si tu étais une membrane. Le mouvement est lent qui te fait vibrer, très bas, en deçà de ce que tu peux percevoir. Tu n’entends que le crépitement des étincelles, le coup de cymbale d’une bûche tombant sur le foyer des braises. Dans ton dos l’air froid râpe. On ne les entend pas les quatre ou cinq qui sont là chaque année avant le coup de canon au loin qui donne le signal. Ils sont là sans parler, celui qui allume le feu, deux paysans, un habillé de la ville, le jardinier, le musicien iranien, une femme une fois descendue porter du café, Emilio qui est mort au printemps. Plus tard les chiens, les chevaux, les enfants, et à nouveau la nuit, les braises fixées et les yeux se ferment à nouveau. Les craquements sont ralentis, comme apaisés mais sans répit, et pour plusieurs jours, parfois sous le crépitement de la pluie, jusqu’à ce qu’à nouveau le silence reprenne place l’entaille parfois du passage d’une voiture qui fait le tour de la place et disparaît sous l’arche. Nul cri qui rebondirait sur les rues en cercle. Rien jusqu’aux cigales lorsque la chaleur enveloppe d’un cocon ouaté, emplissant tout l’espace puis dessinant une théorie de points invisibles, puis deux ou trois foyers qui cernent l’espace, puis un seul point. Et le silence aussi est en toi.



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1ère mise en ligne 22 juillet 2018 et dernière modification le 15 août 2018.
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