Cat Lesaffre | Arbres

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écrire, un essai de conversion et conversation. Blog se fait désirer. Publie uniquement chez FB (jusqu’à preuve du contraire).
proposition n° 1

Il gravit la colline. Toujours aucun signe d’habitation depuis le bas, pense-t-il. Vu d’ici, sur la route qui serpente pour y accéder, un bois de plus comme un îlot touffu. De l’autre côté le cimetière. Et à ce propos se dit-il, il est allé nettoyer leur tombe ? Oui, il y a longtemps. Et le village d’à côté, qu’y a-t-il de changé ? Fatigué, il est fatigué. Il a entendu dire … on lui a dit … il s’est imaginé … a-t-il rêvé ? Doucement, monter doucement. Plus de souffle déjà, s’arrêter dans le virage, le dos collé à un arbre. Le cœur qui palpite, et lui, appuyant les deux mains dessus, tanné par l’envie de s’asseoir. Cette côte, tellement montée seul, il est seul maintenant. Leur colère, comme une strie, une nuée orageuse fondant sur lui soudain, suivie de leur oubli. C’est réciproque, maugrée-t-il entre ses dents entre-ouvertes en quête de souffle. Il ne regrette pas ; cette opposition, sonnant le glas d’un refus tenu bon ! Bleues, hurlent à ses oreilles leurs voix révulsées, lâchées et même celles des enfants : tes habituels bâtons dans les roues … Un coup de vent plus violent lui fait lever les yeux, hésiter, une tempête ? Il frissonne puis se ressaisit, massif, plantureux, malgré ses cheveux blancs et l’iris fatigué de ses yeux brouillés comme ceux d’un vieux chat. Et maintenant que fait-il ? Chancelant rien qu’une fois, il se reprend. Ses chaussures de sécurité qui le tirent en arrière, lourdes, conférant à ses pieds une étrange sensation de dissociation du reste de son corps. Enfin, sa détermination toute entière rassemblée il monte, pas à pas, souvenirs après souvenirs. Déjà, arriver jusqu’à la première maison. Sa citerne à celui-là, pourquoi n’avoir pas exigé qu’il l’enterre ! Et les autres qui lui hurlent dessus. La maison, telle qu’il s’attend à la retrouver, dévorée par les ronces. Ah, il en avait bavé pour entretenir ses cinq mille hectares de bois pentus, pendant que les autres ne faisaient rien ! Seul, graniteux comme un vieux paysan, que fait-il ici. Que cherche-t-il ? Avancer. Elle était vautrée dans le canapé, saoule, incapable de bouger et entre deux hoquets de rire et de larmes, je ne te reverrai jamais, tu entends ? Il hausse les épaules en appuyant sur un genoux qui fait mal. Au moins une chose, ce chant d’oiseaux, en arrivant à la hauteur de la maison du maire, non, de l’ancien maire, se dit-il en tournant la tête vers les volets bleus pâles, que tous trouvaient si charmants. Vous avez-vu son jardin comme il est bien soigné ? Il n’y a plus le moindre accroc, c’est du passé. Dans sa tête, tout est cloisonné. Une pièce par famille et une qui les recouvre toute, la sienne. A ces mots il éclate de rire. Ah ! Il les a bien eus, ces imbéciles ! Ils s’imaginaient quoi ? Qu’il allait se laisser faire après tout ce dur boulot, méticuleux, précis, parfait ? Humant encore l’odeur des murs épais dont il s’enivrait seul dans son antre, salle des machines où ils n’avaient pas accès. Bonjour Monsieur le Maire, comment ça va depuis tout ce temps ? Mais non, personne. Il n’y a personne. Où sont-ils tous ? Il est trop bas encore. Ils voulaient couper des arbres, n’est-ce pas ? Sous leur abord gentil. Vous pouvez me le dire maintenant ! L’aile d’un souvenir le frôle encore une fois, busard planant au dessus de sa tête ; elle m’a dit, dans un sourire hurleur troué d’un cri poisseux, la terre, oui, ils l’aiment la terre, et d’être cachés et ils adorent les arbres, mais ceux en trop, lui, il les coupe avec son fils, hein toi le fêlé, pour y voir clair ! C’est ça qu’ils veulent, s’aérer tu comprends ? Et c’est vrai qu’elle a disparu. Et moi qui suis resté ! Que fait-il ? Vous le voyez ? Il avance. Il monte la côte. Comme si elle ne devait jamais finir. Et lui de savourer son retour. Chez lui, dans la maison.

proposition n° 2

On dirait qu’elle attend. Enserrée d’herbes folles. Ou émergeant surpuissante d’une ancienne clairière, ou plutôt terrain, parcelle disparue, noyée de verts et bruns où l’on ne distingue plus l’allée centrale menant à la porte d’entrée, la terrasse côté gauche, ni d’avantage ce qui était qualifié par son génie créateur de chemin des moines, vestibule ouvert à l’arrière, propre à la déambulation, mais pour en revenir à la façade avant, prise de trois quart par l’œil qui a déjà assez à faire pour l’englober toute. Dans sa noirceur actuelle et son toit hérissé de pignons qu’on voudrait survoler, suivant les mouvements lents d’un drone surplombant les épaisses rondeurs de la canopée et découvrant l’enchevêtrement de tuiles plates et de cubes asymétriques posés de part et d’autre des deux pentes du toit. Revenir à la façade. La tourelle centrale délimitant l’entrée, un pas en avant de gagné sur les côtés, dont l’œil dépassé croit voir les extrémités se rapprocher pour former une ligne incurvée qu’on doit avoir rêvée. Majestueuse, silencieuse, comme abandonnée et promise à une lente destruction, cœur de forêt brisé, ayant vécu. Le regard plongeant vers la porte d’entrée cherche à mieux la comprendre encore, la circonvenir, ému, vouloir l’ouvrir, l’arpenter de nouveau, la reconnaître. Elle, hautaine ou suppliante, au mystère enseveli, cernée d’herbes et de ronces, de branches cassées répandues, on l’a fuit. La laissant savourer une victoire fatale sur de petits humains vaincus par sa force établie. Dépassés, débordés, s’arrachant à l’inertie d’une divagation sanctuarisée, aux formules sacrées de deux générations. Pourtant, la porte qui s’ouvre de nouveau sur son silence intérieur, doux, protecteur. Silence qui invite à venir se blottir comme une couvée de louve, du temps de sa splendeur lorsqu’elle criait bienvenue au marcheur ou voisin et non passe ton chemin. Les arbres qui l’entourent se taisent, son histoire se déchiffre dans sa masse élégante, abandonnée, fourbue, foutue. Immense, cinglée, blockhaus, château, antre, vision de rêve transpercée d’un homme démiurge à genoux, poutres énigmatiques, charpente colossale, espace vide où ne faire que rêver en balayant lentement, très len

proposition n° 3

Derrière en face et en tournant la tête légèrement vers la droite, pour distinguer les habitations, sans y parvenir au travers du fouillis de la forêt, mis à part la maison étalée de tout son long, le dernier nid des dix numéros enroulés autour du chemin en escargot. Un peu loin et personne en vue. Seul leur tas de bois devenu immense, rangé aux petits oignons, pour l’heure balayé par le vent, de marbre lorsque l’eau déferle, préservé, tant elle s’écoule vite en bas de la colline, cavalant comme si elle ne faisait que passer. En face, le terrain leur appartenant, dévoré d’arbres de la forêt, empiétant sur le chemin commun, pire qu’avant. Mais que fait la copro ? Arbres ! Forêt de chênes, de hêtres, de boulots, autorisant les dix-huit constructions, menant tranquillement la danse du territoire. Et les deux vieux voisins de la maison du fond – celle envahie par les chats – probablement morts et relayés par d’autres ou par leurs enfants, vu la hauteur du tas de bois tout prêt à l’emploi. Et toujours la même sarabande, étourdissante à cette heure – alors que l’orage se prépare – de sifflement des oiseaux. Car ici c’est leur ville, celle des nettoyeurs de toutes idées noires et prégnantes. Puis, toute cette joyeuse mousse verte sagement appliquée du bon côté de chaque arbre, sur laquelle on voudrait pouvoir s’étendre, se reposer, rêvasser. Tandis que la lumière, empêchée de passer par dessus les regroupements des branches de chênes, se propulse entre les hêtres libérateurs d’espace à leurs sommets. Royaume de la sauvagerie préservée de ces hauts boisés. Devant, juste en face, une exubérante végétation de branchus et de troncs minces serrés les uns contres les autres, partie à traverser pour se retrouver sur le chemin d’en face et faire le tour des habitations. Mais pour l’heure juste contempler, le regard qui se porte, longuement, sur les longs corps gris clair, brun foncé, lisses, rugueux ; les regarder exister, corps et âmes tous, comme s’ils pouvaient grandir à vue d’œil ou bien se mettre en marche. Ou bien encore, s’approcher et en prendre un dans les bras. Une carapace où poser main et figure pour une caresse hors norme, à l’affût de vibrations qui se propagent, s’infiltrent. Et se dire que nul n’aurait pu entrer ici et se sentir chez lui sans être amoureux d’eux, connaître un embryon de transmission d’une part de leur langage. Alors on peut les voir, les regarder, leur parler et les toucher, tout ce qui ne se fait jamais. Leur croûte, leur carapace, leur peau, leurs âmes. Sur la gauche, le chemin qui descend, jusqu’à la dernière bifurcation, la première vue d’ici, signalée par le gros chêne que leurs voitures contournent. Et plus encore à gauche, le voisin tout grillagé, chien méchant ; possible ? Certain. Celui qui a empiété sur la borne, invisible d’ici, faut le savoir et c’est tout.

proposition n° 4

Qu’est qu’on fout seul ici, dans cette vie, dans cette forêt, dans cet arbre ?

Quand c’est arrivé, le coup dur, tu te rappelles ? Il s’est agit de prendre du recul. Quoi, toi, du recul ? Tu sais l’faire ? Laisse moi rire ! Ben oui, c’est arrivé, fallait bien, j’avais plus rien à y faire et vu l’histoire ! Je l’ai bouclée de fond en comble et j’ai filé. En effet il a filé, comme s’il marchait à reculons ou plutôt roulait. Et la pente, à reculons aussi ? Sur la neige ? C’est ça, sur la neige. Trop vite, sur la neige et sur les nerfs, ça aide. Et après ? Après, la petite route dans le bas. Quel sens ? Gauche tiens, pas pour une ballade en campagne, fuir, ficher le camp ! C’est vrai, on le voit qui traverse le bled, les champs froids, déserts, et arrivé dans la rue du centre, encombrement à cause de l’hiver. Les mains noires, crispées, reculant toujours. Oui. De la maison, impossible la lâcher, juste reculer comme ça, en faisant semblant d’avancer. Puis, le plein à la station du centre commercial. T’as croisé quelqu’un ? Oui, fait semblant de pas le voir, le mécanicien, tant pis. Et de nouveau la rue commerçante, laissée derrière, et lui aussi encore plus loin derrière tout en avançant, divisé, multiplié, comme à reculons, tout ce temps, toutes ces années. Ensuite, longer la rivière, passer devant ce qu’il reste de l’usine fermée, mais toujours, l’image en surplomb de la colline, rondeurs vertes touffues juchées par dessus, et un peu plus proche d’où il se trouve en ce moment, caméra zoom arrière, les champs de blé ensoleillés l’été, le clocher de l’église, le petit cimetière, minuscule, perdu, penché, et tout rapetissé le long du chemin étiré, le village en forme de cubes, mixés, rougeâtres, blondinets, et bleuté là où ça coule, l’Andelle ; non, plutôt verte foncée, la ligne qui serpente. Ainsi, pendant que tous ses autres lui planent, son enveloppe arrivée au niveau du nouveau carrefour, tout bétonné (pour quoi faire ?) et foncer alors que les autres restés suspendus, au dessus de son paysage normand, vert, blond, sa rivière encaissée, ses collines boisées, sa maison, leur maison. Et après ? Après les traversées de villages, les uns après les autres en tachant de récupérer tous ses joyeux retardataires, ce qu’ils appellent se reprendre, espérant quoi ? Rien, résolument ; juste ce tournis particulier, ni bien ni mal, de la tête en arrière et du corps en avant. Jusqu’où ? Alors non, il ne le dira pas, pas si vite. La nationale, celle avec les platanes, avec l’image grossi de l’arbre et celle toute éloignée de la maison, toute floue, disparue.

proposition n° 5

Hors les murs et dans la ville-arbre, on aurait tout aussi bien pu s’attacher à l’imperceptible de l’intérieur des lieux, le domaine est vaste, les parcelles sont diverses. Hors les murs l’œil s’arrête au fond du terrain pentu délimité par deux fils de fer barbelés tendu par le paysan d’à côté. Celui dont on traverse les terres pour se rendre en file indienne de sioux courant penchés en zigzag, jusque dans l’intérieur du cimetière où on les a enterrés tous les deux, alors qu’on ne savait même pas qu’ils étaient mortels. Le paysan, lui, celui qui fait paître ses vaches, laboure sa terre, rameute son tas de fumier juste en bas de la côte qui mène au bois, chez nous, on l’a jamais rencontré. Donc on franchit les fils en rampant dessous c’est facile, et au retours de notre escapade on se plante devant l’arbre. C’est lui le gardien, ami, copain immobile et taiseux. Notre pote l’arbre du bout. C’est là que l’œil s’interroge, s’absorbe, se pose, se délite, se fond. Ouille, ça doit faire mal les fils de fer barbelés dans la jambe juste en bas du gros genou. Pourquoi il a fait ça le paysan ? s’élève une voix fluette. Mais rien du tout, il a pas fait ça, c’est l’arbre qui est venu après, lance une autre plus ferme. Après quoi ? il est énorme cet arbre dit un troisième. Alors c’est que c’est pas ce paysan, c’est celui d’avant, et encore avant et encore avant. Du temps où il y avait plus d’habitants ici que maintenant, beaucoup plus. Et notre forêt cachée elle va être vidée aussi ? dit la voix fluette en posant une main rassurante et protectrice sur le genou du gros arbre, là, juste au dessus du fil de fer qui le traverse, de toute la hauteur de ses tendres années. Personne ne bouge et ne se lasse de contempler ce mariage, cette greffe, de l’homme et de la nature. Plus bas, la jambe de l’arbre est gonflée douloureusement, ajoute le quatrième. La cuisse, elle, rude et verdoyante s’élance, mais on n’arrive pas jusqu’à sa hauteur pour y mettre les mains et on n’ose pas grimper, par respect, et parce que le gros plan de ce genou là que nous seuls avons repéré est un point fixe prégnant et grave.

proposition n° 6

Il avait fallu baptiser la colline. Nul n’entre ici s’il n’est le protégé des bois. Trouvez-moi quelque chose de simple, a dit notre père qui commençait à voir le bout de son dossier de viabilisation, un énorme parallélépipède à faire se dresser les cheveux sur la tête comme les arbres sur la colline, vu la complexité de son entreprise. Ce sont des bois et ils sont hauts. Plus tard, les parcelles se dressaient en suivant le plan en escargot qu’il avait imaginé, à force d’arpenter le domaine des épaisses disait-il, canopée de verdure alimentée en pluies abondantes dans cette région de Haute Normandie. On lui suggérait : ne mets pas des numéros aux parcelles, un peu de respect pour les résidents ! Regarde les oiseaux qui habitent ici, corbeaux freux, étourneaux, geais, bouvreuils, fauvettes, mésanges ? Et le père Raymond, venu présenter ses salutations à l’étrange lotisseur, et qui s’y connaissait en oiseaux, ajoutait à la liste un sitelle torchepot qui nous laissait sans voix. Le maire aussi était venu, bien avant le curé. Mais lui, constituait une pièce du redoutable puzzle. Ce qui ne l’empêchait pas de se mêler à la conversation en nous mentionnant cet autre sublime inconnu qu’était le pic épeiche. Tout le reste des conversations trop sérieuses est tombé dans le domaine de l’oubli. Il n’empêche. Le vieux Perrol né en 1216 et converti dès 1249 en Perruel, qu’on transformait en père Huel ou en paix ruelle faisait l’affaire, et le toit de chaume de la maison témoin de charme commençait à faire parler de lui dans les chaumières. Vivre dans les bois. Dans un hameau minuscule et caché à proximité d’un village de 450 habitants traversé par l’Andelle, où les pécheurs de truites ne se privaient pas, tout en remettant consciencieusement les jeunettes à l’eau. Personne n’en revenait. Depuis la minuscule départementale 114, quittant Perruel et la rue de l’Andelle, un illuminé proposait des terrains dans les bois, rendus constructibles par l’opération de son opiniâtre sagacité. Et derrière le profil busqué du vieux chef indien, tous les évadés heureux du pays d’en bas, un à un pour satisfaire leur quête de sauvagerie, leur désir de calme, de paix, d’ombre et d’écorces. Parallèle à la route de Mesnil, le chemin d’accès escaladant la colline trouva peu à peu ses grimpeurs. Pas pour une vie communautaire, assurément non. À la normande, comme chez Flaubert dont l’héroïne avait vécu tout près, sans se dire plus que bonjour bonsoir et ne jamais s’inviter tout en ne refusant aucun service demandé. On est replié sur le chemin de l’escargot mais on est civilisé à nos heures, tout de même ; et à leurs débuts, tous respectèrent la demande de leur père fondateur, faire place nette aux chemins enroulés et déroulés pour s’y balader. Ceux qui voulaient boire un coup avaient le bar de la ville d’à côté rue de la Valette, ou celui de chez Colette dans le centre, rue du Général de Gaulle. Pour les courses, il y avait bien sûr l’Intermarché, plutôt piqué des hannetons dans cette vallée assez paumée mais ils s’en fichaient, ils en faisaient partie, même s’ils représentaient plus ou moins les notables du secteur. Essentiellement, ils étaient les habitants des Hauts Boisés et c’est cela qui les distinguait silencieusement des autres perrueliens. Quand le patriarche fondateur a cassé sa pipe, quasi centenaire, il fut enterré avec les honneurs dans la petite église Sainte Geneviève qui faisait la fierté du patelin dans sa beauté simple et élancée de grès de brique et de silex. C’est qu’il était colonel de réserve, avait mérité le respect de tous, et vécu l’âme artiste.

proposition n° 7

Tu voudrais de nouveau être là-bas et ne pas trouver le chemin. Que cela prenne du temps, devienne obscur et confus, que tu te sentes vide et préfères renoncer. Non pas retourner en arrière pour savoir ce qui s’est réellement passé, ni supputer ce qui allait arriver et peut-être voir la fiction dicter sa loi au réel, ou même inversement, le réel déterminer la fiction comme on a tendance à le croire, mais qu’il n’y ait plus que ce chemin perdu, comme si jamais rien n’avait pu arriver de tel : cette maison brûlée ou vendue ou conservée en l’état par un seul, laissé pour compte, sanctuarisé, emmuré, ayant sauvagement ou insensiblement privé les autres de tous moyens d’actions, sûr de son droit, aveugle aux différentes batailles menées en dehors de lui et ignorant leurs récits ; celui-là poursuivant obstinément un chemin gardé depuis le commencement secret, enterré, parcouru d’une succession de rhizomes noués, entrelacés, verrouillés, alors que toi-même, immobilisée au loin et visualisant la croisée de ces chemins, te serais portée à ce carrefour infranchissable, de sorte de ne plus savoir ni t’en retourner ni t’engager dans tel ou tel sans hésitation, malgré la connaissance que tu avais des lieux, mais simplement te tenir là, dans ce no man’s land dépourvu de tout mode d’emploi, comme celui auquel se heurterait un candidat à l’émigration, no man’s land où ne se dessine plus le trait, où ne s’ouvre plus le flot ni la pente naturelle où se laisser glisser dans une soumission intraitable à ce que veut la vie, où ne roule plus la vague réglée de toutes pièces sur la présence de ces autres posés autour de toi comme sur un échiquier ; no man’s land perdu dans la brume hivernale où l’on n’aperçoit même plus la côte, cette fameuse côte à escalader avec la détermination de vouloir emporter l’étape, celle que dessine la fiction, pour accéder au territoire où devrait s’ouvrir le vide au dessus duquel se lancer, dans le dernier mouvement de libération créatrice possible ; non, rien ; plus rien que cette immobilité sourde, arrêt vibrant du temps d’où émerge lentement la vision de près, de l’homme ayant procédé à un enroulage méthodique de fils de téléphone et de rallonges électriques posés mollement sur les bureaux, s’en étant emparé durant sa déambulation nocturne et les ayant enroulés autour de son cou comme autant d’attributs décoratifs d’une civilisation indigène en voie de disparition, et ainsi prémuni, s’étant avancé pour entrer en contact par des voies magiques avec l’ambassadrice, dépêchée à sa rencontre à des fins d’exploration ou collectage d’un monde qu’on ne reverrait jamais, tel un occident devenant peu à peu obsolète dans l’esprit et les forces du monde, l’ambassadrice, toi-même, voulant seulement prendre soin, alors que lui parvenait à l’oreille l’axiome prononcé par la voix tragiquement posée du vieil homme se tenant devant elle : « on n’est jamais chez soi nulle part » ; ce même vieil homme dépassé par toute cette histoire, cet homme, ce pater familias et entrepreneur, ayant sombré dans sa folie.

proposition n° 8

On est en bande pour une fois, il pleut, on va aux champignons, c’est la saison. En cours de route, les plus jeunes se lassent et filent. On se retrouve à quatre, le nez par terre, à fureter sous les feuilles, à l’aide d’un bâton, se pencher, s’exclamer, s’interroger, s’accroupir, ou dédaigner le mauvais, l’empoisonneur. L’eau coule, sur la figure entre les yeux, dans le cou si on lâche la capuche. Pas forte mais terriblement insistante. Ici on s’en moque. C’est la normal. Le pays où la pluie tombe sur les vaches et les pommiers, autrefois les poiriers. Cette pluie habituelle ne devrait pas pouvoir faire revenir Verlaine, mais si, dans le secret de son cœur où on tient son chant mélodieux au chaud, prêt à être modulé, lentement, pour soi seul, dans la forêt où nous marchons. On s’échange des remarques, des blagues, il pleure dans mon cœur, on rit, la terre détrempée dans laquelle collent et se décollent nos bottes, comme il pleut sur la ville, on s’interpelle. Les cèpes, les bolets, quel vin ? On demandera à Michel et il nous fera un délice à sa façon, contredit par le Colonel. Une belle dispute sur la recette en perspective, quelle est cette langueur, et assez rapidement nos paniers sont pleins, qui pénètre nos cœurs. On rentre, les petits nous ont rejoint. Ils nous parlent des arbres, des animaux, de leurs courses d’indiens. Eux non plus ne se plaignent pas du temps, ô bruit doux de la pluie. Ils l’apprécient sans façon, pour claquer leurs pieds dans les flaques, et venir s’éclabousser l’un après l’autre, par terre et sur les toits. Vite, défaire les petites bottes, les passer sous l’eau, préparer une marinade, les envoyer repasser leurs leçons, leur donner des explications, tu restes toi cette nuit ? pour un cœur qui s’ennuie, non, je travaille demain et je passe ce soir chercher les enfants chez leur père, ô le bruit de la pluie. Le Colonel s’approche, un verre de blanc à la main, goûtez-moi ça, en faisant claquer sa langue sur son palais, délicatement. Michel active un feu, avant de se mettre au fourneau. Le chat miaule affamé, il pleure sans raison et notre mère appelle. Vite, éplucher les légumes, lui faire un plat à part, dans ce cœur qui s’écœure. Je l’aide à se lever, je dis aux garçons, baissez d’un ton, le feu crépite dru dans la cheminée, viens maman, assieds-toi, réchauffe-toi. Ce n’est pas le moment de te laisser abattre, on est tous là, tu as fait un rêve, quoi, nulle trahison ? pas réel, raconte, ce deuil est sans raison, et, dit notre mère, dans sa belle langue de toujours, j’ai rêvé que mon cœur était en carton et qu’on me le découpait aux ciseaux. C’est bien la pire peine, on se tait, silence, il n’est pas sans raison, chacun s’empresse, fait ce qu’il a à faire, bruit de vaisselle, mettez la table les enfants, c’est bien la pire peine, non, pas ici les fourchettes et attention en tirant ce tiroir. Dehors, la pluie s’est arrêtée, dommage, de ne savoir pourquoi, encore qu’entre ces murs, beaux et costauds, de la grande maison, on ne l’entend plus guère, pour ne pas dire du tout, on la regarde juste, en se demandant comment, sans amour et sans haine, de tous ces petits riens, qui font la vie ensemble, pour un moment spécial, isolé, retenu, Verlaine, mon cœur a tant de peine.

proposition n° 9

Il est assis à la longue table de cuisine, du matériel posé partout, le casque sur les oreilles.

Dehors, le drone survole et filme. Coupé du monde sonore, MKHA se prend à imaginer le ronronnement paisible de son moteur. Le drone surplombant la canopée, le faire progressivement venir au dessus du toit. MKHA se penche et aperçoit son double DBL par la fenêtre, bras légèrement tendus, appliqué. Plus rien dans les oreilles comme si c’était Malville et la sortie de la cave après l’explosion « ils l’ont fait ». Ou encore, le silence mortel des animaux précédant l’ouragan. Bosse ! Lentement, repasser la dernière bande son, voire opérer quelques corrections. Il enclenche. Le grain du violoncelle fait immédiatement surgir la scène de l’enregistrement et … tu pleures imbécile ? Écoute plutôt. Rien à dire. Grain pur, vibrations coulent et s’infiltrent et l’obligent à fermer les yeux … Lorsqu’il les rouvre, l’autre, dehors, entre de nouveau dans son champ de vision et agite les bras dans sa direction. Opacité de l’image, ne parvient pas à la faire exister en la séparant de son son, le sien de son, quelle prise ! En dehors du boulot en plus, juste pour le plaisir. Elle avait rudement appréciée ! Cependant qu’au dehors les mouvements de bras insistent. Il enfonce la touche stop ; ôte le casque. Non, pas le silence de Malville au travers des épais double-vitrages car en bas la pompe à chaleur se met en route, tandis qu’il sent le chat Isodora se frotter contre lui en alternant des bouts de miaulements ténus et un ronron entrant en compétition avec le frigo. MKHA se lève et repousse la chaise, faisant grincer les pieds massifs sur le carrelage et, toujours imprégné du mouvement de l’archet, marche jusqu’à la porte-fenêtre en laissant traîner plus qu’à l’accoutumé ses chaussures sur le sol, qui couinent par intermittence. Arrivée à destination, un tour de clé qu’il balance sur la tablette à côté, dans un cliquetis lui arrachant une grimace de satisfaction tant l’acoustique de la pièce branche son oreille experte. Ouvre grand la porte. Pas un grincement, le ploc rassurant du joint qui se libère. L’air lourd et embué de ce mois de juin lié à des conditions atmosphériques inhabituelles, lui donne l’impression de se fondre dans un extérieur ouaté avec l’option réducteur de souffle pour l’enregistrement. Tu ne m’entendais pas t’appeler ? Non, évidemment ! Faut que je parte. Je fais le montage et t’envoies le film. Ça devrait aller. Tu bosses ce soir ? Ils vont être contents en bas pour leur jolie fête sous l’orage, dit le DBL en tournant la tête et décochant un mouvement de menton vers le ciel strié de noir. Coup de vent sifflant brutalement aux oreilles, oiseaux cessant de chanter. Il lève les yeux lui aussi. L’autre s’éloigne en faisant gicler les cailloux de l’allée qui retombent les uns sur les autres dans un bruit de partie d’osselets. Oui, descendre en ville, pas pour travailler mais pour se mêler un peu, se fondre, les voir, les sentir, chauds comme des personnages crevant brusquement sa solitude, descendre en ville dans le bruit de la fête perdue au milieu de l’orage. Sortir du blockhaus.

proposition n° 10

Tu vas t’y mettre oui ? Quoi ? À l’épluchage ! Tu crois que tu as quoi, l’éternité devant toi ? Quelle heure est-il ? Durée... Cuisson... Que ce soit bien bon. Qu’elle en ait du plaisir. Qu’elle me fasse ce sourire, qui lui reste. Voyons voir… oignons, poireaux −pas les bâtons − courgettes, aubergines, tomates − pas trop − pas les légumes de la guerre évidemment. D’abord les oignons. Ici, on les coupe en quatre et on les effeuille délicatement, tout à la main pour retarder l’agression, avant de les laminer au hachoir. Dès la première couche cuivrée éliminée d’un seul pincement de deux doigts, comme un sous-tif qu’on dégrafe et qui tombe net plus bas, on est sur la douceur de leur peau, suivie d’une fine transparente pellicule à rouler entre le pouce et l’index. En plus, sentir les bouts de ses doigts comme si on les avait trempé dans un vagin dévoreur. Ou bien les y renifler directement là, après s’en être empiffré dans une poêlée la veille, à la lueur des chandelles. Langue bâillonnée chez les siens, tout au fond des bois, ci-gît, guet-apens derrière un ravin, les hauts les bas de l’histoire ! Comment est-ce arrivé, se demander après coup ! Délit de parole du menuisier révolté de Bouvard et Pécuchet. Épluche. Misérable ver de terre, tu te tortilles comme un fou, y’a les p’tites mains cruelles et inconscientes qui t’arrachent à ton habitation, pressent le remue ménage intérieur de ce petit corps avançant entre les doigts apeurés de sentir le contact contrasté puis, tendu victorieusement à papa, tiens, et − ô sort cruel − planté direct dans l’hameçon ! Et la maison des porcs alors ? Quoi la maison des porcs ! Combien de tomates, pas trop c’est acide, juste une. Mais tu te rappelles pas quand tu te plantais devant sans pouvoir t’empêcher de humer l’odeur et qu’ils se pressaient et plongeaient le groin dans la mangeoire que la fermière venait d’emplir au ras bord ? Pas extra ça ? Oui pour sûr, non m’en rendait pas compte mais c’est vrai cette odeur, la pâtée. Extrême, fascinante, le corps figé. Aussi celle du chocolat, dans le vent, en rang d’oignons, la cour de récré près de la chocolaterie. Oui, oui. Faim. Faim ? De quoi, ne me fait pas rire ! De sa bouche, faim de sa bouche. Dans la mienne. Sa langue. Âpre, dévoreuse, bateau ivre, tango, virant de bord et prenant le large, tandis que le sel coule des yeux jusque dans la bouche, les noyer sous l’eau claire. Bon ; attention l’aubergine. En dés c’est mieux. Concentre toi. Qu’est que tu vas faire après ? Me tirer loin d’ici trouver mon île et rester seulement en quête des signes. Et tu fais quoi à tripoter cette tomate comme si t’étais à la chambre arrête mets à cuire, doucement, et ça suffit les pleurs à cause des oignons ! Parler, parler, y’a pas que ça dans la vie, toujours on est une substance et on se donne à sentir, toucher, manger. On n’y peut rien c’est comme ça. Les murs ici n’ont plus ni goût ni saveur, plutôt sortir et passer la main sur les écorces en fermant les yeux pour voir comment ça racle la peau et chasse les scories. C’était quoi le problème cette nuit ? Rien, impossible de dormir. La langue qui prenait toute la place comme si elle voulait se barrer, sortir, quitter les lieux et ça poussait contre les dents, alors tenter de la calmer, la poser tout doux contre le palais, la caler, arrêter de tanguer, la donner à goûter à personne qu’à la vague, et l’inverse là tout de suite, la bouchée qu’elle complote entre elle et son palais, frémissante et solitaire, douce et forte, aller chercher des herbes. Et au retour, baisser un peu, pas la plus légère odeur de brûlé, non, juste le sucré salé, fondu, oui, encore un peu.

proposition n° 11

On est dimanche. Les boulistes confirmés, certains flanqués de leurs épouses et de la marmaille, sont présents. Le généreux soleil de cette après midi de juin, généreux pour la région entendons-nous, se fraye un chemin difficile au travers de l’épais feuillage des arbres, et donne le maximum de sa force sur le banc orienté pour la recevoir. Il faudrait en réclamer un autre à la copropriété, souffle une petite femme boulotte à l’oreille de sa voisine de siège. Voyez comme il est vite plein dès les beaux jours le dimanche ? Je pointe ou je tire, entend-on fréquemment au passage des joueurs. Les enfants, eux, ne se laissent pas embrigadés par ces réunions spontanées du dimanche après midi du domaine des épaisses, alias Les Hauts Boisés, où se retrouvent une bonne partie des habitants suivant la volonté expresse du chef de tribu, décédé à l’heure où je vous parle mais dûment relayée par celle du maire de la commune, digne habitant des lieux, tant dans la préservation du terrain de jeu que dans celle du chemin commun, voie d’accès à chaque propriété, ainsi que du règlement interdisant d’édifier la moindre clôture pour bien signifier, nous sommes là, nous sommes ensembles, solidaires et unis. Et les enfants ? Brutalement il ouvre les yeux. Regarde l’heure. Neuf trente. S’il veut survivre encore un peu, il lui faut faire un tour en ville. Il se douche, en prenant soin comme à son habitude de laver la robinetterie autant que lui-même, se sèche, s’habille et après un café sur le pouce, sort une voiture du garage et, descendant lentement le chemin de la colline, prend la petite route menant à la ville voisine. Le soleil de juin, resplendissant en ce début d’été, dore les champs de blé et remplit l’horizon de couleurs pastels adoucissant les pensées et les faisant atterrir comme des volées de moineaux à la surface de l’eau rafraîchissante d’une marre. Direction le super marché, la pompe à essence, le boulanger pour un petit bonjour et lui rafler ses invendus d’hier. Il se gare, se munit d’un caddie et entre. La curieuse fraîcheur le saisit, inodore, et les sons aseptisés des chansons de variété d’une radio locale, entrecoupés d’annonces doublées, aussitôt oubliés, comme toutes les images et inscriptions publicitaires qu’il faudrait se forcer à regarder pour les faire exister, s’arrêter, passer à autre chose, les noter, les dessiner… mais non ; elles disparaissent comme on n’a jamais commencé d’être là, seulement son corps qui avance, ses mains qui bougent, occupant d’un sas parcouru en tous sens au profit d’une fonction. Taches de couleurs, légers éclats de voix perçant soudain la couche première, persistante, au travers d’un brouhaha flottant, ou silence, charriant on ne sait quoi d’une part d’humanité qui s’assemble dans une chorégraphie dont le metteur en scène s’est depuis longtemps retiré sur la pointe des pieds, et dont il suffit de franchir le seuil pour entrer dans la danse sans parole, de ces nous qui ont juste à tournoyer ensemble, tel que lui se trouve actuellement positionné, au rayon fruits et légumes. Pardon, excusez-moi, en heurtant le charriot d’une femme qui se retourne et le regarde ; corps ondoyants entre les allées, bras balancés d’un côté ou de l’autre après un temps d’arrêt, figés, mains s’emparant d’un article, un autre, bras s’abaissant pour dépôt simultané dans le caddie. Déclic, article décompté automatiquement sur leur carte. N’auront plus qu’à retourner à leur véhicule autonome qui les ramènera chez eux. Hors la présence de chair du de la caissier-ère, ultime percée de l’anonymat institué, bonjour, vous avez la carte du magasin, 87 € 99, merci au revoir bonne journée, bon courage mademoiselle madame pardon monsieur jeune homme des caissiers-ères en poste, rêvasse-t-il à la vie future qu’il voudrait peut-être pouvoir retarder par le simple effet d’un pouvoir magique de la pensée. En attendant il est là, au milieu de tous, pourquoi pas elle, ou lui, ou lui, regardant de près chaque fruit, chaque légume, qu’il regrette de ne pas pouvoir s’acheter au magasin bio du village à l’opposé, fermé, c’était écrit, hier, sur le papier.

proposition n° 12

Il sort et tout en rangeant ses courses dans son coffre de voiture, reprend son rêve interrompu du matin. Le prolonge tout en se dirigeant à pied vers la mairie. Et les enfants ? Hé bien les enfants se dit-il, ne s’en laissent pas compter : ils ont érigé un règlement concernant leur propre vivre-ensemble, et sous l’égide d’un grand aux idées qui lui poussent de partout, ils s’entraînent à passer la majeur partie de leurs loisirs au sommet des arbres, tels des écureuils virevoltants ou des singes à l’affut. Ils frayent avec le monde animal au sein du végétal. Car c’est bien plus éducatif et rigolo et que cela vaut probablement la vie tumultueuse de la cité dont parlent certains de leurs camarades d’école ou celle des fermes plus ou moins industrialisées racontée par d’autres. Et la devise affichée de tout ce petit monde reste, il faut bien le dire, calquée sur celle de leurs pauvres parents − pour vivre heureux vivons cachés − grimacent les enfants perchés qui déambulent dans toutes sortes de passages en hauteur, ouverts à force de pratiques … Mais voici qu’il interrompt sa marche à travers la place et, sur le point de pénétrer dans le petit parc jouxtant la mairie, la main sur le tourniquet, tourne la tête vers la grange où il se faufilait comme tous les gamins avant sa restauration par la ville. Sans hésiter il l’a rejointe. Immense grange préemptée par la mairie dont les travaux ont été bouclés il y a peu. C’est un lieu de mémoire dont nul ne veut se défaire ici. Une vieille histoire d’héritage en indivision qui aurait mal tournée. On ne sait pas bien. Toujours est-il qu’on est attaché à la beauté des poutres, des pylônes, du toit de ce bâti ouvert à l’ouest sur la ville et sur des champs alentours à l’est d’où l’on aperçoit la départementale qui la quitte et les bois qui la bordent. Pour tous, ce qui n’est encore qu’un lieu de rencontre, de passage, de halte ponctuelle, doit prendre prochainement une autre destination. La communauté de communes s’est paraît-il mise d’accord sur les visées des uns et des autres : celle d’un grand espace d’expositions et/ou de rencontres associatives destinées à renouer les liens sociaux en particulier auprès des jeunes chômeurs, nombreux dans cette vallée (les vieux, on les laisse sombrer dans leur alcoolisme en attendant de les caser à l’EHPAD du secteur). Alors, on se dépêche de profiter encore de ce vide informel qu’on aime bien comme s’il appartenait vraiment à tous puisqu’il ne sert à rien de particulier, qu’à s’abriter des intempéries en soufflant un peu, parenthèse prenant tous les tours en fonction de son état d’esprit où de la façon dont on est accompagné ou de qui l’on rencontre. Lui, il aurait préféré de simples bancs invitant à la causerie et une boîte à livres où se recharger sans passer pas la case librairie mais il n’a même pas donné son avis. Un peu plus loin devant lui, un gamin fraîchement sorti du collège se roule une cigarette comme s’il était empêché de respirer sans elle. Lui fronce le sourcil mais hausse les épaules et décide de passer outre. Ce ne sont pas ses affaires et la suite de ses courses attend. Décidément, si elle voyait ça, se dit-il en reprenant sa marche, elle dirait qu’il a fait des progrès.

proposition n° 13

Bien se caler il s’entraîne. Peut-être elle aussi. Attendre, ne rien pouvoir faire. Ici comme ailleurs. Ici dans cette « voluptueuse banlieue » du fond d’un stand by bétonné parcouru de frémissantes lézardes favorisant la contemplation, de la place commerçante où elle ne vient pas pour déambuler dans des micro buts précis et fonctionnels, mais pour s’assoir et offrir tous ses sens à l’attente, à l’éclosion d’images de la ville dont la porte pourrait s’ouvrir, cette ville où elle s’est trouvée enfermée par la force des choses, toutes les choses qu’on n’entend pas nous parler et pourtant elles nous parlent. Le banc au milieu de la place, accolé au parterre de plantes « défense de », et même une petite table de pierre comme si on pouvait y travailler, écrire, par beau temps, en regardant les habitants s’affairer. Toute cette bourgeoisie banlieusarde huppée, au charme discret et sourire affable, venant faire ses courses et prendre un café, se retrouver, parler, s’occuper, fière de sa sociabilité organisée, son réseau de surveillance « voisins vigilants », sa maréchaussée hautement montée sur d’intrépides équidés, sa participation à la politique locale, son fond de roulement, l’entretien assidu de son environnement, ses travaux d’amélioration de tout crin. Elle balaye lentement d’un regard circulaire, la boulangerie modernisée, qui a remplacé le vieux fonds croulant d’un autre temps, le fleuriste, a pris la place du poissonnier ne faisant pas son beurre, l’agence immobilière, indispensable gestionnaire du turn-over d’un statut quo solidement vanté, la librairie closed, non remplacée depuis qu’elle a fermé ; un élément nouveau, le roumain, admis par impossible à faire la manche assis à gauche de l’entrée du Carrefour City, parfois il vend des fleurs bienvenues pour telle occasion, premier mai du muguet, le Carrefour City et les pourparlers de rachat de l’épicerie indépendante qui était là avant, bien avant, l’institut de beauté, le coiffeur, le cordonnier, seul boutiquier daté d’hier, décontracté, la banque, flanquée du courtier d’assurances et de prêts où tout devient possible, l’opticien au design affûté et le café restaurant, l’indispensable café-terrasse où se retrouver, tous trônent attachés les uns aux autres, tandis qu’un dernier côté de la place se clôt sur un bel auvent et ses colombages où abriter le marché du vendredi, rien, ne manque rien pour une petite vie paisible où la quiétude en famille une fois la porte fermée, n’est bousculée que par son vide grenier annuel, et sa fête des voisins par secteur ; tout va bien. La petite ville où il fait bon vivre. Ici, on est raciné comme de la mauvaise herbe, dont on distrait son jardin le weekend dans un grand bruit de tondeuses se relayant. Vivre au chœur du fortin. Attendre la Vita Nova à la manière d’un chat. Comment le lieu bouge et décline autour d’un corps immobile. L’ordre moral préservé, conservé pour passer l’hiver, intact, par les propriétaires qui ont un rôle économique et financier enviable à jouer dans celui de la société. Échiquier ordonné comme la charité, huilé, encadré et ré-encadré s’il le faut. Résidences closes, portes closes, et tranquillité seulement menacée par le désordre mondial au sujet duquel on exprime ses conseils évidents de rationalité déterminée par la défense de ses intérêts privés. Une bibliothèque, si peu inspirée contrairement à sa bibliothécaire déprimée. Et toujours, la jolie vie de famille qui aide à tenir en place, la structure modèle, l’entre-soi à la crème de respectabilité. Attendre sur ce banc communal bras écartés, jambes croisées et parfois sentir le corps qui se resserre et les mains qui viennent prendre la tête et frotter puis, comme dans un hamac, se balancer et écrire une clé ou deux pour sortir sous le regard esbaudi, bouche grande ouverte, d’un blondinet qui ressemble à une chouette, planté là debout comme un attrape-rêve accroché à un saule pleureur, celui d’un jardin qui n’attend plus son partenaire locataire grimpe en l’air maître du vent, mouche insolente toquée pas comme il faut, a pris la poudre d’escampette à tire d’ailes sous la pluie acide de la ville, la fausse ville de pharisiens diplômés dont on ne trouve pas la porosité des dedans-dehors, intérieur-extérieur, public-privé, la petite ville à l’unique mendigot d’Europe de l’Est pas sdf, juste sans emploi, admis à s’assoir, certainement pas à recevoir, parce que les temps sont durs et que c’est immoral. La petite ville qui appréhende tout envahissement en laissant fièrement de côté l’avenir de ses ruines et de son lent enlisement.

proposition n° 14

On se glisse dans la vieille épicerie juste histoire de filmer en rêve et de préparer son travail. Ce n’est pas comme rentrer fantôme à l’intérieur du super marché. L’intérieur et son contenu ont des résonances familières, sinon familiales, même derrière un œil de caméraman virtuel. Et on n’a pas le temps de se décider pour tel melon ou telle aubergine que l’épicier s’approche, dans sa blouse bleue à l’ancienne avec son air timide, le même depuis trente ans. Il parle tout doucement comme s’il ne voulait pas déranger et répète le nom du produit demandé. De grosses mains durcies par la manutention, un corps disparaissant derrière le vêtement de fonction, ni gros, ni maigre, que laisserait de côté un sculpteur, à moins de l’appeler modestie, un visage régulier et des sourcils minces, une lèvre inférieure charnue, des yeux foncés qui ne plaident pas sa cause, semblant très loin tellement ils font gentils et étrangement attentifs. On a l’impression qu’il fait corps avec sa boutique, sa balance, sa calculette, ses fruits, ses légumes, depuis le temps qu’il gère ce petit monde dans un effacement discret qui prive soi-même de parole comme si on se trouvait dans quelque lieu saint où le silence est de règle. C’est maintenant vers une dame âgée qu’il se tourne. Celle-ci avance à pas mesurés, hésitants et s’aidant d’une canne. Son dos est malmené par une grosse bosse qui la rapetisse et l’empêche de relever la tête, de sorte qu’elle s’y essaye sur le côté, comme ferait une chouette, sage, réfléchissant. En effet le calme de ses yeux bruns embués par les ans derrière ses lunettes, semble démentir la déficience physiologique qui l’enserre dans une carapace inhumaine. Et d’une bonne main ferme qu’on imagine aisément protectrice, soulève sa canne et désigne tour à tour, dans un commentaire bref et précis les objets et aliments de son choix. A la fin des emplettes elle sort, aidée par l’épicier qui remplit le coffre d’une petite voiture garée juste devant — comme une mesure spéciale qu’elle s’accorde à elle-même —, où elle s’introduit avec difficulté, avant de la démarrer et de s’éloigner prestement, dans un bruit de moteur diesel, laissant flotter sur le trottoir la grâce de son aimable sourire. Une femme la regarde partir, qui rejoint le café tabac à pas lestes. On décide de la suivre. Son corps, ferme et même musclé sous sa robe coupée simplement, attire l’œil par ses formes amples, marquées de successions de lignes concaves, convexes, comme les hommes dessinent des deux mains dans l’air quand ils parlent d’une pin-up, sauf que non, cette démarche souple, ce visage aux yeux couchés et qui a visiblement vécu est celui bien connu ici de la prof de gym qui avance en jetant parfois au ciel un coup d’œil inquiet sur le temps tournant à l’orage et menaçant l’intégrité de sa tenue sobre et légère, lui faisant hâter le pas. Elle pousse la porte du bureau de tabac et s’arrête devant le comptoir. Parrrdon, fait une voix terriblement ralentie, blafarde, celle d’un homme qui doit se trouver là, au bar, à siroter depuis un bout de temps. L’œil de notre caméra virtuelle se déplace aussitôt vers icelui, qui vient de régler le prix d’un chiffre en s’y reprenant à deux fois, avant le départ d’une course hippique dont on peut voir la retransmission sur un écran de tv au fond de la salle de café. Maisons Laffitte. Mais pour s’en détourner aussitôt par pensée empathique qui ne va pas s’attarder. L’homme à la politesse et la lenteur exagérées, avec ses yeux passés et repassés à la machine à laver de l’existence, ses cheveux misérables qui lui tombent et sa peau épaissit, quoique grise ; trop de toutes les déconvenues contenues dans ce corps qui saute sur votre figure, dont on attendrait presque un tonique et tonitruant mouvement de révolte tiens prend ça toi qu’est ce que t’as à me regarder. On sort. Juste avant de rentrer serrer la main du mécanicien façon de parler, qui va continument la frotter avec l’autre dans un chiffon noirci sans jamais vous la tendre. Son ventre d’homme mûr légèrement boudiné dans sa salopette lui confère une silhouette molle que dément un visage anguleux et un menton carré façon Hollywood inspirant confiance et inclinant au tutoiement immédiat.

proposition n° 15

« Ah te voilà toi ça faisait longtemps, allez assieds-toi, et tu sais, faut que je te dise : j’ai souvent pensé que mes affaires ont dû rudement t’encombrer, surtout avec cette vente dont vous parliez tout le temps mais sans jamais vous projeter pas vrai, comme si vous viviez la ruine d’une civilisation on aurait dit, jusqu’à la lie, enfin, tu y a pensé, et elle, elle est devenue quoi, tu n’en sais rien on dirait ou tu ne veux rien dire, mais moi tu vois, après ce que j’ai traversé, je me suis senti gratifié d’un sursit, comme à l’armé dans le temps, et alors j’ai pensé … si les choses pouvaient se faire au mieux et pas au pire, comme les p’tits cailloux blancs qu’on ajoute après leurs morts sur une tombe avec la connerie du regret éternel tu comprends ? j’exagère un peu là mais y’a de ça hein, parce que ça travaille tu sais, et l’unique manière de le savoir que seule vaut bien la sympathie, je ne dis même pas empathie − tout le monde n’a que ce mot à la bouche − c’est de les vivre au bout les choses et en tous cas, je suis rudement content de te revoir toi en chair et en os et moi revenu de si loin si tu savais, non, t’as même pas idée, alors pas la peine … mais toujours je me disais, immobile comme j’étais à l’intérieur de ce guêpier, avant de tourner la page ou faire semblant comme s’il en restait toujours à tourner malgré tout, hé bien, je sais pas moi, vous voir et vous parler … et dis-donc, pas la peine de me faire ces yeux morts et te remblayer recta tout dur comme de la terre, parce qu’en fait, c’est ça la terre et ça se voit cette dureté à travers laquelle rien ne pourrait passer parce qu’elle ne peut plus rien absorber, plus rien on dirait, même pas la pluie qui lui dégouline dessus et les racines qui se baladent et les animaux dedans qui te creusent leurs galeries pour t’aider à respirer, moi tu sais, je l’ai drôlement senti par force − si tu pouvais ça aide − y faire attention, les sentir passer, déambuler eux aussi, on est colonisé, émietté, d’un nombre insoutenable en désaccord à l’intérieur et c’est tant mieux et là, je vais te dire, je peux encore à peine marcher, et encore moins grimper sur tes fichus arbres, sauf que l’eau là, si je m’y plongeais ca irait, comme si on allait pouvoir onduler camarade, se laisser glisser, et toi, je pourrais imaginer, comme je me sens tellement en lambeaux tout juste reconstitué, le cuir de ta figure bougeant un peu et tout le long recevant quelque chose de mouillé pour l’attendrir tu vois, et tu servirais à boire comme avant, sauf pour moi, bien entendu, mais tu le sais qu’on n’est pas si entier on l’est même pas du tout, en tous cas là si tu es venu, ça veut dire que tu t’es sorti alors mais peut-être pas ? tandis que moi je ne peux plus vivre là bas, surtout depuis que ma femme n’y est plus, c’est idiot je sais, alors je prends le train de temps en temps et je vais d’une gare à l’autre, je m’arrête une nuit par ci par là, ça me rappelle quand j’habitais près de cette gare où mon père travaillait et où t’étais venu pour me secourir avec ton espèce de droiture démesurée pour me sauver de tout ce bordel accumulé qui n’avait plus de nom comme j’ai toujours réussi à faire, ça oui, j’étais à deux doigts de ne plus − de ne plus quoi − qu’est ce que tu dis avec les yeux qui brillent là, non, j’étais à deux doigts … comme un vieux tas de bois mort qui peut plus bouger ni avancer ni reculer, seulement posé là pour encombrer un devant de jardin ou n’importe quoi, c’est pour ça que tu t’es occupé de tout et on s’en fout de ce qu’on va devenir, rien, mais sans ajouter au pire si possible, c’est quoi le pire pour toi si tu l’as quittée l’œuvre de ta vie, dis moi, la forêt ça y’est c’est réglé ou pas, ou tu remues tout encore tellement fort sous ta carapace, sans plus de voix ni de repos, comme si tu l’avais perdue ta voix », l’haranguait-il encore et encore tandis que le jour commençait déjà à poindre sur les deux et que l’autre se levait, silencieux, ramassait ses affaires et partait.

proposition n° 16

Il a raison, mais non, pourquoi je dis ça, se dit il, comment il peut savoir, lui, pense t il en marchant dans la ville à pas lents pour s’en retourner. Qu’est ce qu’il en sait de ma vie dans la forêt. De notre construction dans les bois. La mienne de construction, que m’a légué mon père. Que je vais transmettre à un autre constructeur qui me regardera les yeux brillants de passion, sans un mot, par-dessus les fils électriques, les commandes de chauffage, le toit à petites tuiles et la charpente faite pour durer un siècle on se regardera et il me fera un signe de tête complice. Ça va j’ai compris use pas ta salive mon gars, qu’il me fera, pense-t-il tandis qu’il monte la côte, très lentement en appuyant sur ses genoux et en examinant tout de droite et de gauche, par des séries de coups d’œil se répétant toujours à l’identique. À tel point qu’il en connait chaque battement par cœur, chaque crevasse et chaque enflure de la petite route qu’ils ont tous tant gravis, y inclus les autres, les autres habitants, se dit-il. Celui de la première maison, la maison témoin, la chaumière, son propriétaire toujours ailleurs en vadrouille mais qui décroche chacun de ses appels, et puis plus haut, lorsque le bois commence, la maison du maire comme on l’appelle encore, bien qu’il l’ait vendue depuis un bail, se dit-il, à des retraités d’une quelconque profession libérale, des bourgeois de la ville, planqués, tous, tellement contents de venir se réfugier ici à l’abri de tout. Et sur le côté droit le home d’enfants où ça piaille pendant les congés, donnant de la vie au hameau perché, gérée par la syndic de copropriété, si l’on peut dire. Pour ce qu’il y en a une copro, se dit-il en examinant les chênes au premier croisement du chemin en spirale. Bien besoin d’un élagage celui-ci, posant une main sur le tronc et levant la tête, puis prenant du recul. Les pas qui crissent sur les feuilles dans le grand frisson des arbres au milieu desquels il coupe pour continuer son inspection : inspecteur des eaux et forêts, voilà ce qu’il aurait dû être. Mais n’a-t-il pas joué ce rôle au fond ? Ne l’a-t-il pas fait, en réduction, sur cet espace arraché à la déforestation, au béton, aux grands découpages, aux passages, aux avenues et échangeurs, autoroutes et lignes de chemin de fer ? Le défaut de reconnaissance sociale et alors ? Il s’est fait suffisamment d’amis, pense-t-il. Pourtant la vie est renfermée ici, comme si les habitants se connaissaient à peine, celui juste là au grillage martial avec son panneau chien méchant, qu’on n’entend jamais aboyer. Il faut un relevage du cadastre pour le faire sortir de son trou. Et celui d’après qui ne s’est pas gêné pour clôturer en empiétant de dix centimètres sur mon terrain, se dit-il, comme il se l’ait répété cent fois. Le suivant avec sa piscine et sa maison tout en bois foncé échappée de Norvège, y a-t-il un sauna à l’intérieur ? Reste la dame aux chats si on la croise, elle s’est même occupée d’elle avant qu’elle ne meurt, puis passée boire un verre après l’enterrement. Et tous les autres, à qui il se faisait un devoir de rendre visite pour prendre de leurs nouvelles, puisqu’il n’y avait même plus d’assemblée annuelle. Lui-même avait plusieurs fois refusé la fonction. Et, arrivant à hauteur de la maison, sa maison pensait-il, il ralentissait à chaque fois, quelque soit son heure de retour et restait là à s’emplir des fragments de lumière qui douchaient le sous-bois dans le silence qui n’en était pas un, porté par le souffle dont il n’aurait jamais pu se passer, comme si c’était les siens de poumons qui respiraient ici à travers les grands arbres, projetés hors de lui, et soutenus par le chant continu des oiseaux. Ah comme elle avait aimé cet endroit ! Pensa-t-il en se rappelant ce que son ami lui avait dit sur l’agonie de sa propre mère.

proposition n° 17

Il était tout regonflé de sa matinée acharnée de boulot autour de la maison. Sa salopette tachée de sueur lui collait et il lui fallait d’urgence retirer les grosses chaussures de sécurité pour se détendre les pieds qui avaient trop escaladé. Il devait ensuite aller voir le maire pour discuter de l’entretien de la route, et bientôt faire venir le service d’assainissement pour leur contrôle de la fosse septique. Lui, il se lève chaque jour le matin en se demandant y’a quoi comme travail à faire et il le fait. Débarrassé de son harnachement, il sentit le poids de la fatigue l’envahir et se fit un café avant de s’attabler pour le siroter en examinant les photos qu’il avaient prises du terrain sur son téléphone. C’est alors qu’il vit le message (Salut qu’est ce que tu deviens et la maison ? Je ne suis pas ...). Cessant de lire il se leva, arpenta la pièce et pour finir, s’assit sur le canapé où, terrassé par ses six heures de tonte d’affilé, il s’endormit. Dehors le temps tournait à la pluie mais la maison bunker n’en avait cure, et les bruits intérieurs habituels le berçaient. Il fit sur le champ un sale rêve d’enfermement en isolement où les hommes désapprennent à parler les mots, qui s’enfoncent tous à l’intérieur d’eux pour les blesser. Plus aucun mot ne sort. Ce sont eux les premiers prisonniers des lieux. Ils se transforment en pensées toxiques, dès lors qu’ils sont privés de circulation, dans les couloirs ou dans les zones de rencontre, où ils pouvaient en situation normale se croiser, s’échanger, voire se siffler, se gueuler, malgré l’atmosphère opaque de la ville prison où ni son ni lumière naturelle ne transpercent de l’extérieur. Les hommes, contaminés par le contenu de leurs mots agglutinés meurent. Il se réveilla en sursaut et fit un tour aux toilettes pour se remettre d’aplomb assis en réfléchissant. Il avait l’impression de la voir. L’entendre. C’est alors en sortant que sans crier gare, l’épisode de sa chute dans l’escalier plongé dans le noir, une tisane brûlante à la main déversée sur sa cuisse et son cri lui revint. Et ensuite, le scandale que leur frère lui avait fait au sujet de l’électricité. Est-ce là que tout avait commencé ? Ou peut-être avant encore … pour aboutir à ce qu’il savait. Et ses raisons, toujours autant rassemblées à l’esprit comme des soldats présents à l’appel. Décidemment la journée tournait cours . Qu’allait il devoir affronter de plus se dit-il, encore sous le poids de son rêve. Il n’avait qu’à ne pas répondre et s’absenter. Dehors, le jour s’assombrissait et la pluie se précipitait, l’obligeant à recouvrir sa tête d’une capuche et le décidant à quitter les lieux en voiture bien que l’autre fut à trois blocs de forêt seulement. Après tout, il faisait ce qu’il avait à faire sans se préoccuper du reste. Il n’allait rien répondre. Si lui quittait la maison s’en était fini du hameau. Et c’était cela qu’il devait : garder le bois habité intact pour prolonger l’œuvre de leur père. Installé au volant de sa voiture, une vieille Renault collection, il tourna la clé de contact et … rien. Ce n’était décidemment pas son jour. Il règlerait ce problème plus tard se dit-il en sortant et en refermant la porte du garage avec précaution, bien décidé à ne pas se laisser démonter par tous ces signes défavorables, comme un ange lui rendant visite du haut d’un ciel menaçant. Le terrain nettoyé et fraîchement tondu de partout lui paraissait plus grand encore, plus vallonné ; l’odeur d’herbe coupée décuplée sous la pluie se déversant sans ménagement le transportait dans son monde à lui et non décidément, qui d’autre pouvait s’en occuper aussi bien ? Personne. Lui tous les jours il se lève le matin en s’interrogeant sur le travail à faire ici et il le fait. Et ce n’est pas le travail qui manque.

proposition n° 18

Elle m’a dit dans un sourire hurleur troué d’un cri poisseux la terre oui ils l’aiment la terre.

Elle pas seulement mais avec son crime de cri hurlant de toutes ses dents. Plonge de l’extérieur vers l’intérieur perce la pellicule poisseuse de la peau. Plonge perce hurle trou comme si elle se jetait mienne par sourire poisson interposé. Visqueux super dur à attraper pour l’emporter ailleurs et il est ouvert. Voire gigote et elle est à l’intérieur de son sourire hurleur pour attraper cette poisse noire et me la lancer à cri. Son sourire troué de poisson diction. Dis lui de le prendre et son silence sourire, sourire, était sans équivalent dans le domaine du hurlement à l’intérieur de ma cage terre. Serpent se faufilant sur et sous la terre des pieds à la tête et creusant son terrier pour chauffer les gorges, ouvrir des pistes, se noyer, avalanche de sourire dégueulassant la terre, la perforant, faisant qu’elle n’est plus là ni à personne, plus personne non plus. Impossible qu’ils s’en emparent c’est impossible ils l’aiment s’ils l’aiment ils n’avaient qu’à pas y fourrer ce poisson. Submergé de son cri à elle. Pas le silence dans le hurlement caché derrière le paravent chinois de ma mère. Le vrai. Mis en avant jusque dans la campagne, s’envolant par la fenêtre et répandant ses fausses graines partout alors que non. Je peux seul comprendre comment m’y prendre pour ce qui est de la part de divinité que j’ai reçu de la terre et du ciel et de cela seul. Qui se troue mais je ne le regarde pas il ne m’impressionne pas. J’en fais ce que bon me semble de son sourire avalons le trou de la terre recouverte de poisse c’est ça qu’ils veulent pas moi ; moi sans elle ni eux remets la terre en état de maîtriser la vie. Moi je maîtrise la vie hurleuse trouée de son cri poisseux et elle arrête de coller et j’aime vraiment pour toutes choses comprises avec soi. Le reste est troué à dégager. ENTIEREMENT dégorgé, vidé, remis à zéro car je repasse par là avec ma maîtrise artistique en soi des matériaux la vie même sans aucun support médiumnique. Et je renvoie le sourire hurleur d’où il vient de la gorge éjectée et il troue son propre cri poisseux, et reflète la véritable arrière pensée qui n’aurait pas dû être. Sourire hurleur, trou troué à vif, cri poisseux de la terre, terre d’amour concentré dans un respect infini, vase posé sur un mausolée et prié, table de nuit ad hoc pour exorciser toutes choses et être élevé hors de ce monde si dans ce monde à la manière de la terre débarrassée du conflit du sourire hurleur, tremblant et prisonnier, troué et soudain souriant, gravement, comme ayant tout absorbé et enregistré. La terre prend alors ce sourire hurleur dans ses bras blancs et ? Et le berce jusqu’à satiété. Comme lorsqu’elle farfouillait dans sa table de nuit avec cette intention de lecture qui n’était autre que le passé par-dessus du sourire hurleur pour arriver à la terre. RIEN d’autre. Entièrement blanche et vierge et menée par moi-même sans aucune considération extérieure que sa blancheur sa virginité son absorption de toutes choses. Voilà ce que j’ai à lui dire à elle qui montre son silence souriant et hurleur pour ravager les intérieurs qui n’ont pas aimé la terre de son cri poisseux. La poisse n’a ni longueur ni largeur ni épaisseur. Elle n’a pas de temps non plus. Elle est hors du temps. Pour moi qui maîtrise la blancheur et la totalité il n’y a pas Le temps. Le faire poisseux ou l’avoir fait ou le ferai. Le temps n’existe plus dans la totalité du poisson lâché et rattrapé pour en faire tout autre chose que ce que tous s’imaginent. Je le sais. Je n’ai pas peur. Contrairement à tous les falots inexistants et qui croient le contraire quand ils me prennent pour signature. Voilà le résultat noir sur blanc du sourire hurleur qui se veut persuasif alors que ses trous ne font pas le poids face au véritable amour de la terre que moi seul détient.

proposition n° 19

Une nuit où un infime croissant de lune décorait la voûte, et probablement par le fait de quelque phénomène atmosphérique inexpliqué certainement lié au Désastre, tout le haut de la colline se détacha de sa base et porté par des courants ascendants hors de proportion avec tout ce qui avait été relevé jusque là, s’envola avec son bois, sa végétation, sa faune, ses habitats et leur contenu. S’il y avait eu un voyageur solitaire, égaré dans le bas du vallon à ce moment, ce que l’on ne souhaite pas en ces temps difficilement respirables à la surface de la terre, il aurait pu voir en coupe portée sur le fond bleu nuit du ciel une longue et large bande de territoire volant, se déplaçant silencieusement comme un vaisseau fantôme, île d’arbres flottant entre deux couches d’air. Et si ce même voyageur avait pu disposer d’un télescope miniaturisé, baptisé longue-vue en référence à des temps anciens, il aurait pu observer grouillant à la surface de l’île un habitat composite préservé du Désastre par l’épaisse couche protectrice des arbres aux molécules régénératrices, s’activer calmement dans la conduite aléatoire de l’étrange vaisseau les emportant à la dérive. Couche de terre et d’arbres servant de ville embarquée, abritant des survivants de l’extérieur, devenus les uniques outsiders d’immenses villes souterraines massées à l’intérieur de la terre, regroupant une population plus ou moins obéissante à des États durcis devant le péril. Tandis que cultivant d’instinct ce qui convient à leur survie, par l’observation de la faune persistante et la mise au point immédiate d’un mimétisme de conservation, les êtres peuplant cette nouvelle arche remodèlent un fonctionnement simple. Ici, seul l’essentiel à voix au chapitre et tous apprennent spontanément de tous, par le fait d’une impérieuse nécessité conférant l’esprit de sagesse. Du haut de la colline mouvante les êtres vivants peuvent parfois contempler la déliquescence du bas en certains points relayés par des images reflet à la surface de la terre devenue infertile. A bord les insulaires s’organisent. Peu à peu, ils évoluent à la recherche de processus mentaux et physiques traduisant non la possession mais l’échange. Le relevé topographique des lieux tend vers une configuration proche des villages anciens regroupés autour d’un élément essentiel porteur d’un récit fondamental. Ici, le chêne centenaire le plus haut de la ville. Les constructions que les hommes s’évertuent de mener à bien − comme mués par une exigence naturelle − se font en fonction de ce centre. Aménagement et conservation de voies d’accès supérieures à l’intérieur de la canopée, véritables boulevards de circulation menant aux nombreuses zones de culture, dominant les habitats ; peu de modifications ont été apportées à ces derniers. Le système d’alimentation en eaux, les passages de circulations au travers de galeries et de balcons reliés par des passerelles de cordes végétales, confèrent une allure générale assez géométrique faisant ressortir la beauté des branches et des troncs de tous volumes et de toutes couleurs ; ils ne sont pas sans rappeler la ville de Zénobie où se tenait une forme de vie comparable à celle de Arbres. Mais là où Zénobie expérimentait une performance artistique impliquée, Arbres surgit d’un inconscient collectif embarqué dans une aventure forcée, survivant au gré des interventions phénoménales des hommes.

proposition n° 20

Le chat en mal de jeux ou de souris erre d’une pièce à l’autre à la recherche d’un endroit douillet où s’affaler. Rien, il n’y a plus rien. Alors il monte au grenier visiter les amis ennemis qui se faufilent à l’intérieur des poutres ou profitent de l’entrebâillement d’une fenêtre − laissée ouverte par pure négligence − par laquelle s’introduisent le grand duc ou la chouette, qui viennent à tour de rôle contempler la folie des hommes hors leur présence, en penchant la tête. La maison est vide et c’est sa première nuit d’abandon. Allers-retours de jour et interruptions de nuit, désarrois oniriques en quête d’intelligible continûment inatteignable. Car la nuit Les lieux ont quitté la vie normale, supportable, et ils sont là, pantelants comme le chat par temps de trop grosse chaleur, comme s’ils n’allaient plus jamais la regagner. Les cervelles déchaînées ont quitté les lieux qui restent seuls gardiens de la morte-vie. Pensées réfléchies, passions imaginatives et incontrôlées ont brusquement, on le répète, déserté les lieux. Vides, ils sont vides, dans un sas hors de contrôle après lâché sur orbite. Exit le fleuve tempétueux ayant charrié les vies de ses habitants en soulevant les rives comme pour venir se refermer sur eux et les étouffer. Tous les meubles et objets ont été enlevés. Une nuit dense où l’écho pourrait se répercuter sur les murs, d’une voix, d’un murmure, d’un cri de bête. Que les âmes disparues traverseraient (les lieux vides la nuit), pour leur dire adieu. On pourrait entendre en dressant une oreille de chouette, de grand duc, un déambulateur s’avancer lentement en procédant par à coups, et, se mêlant aux bruits causés par les roues de l’engin diabolique, des pas frottés continûment sur le sol, l’aile d’une robe de chambre recouvrir de ses forces perdues les os où s’accroche un éclat de vie qu’on voudrait pouvoir encore secourir. Les passions en vase clos ont quitté les murs ou sont imprimées dedans, qui sait, formant des couches se superposant en attente des suivantes de toutes autres couleurs déversées. C’est alors que ce qui était apparu comme une victoire sans précédent sur le mont boisé, de nuit se brise tout à coup comme un vase écroulé signalant le crime impossible à discerner, sinon pour le voir advenir brusquement du fond de la nuit. Crime qui se découvre aux yeux des murs seuls, dans une demi-terreur consciente d’un impossible retour arrière. Vide, vide, morte-vie clouée entre quatre planches hors de proportions et emportée dans d’autres contrées puis déposée là, immense colis dans l’hangar cyclopéen destiné à le recevoir, lui et son contenu pour n’être jamais, jamais rouvert et rester le reflet de l’âme perdue qui se bat de nuit contre ses vautours avant de regagner les territoires immortels.

proposition n° 21

De gauche à droite et de bas en haut : dans le coin supérieur gauche saillie pour ainsi dire d’un carré de couleur brune avec en dessous un flou couleur chair concentré en une forme oblongue posée sur le dessus. Abandonnée. Vers le milieu, plan du fond tout d’abord, lequel est constitué d’un aplat blanc sillonné de nervures grises à peines perceptibles variant en épaisseur, pleins, déliés, avec par devant, deux bandes rouges et noires ou peut-être bien vertes foncées sur fond crème ou bien encore grisées salies avec de gros caractères noirs en lettres majuscules LA plus loin CTO plus loin CIS illisible, délicatement clos par la partie bleutée d’un d’élément vertical, entrelacée de filaments se croisant formant des losanges. S’il fallait les peindre, penser à une alternance de touches claires et foncées, les claires lavis bleu transparents et ocre détrempé pour les foncés. Partons ailleurs. Zones innervées de traits rouges fins, sur fonds blancs de faible habitat ou industries, territoire entre deux fermé au sud par étendue verte bosquets ou bois ou pâtures, entre deux sillons bleutés fermant le tout. L’ensemble rehaussé au niveau de la crête d’un pli, violemment escarpé, découvrant au dessous un large espace raviné où pourraient s’engouffrer des troupes armées partant aveuglément à l’assaut, en fait d’assaut une marche écrasante pour déboucher de l’autre côté du tunnel ainsi constitué par le pli surélevé du territoire figuré, et aboutir de l’autre côté sur on ne sait quel sanglant guet-apens de bleus sur rouges ou inversement. Sur le côté, fermant la vue dans la lunette de tir, coin noir constitué d’un triangle de carrés amassés comportant des inscriptions floues dont certaines sont totalement effacées. Chaque petit carré s’offrant à la faible vue, maculé à l’exception des effacés, d’un dessin blanc rendu illisible depuis le poste d’observation. Par dessus, par intermittence, flottent d’informels composants rose beige en quantité variable, matière indéterminée, posée sur les carrés aux marques distinctives plus ou moins effacées, occupés à en appuyer de loin en loin certains, matière comme vivante apparaissant disparaissant, activée désactivée. Ailleurs encore, assemblage de nœuds superbement mis en valeur, enchâssés dans des alignements verticaux bruts, noix de cajou, matité aux volumes irréguliers recouverte d’un velouté qu’on voudrait pouvoir toucher, irrégularités retenant l’œil, sculptures naturelles ou plutôt bas reliefs formant des couches aux coloris nuancés sur fond dense et obscur, lumière déclinante sur cette unique composition avec cependant un contraste de quantité dans l’angle supérieur gauche, constitué d’une ligne épaisse et torsadée, blanc cassé, reliant la partie verticale à la partie horizontale, calme le jeu, attache l’œil qui circule et revient, s’y arrête. Ailleurs encore : deux lignes noires, en T renversé, épaisses, mouvantes, denses, grignotis de surface compacte, surgissant de la solide matière jaune paille, lignes noires mouvantes, suffisamment compactes, wagonnets rattachés les uns aux autres, paraissant sortir en nombre infini de la masse jaune paille, matériau vivant envahissant l’espace consulté, selon un plan géométrique parfaitement respecté, chemin parcouru inlassablement par le groupe tendu, aligné, lié, collé comme un vivre ensemble à l’acharnement inextricablement programmé. Machinerie redoutable faisant craindre pour la partie recouverte, qui se voit envahie, colonisée, fichue. Vite, voir encore ailleurs : masse volumineuse encombrant presque tout l’espace, posée sur un rebord formant un à plat marron comme escamoté de biais sous elle, et en premier plan un blanc de même configuration. La masse de forme arrondie globalement cylindrique est parcourue de compositions dont la surface veineuse, maladive, ressort et présente sur le dessus un aspect irrégulier assorti de bulles blanches lumineuses scintillant comme des méduses traversées par la lumière du soleil au milieu d’un sable gris foncé, métallique. On dirait un masque ferrugineux datant de l’âge de bronze, attirant et repoussant à la fois, grossièrement inaltéré avec des parties visqueuses collées à sa surface, brillantes, bleutées, disposées horizontalement, verticalement, ainsi que sur les rebords du cylindre. Au sommet de celui-ci, les irrégularités du masque de surface laissent la place à un pourtour évasé et lisse, terreux, mate, hérissé de ci de là de quelques lignes ou stries plus ou moins obliques assorties de leurs ombres, et plus ou moins larges au nombre de cinq. Les trois derniers traits sont épais et impossibles à déchiffrer, comme une calligraphie japonaise gardant tout son mystère, cependant que la surface masquée impose sa fascination dans un continuum de mémoire collective traversée de chevauchées fantastiques.

proposition n° 22

A bord du secrétaire planche ouverte − elle penche un peu trop vers l’extérieur à cause du poids de tous les livres, les repousser dans le renfoncement du meuble à soi de la chambre partagée. Faire corps avec le meuble volant. Au dessus les parties évidées, toujours pleines de livres et cahiers accumulés, au dessous les grands tiroirs, si durs à tirer vers soi en tentant d’équilibrer les deux côtés à égale distance, accroupie devant. Et place nette après les devoirs pour lecture n’importe où, dans l’appartement occupation des pièces à tour de rôle et garder avec soi une feuille pliée à l’intérieur du livre. Il y a aussi cette chambre d’hôtel à la montagne, pour se remettre du gel de la maladie, mais surtout pour affronter quelque chose comme l’écriture de la pensée à sortir de soi. Ce soir là, qui a proliféré en des soirs pluriels au fond de la mémoire, comment était le papier peint du mur où venait s’ajuster le petit lit ? Impossible à dire sinon arpenté ou plutôt descendu en rappel par une araignée qui disait tout du monde à sa portée, ô règne araignée du monde velue pauvre grotesque, alpinise ce mont chambre dans un noir qui te sourit, monte et descend avec la dextérité naturelle qui te fait te transporter au milieu de ton ouvrage, l’amplifier, le solidifier. Et des promenades en forêt faisant ressortir la solitude et la poussant derrière ses retranchements, pour l’examiner plus attentivement avant de la transpercer de flèches fulgurantes venues de territoires vus en rêve, et, s’appuyant aux arbres compagnons de route se laisser glisser à leurs pieds. Il y eût toutes les cuisines de poésie mixées à la sauce de la salle de bains fermée trop longtemps sur la rêverie transformée en mots, de part et d’autre des glaces répercutant à l’infini de devant et de derrière la situation du dire écrire. Et surtout la découverte de la machine à écrire. Devoir autant à Arthur Rimbaud et Lautréamont qu’à ce bloc noir lourd et pyramidal, bien casé à l’intérieur de son socle reposoir à tubulures métalliques monté sur roulettes. Elle fait face avec ses touches en espalier comme des cultures méditerranéennes, offrant dans des ronds les lettres installées au bout des jambes griffes susceptibles de bondir de leurs loges pour venir frapper le rouleau noir velouté extrême et parfois s’y coincer en s’accumulant, tel un accident de la circulation où tous viennent s’écraser les uns sur les autres et attendre les secours. Quelle discipline il fallait pour rythmer la phrase autant que le lancé de touches ! Apprendre, lentement, progressivement. Attribuer les lettres aux doigts autant qu’au monde qui s’introduit entre eux, les caresse, les ignore, s’attarde, file, disparaît au loin, se fait sourd à l’appel, à la voix, aux odeurs, aux bruits, ou au contraire s’offre et se laisse appréhender en suite de mots sauvagement frappés. Devant le clavier, l’assise élancée, se faire arbre puisant dans des racines ignorées pour la propulsion. Sève toute dehors, retour charriot d’un grand trait déterminé, ponctué d’un coup de sonnette au rire bref, continuer de frapper. Chaque lettre dans son rond noir cerclé de blanc, un blanc impavide, sur lequel on ne regarde pas. Juste la feuille et les mots qui s’inscrivent un peu flous − il faut changer le ruban − ou bien encrés mais toujours bons à contempler, comme un regard se perd jusque dans le fond d’un puits. Enfin, passé un certain nombre de frappé lancé, passé une certaine vaillance, la main qui monte avec mesure vers la feuille circonscrite, pendante vers l’arrière comme une chevelure lissée, la saisit à plein, et d’un coup sec, se distinguant de la danse des autres bruits produits, mémorisés, l’arrache. Parfois ainsi. Parfois rien. Sortir. Et pédaler mécaniquement à l’air vif, à travers la brume ouatée de ce qui ne se voit pas, brume à laquelle il faudrait tout de même donner vie. Elle est liquide, penser à tenter de la capter sans plus la ponctuer. Penser à lui imprimer le moins possible de soi. Penser à s’y fondre, s’y laisser couler. Voici le bateau mot, jour, nuit. La feuille croissant de nuit depuis le radeau lit.

proposition n° 23

Parfois il suffit d’un coup d’œil au dehors, s’il ne pleut pas, s’il fait encore jour, pour se sentir empli de l’air propre au hameau vu d’ici, deux secondes en passant, comme la prise d’un bol de marée dans sa vision d’ensemble pour se retaper. Pour cela, il suffit d’ouvrir la porte de la cuisine et avancer d’un pas amenant sur la terrasse. Face aux arbres, lever les yeux et les promener de bas en haut, en suivant la spécificité de chaque écorce, en ressentant les différences au contact visuel de chaque tronc, l’un après l’autre pour commencer et puis se laisser soudain happer par tout le groupe dans son ensemble, celui occupant l’ouverture maximale de son champ de vision, ici rempli par toute cette verticalité naturelle, faisant bloc isolément du reste du hameau, cependant que des trous de lumière y ramène en le laissant respirer. De ce point, remonter lentement jusqu’aux feuilles en mouvement, ou bien branches dénudées formant des lacis tordus couronnés du succès de leurs poses, non pas aller jusqu’au sommet, mais s’arrêter au cœur de l’élément arbre et appeler depuis son propre fort intérieur jusqu’aux branches, nues ou couvertes de feuilles, pour qu’elles soient une bonne fois l’essuie tout de nos nœuds à la gorge, des branchies de respiration. Puis, s’en retourner de ce point central, la terrasse, et poursuivre ses occupations. Une autre fois, fort des visionnages de vidéos lancées par dessus la colline, par drones interposés, survoler et se laisser prendre au passage par l’épaisseur arrondie et irrégulière, comme des nuages, qui flotte dans l’océan bleu ou même le plus souvent gris, masse prégnante qui ne peut s’extraire de haut, défile comme le seul visage grossi d’une nature indolente et contemplatrice, ou mère acariâtre et fâchée, par mauvais temps mais alors de son sommet on ne la voit pas beaucoup plus s’agiter, prenant les coups de butoir, ne les répercutant que par quelques branches cassées qui s’abattent, seules au milieu de tuiles arrachées, pour ensuite revenir au silence percé des cris à peine audibles de ses habitants de prédilection : larves, vers, cocons, chenilles, chrysalides, insectes, oiseaux. Arrivé à la lisière, chute en direction de la vallée où paissent paisiblement les vaches, lorsqu’elles sont là, et les arbres qui la ferment portent un regard effronté vers la masse dont ils ne sont séparés que par le fait d’en être les derniers. Troisième point de vue : d’en bas de la colline constitutive du hameau. Qu’y a-t-il et pourquoi se poser la question depuis la route d’où rien ne transperce. Pas davantage d’ici le regard tourné vers ce haut boisé que vers les autres monticules coiffés de bois, monticules éloignés tout autant élevés pourtant, à cette seule différence qu’ils sont plus loin et seulement accessibles à pied et non aménagés pour l’homme y résider en permanence, en faire un chez lui à la rôtisserie calme et bourgeoise bien que campagnarde. Et de ce fait, se demander combien d’Emma se trouvent là reléguées. Abandonner l’idée de grimper pour le moment, et se retournant, se concentrer sur le bas du village visible de loin, posé à plat sur le on ne sait quoi de la vallée ; la flèche aigüe de l’église et les maisons qui ressemblent à des jouets plantés de part et d’autre de la petite rivière à peine perceptible, juste marquée de chaque côté des bosquets par la disparition des deux rives, dans le renfoncement de leur espace réservé. Autre point de vue : la côte s’est laissée escalader et les premières maisons dépasser, jusqu’ici, à la croisée des deux chemins. De quel côté se porter ? Un chêne marque le croisement de toutes ses ramures élancées, fatigué, se laissant faire par un intemporel qui rassure l’homme passant à proximité. Ici point de maison, personne au lieu où ils devraient se retrouver, papoter. Nul n’y fera passer de café ambulant où se vend de surcroît une brioche chaude ; la place désertée perdue de vue, abandonnée. Le terrain de jeux aux éclats de rire bruyants a débarrassé le plancher aussitôt que surgit dans l’imaginaire incandescent de son père fondateur, les boules n’ont pas percuté le cochonnet lancé d’une main appliquée, le tronc cassé en deux et aussitôt redressé dans un hoquet satisfait suivi d’un regard lancé aux autres joueurs alentours. Ce paysage là se dresse aussi pour qui veut dans la brume du souvenir et s’efface en le dépassant. On prend alors à gauche pour changer et pour faire le tour des habitations en relevant la tête à la rencontre de chacune dans un salut silencieux. Tandis que, plus loin de l’autre côté de la vallée, de l’autre côté du village, au bas de la colline que l’on vient de quitter, la petite ville voisine poursuit sa quête quotidienne. Côté église ou côté super marché, de part et d’autre de la rue centrale, commerçante, baptisée Charles De Gaulle comme il se doit, la fréquentation du secteur suivant une circulation lente de conducteurs ou de piétons tranquillement affairés, forme des lignes discontinues d’accumulations successives bougeant comme des vagues croisant des courants contraires et produisant de ci et là des interruptions soudaines et des clapotis de conversations.

proposition n° 24

La côte s’est laissée escalader et les premières maisons dépasser, jusqu’à ce point nodal à la croisée des deux chemins. De quel côté se porter ? Un chêne, le vieil oak ambassadeur des autres marque le croisement de toute la force de ses ramures, fatigué de tenir bon la pose depuis si longtemps mais dégageant un intemporel rassurant l’homme inquiet, caressant à distance sa peau écorchée par la vie, l’engageant à continuer d’avancer dans cette oakland épargnée. Si l’on prend à gauche pour faire le tour des habitations, celles-ci ne facilitent pas la découverte au marcheur, alors expédié dans un jeu de cache-cache silencieux où les maisons se tiennent bien camouflées derrière leur part de futaie. Parfois, ne libèrent-t-elles qu’un faible coin de toiture, faisant se tordre le cou à la silhouette curieuse qui réserve finalement à un autre jour la tentation de venir les aborder et se laisse ainsi descendre jusqu’au point le plus bas où se trouve la chaumière témoin, celle ayant ouvert le feu des constructions dans le bois. C’est alors que la silhouette flâneuse, imprégnée des lieux depuis leur agencement, peine à retrouver la continuité du sentier qui devait boucler la boucle et laisser ressortir le marcheur sur la petite route terminale, empruntée par les habitants pour descendre dans la vallée. Pourtant, c’est bien ainsi que s’est construit le hameau, autour de ce sentier commun à tous, devant favoriser les rencontres et déposer le marcheur à l’entrée d’autant de maisons singulières que le permettaient l’imaginaire et les moyens de chacun. La silhouette tête chercheuse est donc parvenue chemin faisant, tout en laissant la pensée vagabonder dans la fraîcheur estivale des lieux, à ce dernier espace où l’on ne peut plus avancer qu’à travers bois pour se retrouver derrière la chaumière, la seule du lot, bel exemple de chaumière normande à l’épais toit bien rangé débordant par dessus les murs blanchis à la chaux, maison de contes pour enfants à la chatoyante allure courtaude que son fondateur fit bâtir sitôt le terrain viabilisé ; cinq ans de combat administratif pour faire arriver l’eau ! Ses enfants n’étaient déjà plus sans doute à un âge où l’on court en tous sens, émoustillés par la découverte des lieux ainsi avancés dans la construction et pourtant, c’est ce souvenir qui flotte par dessus le toit de chaume en rêve, comme si on ne pouvait se dispenser de le faire un peu plus vieillir ou bien de se rajeunir soi-même à travers lui et qu’une partie de l’enfance s’était fatalement déroulée dans ces lieux. Des gens y venaient, peut-être bien des promeneurs du dimanche attirés par la facilité inhabituelle d’accession au territoire, on pourrait croire saisis par le goût de la marche saine en forêt, mais ces majorités d’agriculteurs trop occupés pour une telle pratique, cédaient surtout à la curiosité de ce qui s’y passait alors, et venaient pour se rendre compte par eux-mêmes, après le défilé de petits camions et de pelles grimpant à l’assaut d’un chemin de terre non encore bien praticable : que diable se passait-il dans cette forêt et dans la tête de l’homme qui s’en était rendu acquéreur, comme s’il ne lui aurait pas suffit de planter un arbre dans son jardin, comme si on pouvait encore en ces années clôturant celles qualifiées de trente glorieuses, se lancer dans la construction d’une ville imaginaire et dissimulée dans les bois ! Gageons que cet homme avait émis l’hypothèse suivante en se sentant pris d’assaut par le regard des arbres posé sur lui : dans très longtemps, quand les hommes auront atteint le degré alors requis de déboisement de leur planète pour y faire pousser partout du béton, peut-être trouvera-t-on encore des lieux préservés comme celui-ci où l’air resterait enivrant et l’espace habitable pour des descendants de vikings ne craignant ni l’ombre du ciel ni de conquérir des territoires inhabituels, à l’accès difficile, pour y vivre et y faire vivre dans la compagnie apaisante des grands arbres. Plus qu’une coexistence pacifique, élaborer un mariage, coûtant le minimum d’abattage et le maximum d’idéal de vie commune, entre l’arbre et l’humain, retranchés tous deux à bord d’une embarcation duplex, pour le meilleur et non le pire, fallait-il encore espérer. Jadis, au temps jadis, probable que la même forêt d’yeuses, d’hêtres et de bouleaux, recueillait l’homme aussi, s’y réfugiant autrement ou traquant des animaux, le corps plus étroitement lié à celui de l’arbre dans un temps où mythes et symboles prédisposaient à régler un monde différemment sauvage.

proposition n° 25

Où est-ce que cette histoire va nous mener. Est-ce que le but n’est pas de franchir des portes. Quand on croit voir qu’on les a franchit toutes ne meurt-on pas. Ou bien si aucune de franchie. A quoi reconnait-on qu’on n’a plus la possibilité d’en franchir. La mort est la porte suprême mais la vie entre deux portes. Pourquoi je dis franchir à la place de ouvrir. Pourquoi une ville arbre est équivalente en fin du compte à une ville béton ou à une ville poubelle. Un arbre égal un homme et inversement. Une femme est un arbre et inversement. Je dis femme pour dire homme pour dire arbre. Lecteur, as-tu imaginé un jour notre planète sans l’ombre de sa pure et exaltante verticalité. Savez-vous remplacer la verticalité arbre par celle de la tour bétonnée. Avez-vous jamais touché et même fait le geste d’enlacer un arbre sans penser à rien qu’à une forme de retrouvaille et de langage et non pas de lui piquer de sa force. Avons-nous compris et mis en œuvre la transmission. Avez-vous franchit le cap de la solitude même boisée, surtout boisée. Avez-vous allumé des feux de reconnaissance en brûlant des maisons, en rompant avec des traditions. Sait-on de quoi on parle quand on parle. Ne vit-on que pour les livres et ce qu’on y met comme échappatoire à la vie même. Le livre de papier ou numérique est-il le complément naturel de l’arbre. La ville arbre nous parle-t-elle à travers les mots de ses livres. La beauté de la forêt et la magie du chant des oiseaux peuvent ils rivaliser avec le dieu mots et inversement. L’arbre dans le désert est une découverte fabuleuse. Aucun arbre n’est commun. Quel arbre parvient enfin à se taire. Comment fait-on pour calmer le désespoir autiste de l’homme à genoux se prenant la tête dans les mains et expectorant sa plainte dans la ville. L’homme arbre croyant avoir bien fait ne se rend-il pas compte au final qu’il n’a fait que reculer en marchant. Les arbres nous parlent-ils tous. Pour le savoir n’est-il pas impératif de se taire et de les quitter. N’est-ce pas la contrariété qui est le moteur si tu plantes un arbre ou si tu crées une ville arbre ou si tu architectures une ville béton ou si tu te systèmes D dans une ville poubelle ou si tu respires à l’aise sur le périphérique parisien ou de l’autre côté de son mur en bon outsider que tu es tu t’imagines quoi. Est-ce que tu t’imagines sortir de ta ville quelle qu’elle soit et pouvoir parler en toute franchise et facilité à ton frère humain comme tu parles à un arbre. Inversement si tu parles à un arbre est-ce que tu t’imagines que cela te confèrera la qualité requise pour savoir parler à ton frère homme femme. Qu’est-ce que parler ville humaine qu’est-ce qu’apprendre à vivre inhumain. Écrire et parler sont-ils deux choses qui se rencontrent à l’infini. Qui sera redevable à chaque humain disparu, happé, un être par arbre et peut on s’imaginer que l’arbre n’a pas de conscience. Chaque arbre n’est-il pas le reflet de chaque être ayant vécu et chaque être ayant vécu ne sert il pas d’arbre à chaque être vivant. Brûle ta forêt et tire toi. Pour aller où. C’est par où la sortie. Y a-t-il la moindre question à se poser sinon regarder, écouter, toucher, sentir, goûter. Harmoniser, composer, déplier, apprendre, aimer sont ils les cinq sens colonisés menant pas à pas vers la libération. La pensée est-elle une fleur sauvage poussant au sommet d’un gratte-ciel n’ayant pas remplacé un arbre. L’arbre ville nous permet-il de rester en vie. Peut-on trouver son arbre ville en marchant dans la ville anthropocène du crime de jour comme de nuit. Fuir la ville est il possible sans se fuir soi-même. La ville arbre existe-t-elle en dehors de l’esprit malade de quelques uns. La malville s’est elle généralisée. L’arbre ville sauverait-il l’espèce humaine. La ville de l’homme n’est-elle qu’un prétexte à son malheureux échec de se trouver, se retrouver, pleurant son odyssée ratée nécessitant l’éternel retour.

proposition n° 26

Je me souviens lui disait-elle, que notre père nous emmenait à tour de rôle à la banque dans un quartier éloigné du nôtre et qu’on devait marcher longtemps à travers la ville, dont je ne percevais alors que le chemin conduisant à l’école maternelle et ensuite la primaire, si proche ; que ces quelques lieux distincts auxquels il fallait bien sûr ajouter la résidence où nous habitions et son parc que nous parcourions en tous sens à vélo ainsi que le quartier de l’église à l’autre bout de notre avenue, avec ses commerces alentour, constituait un parcours balisé − aux promesses de débordement − qui s’imposait naturellement comme une évidence impensée. Que parfois, nous allions rendre visite à notre tante à Paris en voiture et suivions les boulevards des maréchaux pour arriver jusque dans le quinzième arrondissement, après la traversée du bois de Boulogne et celle de tunnels, dont la plupart avaient l’intérieur entièrement recouverts à l’époque de petits carreaux de faïence d’un blanc scintillant qui signalaient la grande ville, disait-elle. Et passée la lourde porte du 145 avenue Emile Zola et le couloir d’accès à la cour intérieure, se déployait là l’immeuble dans toute sa hauteur, nous si petits disait-elle, à dresser la tête pour le voir surplomber la courette et l’entourer en totalité, comme si on allait être pris dans un tourbillon l’entraînant avec nous jusqu’au sommet du ciel. L’escalade des marches usées par le temps et l’arrivée dans le petit appartement. Le coup d’œil au balconnet de fer forgé garni de géranium donnant sur les toits du couvent où résonnaient des sons de cloches mêlés aux roucoulements des colombes et l’envie de s’y réfugier pour regarder au-delà encore, les toitures grises et blanches se répandant au loin. Était-ce là la révélation de cet ensemble massif, étendu, tendu, global, auquel on donnait le nom de ville, dont on ne pouvait imaginer les contours qu’à vol d’oiseaux ou sur une carte, carte qu’on ne déploierai que plus tard pour s’orienter seul dans la capitale. Mais la ville n’aurait pas existé dans son esprit disait-elle, comme ensemble aux formes multiples, mouvantes, énorme vers luisant charriant ses habitants et ses activités de toutes parts, depuis la profondeur de son sous-sol jusque dans ses constructions en hauteurs, immeubles et monuments, sans son négatif, le village de campagne auxerrois offrant la découverte de vies différentes, offrant ses vides faisant respirer ses pleins, ses occasions de découvertes et ses confrontations crues, son mélange de douceur naturelle et d’imageries saisissantes ; mais surtout, la ville, cette engeance obligée de l’homme qui le dépasse, n’aurait pas non plus pris corps pour elle, lui disait-elle, sans toutes celles ourdies et mises en scène depuis ses postes de lectures refuges. Non, les villes n’auraient pas existées dans son imaginaire sans l’imaginaire des autres. Blocs, éclats, fragments, îles, guerres, révolutions, ports, transports, liaisons, films, sciences fictions, non, pas les villes sans les bouts de villes glanés ici et là partout dans les livres. Voyages à deux, quelle ville ? Dis moi, on s’arrange, on s’accorde, on s’y retrouve, tu pars de, moi de, on y va. Florence et son sidérant ramassage de poubelles tous feux allumés au lever du jour, sur la place aux colonnades où venaient dans nos esprits s’entrechoquer de fantomatiques cavaliers surgis d’un néant soudain visible, le pont où s’accouder vers l’eau quand on sent que sa vie a le tournis, pas la ville mais mille, et ses regroupements disparates. Est-ce que le bois où ils vivent avec leurs camions constitue une ville, une ville de peu d’étendue où l’on ouvre les yeux sur les arbres, est-ce qu’une colline boisée est une ville, est-ce qu’un regroupement de population qui s’organisent à base de récup sous un pont archi-dimensionné est une ville. La ville qui gagne du terrain, l’histoire à venir de l’homme plus que jamais liée à celle de la ville, lieu d’expression de sa réalité, la vaincre, en venir à bout, la quitter, la reconstruire ailleurs, légère, éphémère, partir, l’emmener avec soi, être la ville, île entourée de passages qu’on s’efforce de rendre praticables ; pas la ville sans le café du quartier, population mélangée à sa terrasse le dimanche matin l’été. Pas la ville sans un intérêt commun à partager. Les trouver. Le rêve qui tourne mal. Interrompu. Repris autrement, dans une continuité qui fait ville encore. Il n’y a pas de ville ici. La ville, c’est nous. Sauf si on la fuit.

proposition n° 27

Nimbé électrisé auréolé de toute sa jeunesse il est là, on imagine dans ce costume marron manifestement fait maison vu sur photo vieillotte, lui sur la photo tenant son chien par la laisse cocker noir façon je n’étais plus seul, j’étais là nimbé électrisé, venu comment et autour, ce qui décide du chemin de sa vie, arrivé comment au beau milieu de ce qui a décidé pour lui. O Lieu ô Lieu ô Lieu, Arbre donne moi ta force de dérision, ô dieu païen allongée maintenant je suis sous ta courbure penchée vers moi, penche toi encore et reste. Que ton corps céleste m’emporte tandis que ton soleil darde à l’horizontal sa pulsation étoilée à travers les branches de part et d’autre des troncs et inonde l’espace où je me trouve nimbée de tes bienfaits, comment est-il arrivé ? La route ; n’en finit pas de cheminer au travers de villages de plus en plus ténus au visage peu amène quand on les laisse juste comme ça de droite et de gauche du fond de la voiture conduite par la mère ; mal au cœur, s’accrocher aux vues, attraper les images trop vite parties, capter la suivante en gardant la précédente au fond de soi, cette si vieille maison lézardée dégoulinante de lierre et une femme sortant sur le bord de la route, cavalant mal sur ses jambes en tablier carreaux crasseux comment je le sais, au loin sur la droite un château minuscule happé au passage au milieu des champs, non, c’était plutôt derrière les arbres qui bordaient le champ et maintenant halte. Au croisement arrêté par le feu, son père grave aujourd’hui (faut rencontrer des acheteurs si j’ai bien compris, se dit-il, lui le fils), lui le fils assis à l’arrière qui espère sûrement on ne sait quoi allez savoir à cet âge. Seize ans ! Caresse le chien à langue pendante, bavant par intermittence. C’est reparti. La DS, qui bondit tranquillement en avant dans un allée retour hydraulique enfonce les trois passagers dans son confort mou, et petite anicroche ponctuée d’un conciliabule à l’avant sur le choix de la route à droite avant les grandes boucles décrites par le plongeon de la forêt se défaisant vers la vallée à trente km heure encore de nos jours (pour les éviter, nous ne verrons pas la maison abandonnée dans le virage, chassée par la trop grande proximité du tracé de la chaussée, l’ombre des grands arbres, la pollution naissante, vagissant faiblement dans son berceau d’inconscience). Descendre, la voiture se laisse couler le long de la route de campagne qui serpente cette fois jusqu’à un petit tunnel avant le village précédant le village, précédant la forêt qui va décider d’une partie de son avenir, son avenir à lui, à l’arrivée, sans prévenir. Halte à la boulangerie, il sort avec son chien, adaptant sa marche aux arrêts de l’animal, le long de la route sur le bord du trottoir et les marronniers cerclés de fer pourquoi sont-ils emprisonnés, jusqu’à la place du village dominé par l’église à sa droite, village endormi à cette heure, tôt dans l’après midi de ce dimanche consommé, vidé de ses habitants encore à table à finir de boire, les hommes, et ranger, les femmes et leurs enfants courir partout se dit-il, exactement comme partout, s’imagine-t-il. La voiture est là qui les récupère et il monte et se cale en réfléchissant, réfléchit-il ? Et de nouveau on roule et on longe maintenant la petite rivière en laissant sur la droite la fraîcheur du sous-bois au point de jonction de l’usine endormie. Puis, dernier village avant d’arriver. Ce silence pesant du dimanche après midi à peine troublé par les bruits mécaniques d’alors, rares passages de carlingues noires ou grises, tracteurs au repos, population endormie, et on roule sans se parler comme si la musique de l’air concentrée en un léger sifflement en haut de la vitre arrière à peine entre-ouverte, suffisait à remplir l’espace des corps suspendus à leur environnement. Il règne sur les champs de blé installés de chaque côté de la route (comme si n’existaient plus qu’eux et eux seuls sous un ciel orageux), une atmosphère allégorique immuable, gardée en mémoire une fois dépassée. Mais voici qu’il découvre dans le rétroviseur central et se retournant d’un coup sur sa droite, la bâtisse orangée qu’on lui signale être la mairie, ainsi que la pointe incisive de ce qui lui semble être une chapelle au clocher de bois davantage qu’une église, toys égrainés sur la surface plane de cette plaine qu’il s’appropriera par la suite, alors que la voiture laisse tout ce jeu de construction disparaître derrière elle et tourne à gauche à l’opposé vers la forêt.

proposition n° 28

Aller au dépôt. Prendre les bêches, les pioches et compagnie, et au volant de la 404 camionnette bâchée avec Adam, prendre la route de Darnétal, c’est compliqué. Il connait comme sa poche. Longer les quais. De chaque côté grimpent au ciel les fameux cent clochers, c’est vrai ? Il y en a vraiment cent ici dans cette ville où le moindre encombrement provoque un embouteillage du tonnerre de Dieu ? Qu’est-ce tu racontes, vas y vas y sors là, où t’as la tête faut faire attention ici c’est délicat, il te dit en braquant ses yeux bleus perçants sur toi tellement bleus avec ce fond d’innocence de dur des durs qui en a tellement vu, et toi qui conduit en jetant ton œil à peine étonné sur la ville qui t’entoure et qui t’a prise avec l’entreprise. Roule, roule, oui, il dit, c’est par ici, traverse, allez, tu ne peux pas prendre le quai là et on va chercher la direction de Darnétal, si tu n’étais pas sorti, on se serait retrouvé … tu ne l’écoutes pas, le vent frémit à tes oreilles la vie des ouvriers de chantier, tu n’as pas cherché mais tu y es et ça te plaît ; les grosses mains calleuses dans laquelle la tienne douce de jeunot qui n’a encore rien vu ou presque. Dans le vide tu te jettes, un vide où l’on voit. La route est dégagée et avant ça les beaux bâtiments rectilignes et la place des Arts qui te semblent si droits à pied et là rouler doucement, docilement comme si tu les laissais derrière toi et qu’ils se déformaient dans tes rétro extérieurs de camionnettes bâchées avant de disparaître, tu y es là ? Surtout la drôle de roche qui se dressera à ta gauche tu sais, de toute sa sombre énormité chaque fois que tu vas passer devant là bas et chaque fois cette drôle d’impression d’écrasement comme si …, ça va tu conduis bien mais fais attention et là non, tu doubles pas ! Il te parle ; on fait un saut là-bas, on dépose les outils, on ramène Dino, après on rentre au bureau. Faut qu’je vois pour les équipes demain, que j’te montre ça aussi ; là, tout droit, elle est jolie la campagne ici, tu dis rien ? C’est les quais t’à l’heure, ils ont pris tous tes yeux ? Et tu le laisses dire dans la chaleur des rues, la vie dehors dans la ville, chaleur c’est vite dit aussi, happées au passage les deux filles traversant au quai de la Bourse, il te parle et toi, tu es là à regarder partout et prendre la voie sur berge ça va mais ne te trompes pas de direction oui, oui, tu hoches la tête, t’as compris, et tu attrapes tout ce que tu peux fragmenté au passage, la succession de tunnels relayée par les zones d’activité fluviale, les péniches et les grappes humaines intermittentes, au travail comme pour remplir les yeux au ras bord de ta vie future, tu dis quoi ? Le ciel noir ici c’est fréquent, les réverbères sur le pont tout à l’heure, penchés comme s’ils allaient te tomber dessus et ces voies qui t’entraînent inexorablement tu ne l’écoutes plus te parler des chantiers des équipes, tu bois l’atmosphère de cette ville provinciale et laissant partout suinter les traces de ses activités humaines, dans la douceur de ce jour d’août où vous vous apprêtez à démarrer la construction dans la forêt. Les quais, non, les voies sur berge, tout va si vite, la camionnette pétarade un peu, hou, tu es le roi du monde à son volant le coude à la portière et là bas au loin, du coin de l’œil dans le rétro il te semble, il te semble que la tour penche tout comme le réverbère, tout se plie dans la vitesse limite que tu peux encore tenir durant cette période de rêve dans la ville d’où ils se sont tous extirpés. Presque tous. Elle a fini de t’engouffrer la ville, à condition que tu roules doucement pour pas te faire avoir par les sens interdits et t’as capté la topographie debout te balançant légèrement en suivant du doigt sur la carte ses artères et ramifications punaisées sur le mur au bureau. Mais y’a aussi aller à pied balader le chien pour découvrir le secteur, jusqu’à la place des Arts et voir l’eau bouger à l’intérieur de la ville qui fait bouger la ville à l’intérieur de l’eau. Un tour de pâté de maisons carrées, le quartier administratif et le palais de justice pour consoler des sensations de reconstructions, épargné ! Ça doit pas être drôle non, mourir sous les décombres de la main des alliés pas très longtemps avant la fin ! Oui mais mourir pour mourir … tu traînes encore un peu ici à la vitesse canine devant derrière sur les côtés, le temps couvert n’explique pas tout et tu n’as pas le temps de courir t’enfouir dans la vieille ville. La ville en courant. Tu y a pensé mais ça ne t’a jamais pris. Toi, c’est l’entreprise.

proposition n° 29

Il descend du hameau du bois siffleur comme s’il voulait laisser derrière lui les inévitables passeurs de tondeuses du samedi matin. Un bonjour de la main et de la tête au maire au passage avant la pente. Un papillon voltige dans l’automobile. Psst, viens par ici toi. Comment est-il rentré ? Mystère de la nature et de son compagnonnage. Les feuilles des hêtres à la lisière frissonnent à peine comme si le vent furieux d’hier avait quitté les lieux en embarquant tout. Va-t-il faire de même ? Roule doucement avant le virage de la route étroite en écoutant les bruits d’ici et deux fois à droite au beau milieu de l’odeur acide des pesticides ; il préfère celui des vaches coup d’œil à gauche sur leur champ : l’une d’elle se roule dans la boue de la pluie d’hier sans doute en quête de fraîcheur. Que disait-elle ah oui « changement d’herbage réjouit les veaux », quelle idiote ! Ne valait-il pas mieux s’ancrer comme un navire au port un beau jour trop usé pour s’en repartir. Il se gare en épi sur les toutes nouvelles places agencées par la commune et sort. Une touffe de lavande grouillante de guêpes dissuade de s’en cueillir un brin pour l’agiter délicatement sous le nez les yeux mi-clos tout en marchant. Le loquet rouillé est à soulever en passant la main de l’autre côté des barreaux. Lui surpris d’être là plutôt que répondre à l’invitation des voisins fêtant leur treize ans de mariage pour une fois qu’ils se manifestent ceux là planqués derrière leur haie d’arbustes géants ou plutôt jeunes arbres astucieusement alignés dans la courbe de leur terrain depuis le temps. Le temps. Qu’est ce que le temps ! Elle lui criait qu’il vivait hors du temps. ET ALORS ! Qu’il se prenait pour le maître du temps et elle alors, toujours à écrire le nez dans son ordinateur ! Seul, c’est vrai que ça marche mieux mais y’a le boulot pour corriger le tir. Leur tombe était couverte de caca d’oiseaux, il se mit au travail. Elle fit à peine de bruit pourtant mais on aurait cru que l’air ici respirait en retenant son souffle. A côté de la leur une tombe criblée d’ex-voto ne portait qu’un prénom : Fabien et une date, les années indiquant un intervalle trop court ; assez grand cependant pour avoir laissé un bébé si l’on en croyait l’un d’eux, d’ex-voto. Un jeunot en tous cas tandis que là bas, il la voyait du coin de l’œil se glisser près du robinet d’eau un arrosoir à la main. Curieux ce n’est pas le petit vieux habituel, se dit-il en restant une seconde debout dans la chaleur, l’éponge d’une main et la bouteille d’eau lessivée de l’autre. Les chevaux poivre et sel répandus épais ou emmêlés sur le dos légèrement voûté, la robe campagnarde ou roots lui tombant peu gracieusement sur les mollets, tout le corps en attente de l’écoulement de l’eau dans son arrosoir, les bras vigoureux et noirs de soleil, qui était-elle. Il allait reprendre son activité en se disant qu’il l’aiderait puisqu’il devait lui aussi se fournir en eau de rinçage, lorsqu’elle tourna la tête vers lui et c’était elle ! Il SE DIT C’EST ELLE comment est-ce possible mais plus rien n’exista ni son propre corps ni le dehors ni les tombes entre ciel et terre ni le champ de vaches bicolores. As-tu fait la paix du hameau Sont ils tous bons meilleurs qu’à la ville conformes à ta poésie naïve du monde le cours des choses à l’unisson de la nature au milieu de l’entremêlement des branches noueuses de chênes sur le fond bleu du ciel ? As-tu compris que j’étais notre mère ? Tétanisé il ne dit rien laissa le silence répondre. Puis, dans un sursaut hébété ramassa ses affaires et oubliant la fin de son travail se dirigea lentement vers la sortie. Lorsqu’il se retourna pour fermer le loquet comme à son arrivé elle s’était éloignée vers une tombe à l’extrémité opposée du cimetière. Et il eut vite fait de se dire que le vin d’hier l’avait trop soûlé. Qu’il avait passé l’âge et qu’ils aillent se faire voir. D’ailleurs il n’avait aucune raison de s’en faire tout allait très bien là haut autant qu’il pouvait en juger à part la décrépitude de sa propre maison pour laquelle il eût fallu bien des missions dont il n’avait plus la force. Claquant la porte de la voiture sur lui il vit. Le papillon qu’il avait chassé était là comme pour le rassurer je suis de ton côté. Nous les animaux de ce bois sommes là pour vous soutenir les humains. Prenez soin de la ville-arbres. Il se dit qu’il avait rêvé tout à l’heure affabulé sur le visage de cette femme qui était entré en correspondance avec ses propres souvenirs et avait déclenché une projection inconsciente mais pourquoi lui avait-elle adressé la parole en ces termes elle devait avoir un grain et dire la même chose à tout le monde. Une vieille faiseuse de sorts une diseuse de bonne aventure comme on en voit encore dans nos campagnes qui essayait ses talents de voyeuse sur le moindre passant et c’était tombé sur lui. En descendant de la voiture il changea d’avis et fila chercher une bouteille à la cave : se faire aimable et sociable comme il avait toujours été, causeur et partageant ses expériences de travailleur manuel comme il disait, d’artisan voyageur n’ayant pas la langue dans sa poche ou bien ne disant rien dans son âpre solitude au choix. Dehors les oiseaux se regroupaient mais la futaie trop épaisse les dissimulait constamment à ses yeux ; il prit le chemin de la maison voisine. Et tout à coup le vent était là de nouveau, faiblement d’abord, faisant ruisseler les feuilles dans un flot étrange venant dont ne sait où comme si c’était le bruit de la mer au loin. Ils aimaient cela, tous, il en était sûr. Puis, là haut, il se faisait plus énergique et les feuilles solides des hêtres lui répondaient par un tournoiement sur elles-mêmes de toute la hauteur de leur pétiole, émettant leur petite musique si attachante dont peu profitaient en connaissance de cause, c’est à dire en levant la tête pour observer les artistes évoluer en haut des troncs blancs sans le moindre effort.

Veux-tu venir Qu’ils veuillent Vase accueil allant droit au cœur, du roi Michelet en sa tour monte pour écrire-écrire. Accueil, vas richement décoré. Monte en colimaçon. Vas cueille à cœur de pulpes à pulpes dévorées noires de lignes déjetées. Tout ce luxe de beauté rangé épars qu’elle s’est autorisée dans une rencontre aléatoire fin de partie début d’une autre. Accueil ô vas cueille momentanément cette ripaille secrète du bord de l’eau sous toutes choses si parfaitement disposées J’ai délicatement posé mon stylo dit-elle et je suis montée à sa tour pour le rencontrer. Je venais de revenir ici dit-elle, je n’avais pas vu les lieux depuis des années et des années mises ailleurs de côté et soudain s’ouvre cette porte arrivé en haut : homme de l’Histoire penchée. La révolution ! Tout ce noble travail distrayant. Plus là haut entre table et bibliothèque, le visage incrusté de l’homme mûr et réfléchi, humour oblige dans les creux sinueux de son visage marqué, où la caresse de la main devait être difficile mais la voix, la plume, la relecture bien assez d’aspects à lui-leur envier. Pas nécessairement mais à la longue, voir chez les autres ailleurs si possible ; et poursuivre. Il était là, presque souriant en tous cas dans les yeux, pas un mot ne fût échangé. Il y avait tout ce qu’il fallait au dessus duquel se pencher pour regarder. Bien regarder ces tracés à la plume si beaux d’autrefois, pleins déliés et lecture rapprochée sans le sens détaillé juste le parfum d’époque. Il aimait tant cet endroit a-t-il dit à deux pas de la ville-arbres sans le savoir vu l’anachronisme que cela eût été n’est-ce pas à deux pas de la non-ville-arbres dont je me suis mise à lui parler soudain, à haute voix dit-elle. Est-ce qu’il m’a regardé je ne sais pas j’avais juste quelques mots à tourner et faire revenir pour lui dire la peur panique et son sourire complice qui me faisait face dit-elle. Mais non vous allez-y arriver, arriver à la préserver la garder la faire grandir un peu juste ce qu’il faut le vert entrelacé chêne et le blanc hêtre dans les cris des oiseaux ou la quitter voyez comme j’étais pauvre et si bien accueilli pour écrire Ah vas là-bas où le cœur t’en dit cueille le havre qu’il te faut ou celui que tu peux, n’importe Allez donc vous promener dans nos jardins j’ai à faire conclut-il en me montrant de l’extrémité de la plume tournicotant dans l’air le grimoire en cours, dit-elle. Je le plaignis de ne pouvoir conserver et reproduire aussi facilement que nous aujourd’hui mais il ne prêta aucune attention à mon charabia et je pris le parti de le saluer un peu tristement du fond de mon cœur n’aurais-je donc toujours pour amis que des écrivains disparus dit-elle en jetant un regard à la ronde aux vieilles pierres qui l’emportèrent jusqu’au bas du tracé en colimaçon et c’est alors que s’ouvrit de nouveau le jardin. Pourtant ce n’était pas assez, jamais assez. Le prisonnier ne se contentera-t-il pas de ce qu’il a du fond de son tonneau pourvu qu’il puisse voir le ciel ? On lui dit fais ceci et il le fait qui donc est libre sinon celui qui désobéit et entraîne avec lui se faisant sa chute et celle des siens ? Il était libre dans sa ville forêt comme s’il avait planté insolemment sa tente sur la terre du temps pour le narguer et lui crier qu’il faisait ce qu’il voulait de lui impunément comme on fabrique son propre malheur comme on est libre de le fabriquer en quittant le territoire dûment organisé pour les hommes de la ville. Lui ce qu’il avait fabriqué n’avait rien d’organisé et d’ailleurs il le tenait de son père qui avait été également sacrément gonflé de disposer ainsi de la vie des siens sans même leur demander leur avis, tous ces marcheurs de nez en l’air ne voyant pas plus loin que le bout du leur. Tandis que lui seul savait s’installer tout en haut des ramages pour leur jouer son air de pipo qui n’appartenait qu’à lui. De l’art pur, des pieds de nez en forme d’art pur et qu’on ne vienne pas me parler d’intérêt général et toute ces coquecigrues ici nous avons la paix particulière faites excuse particulier. C’est ainsi qu’elle laissait divaguer l’esprit de leurs souvenirs communs grotesquement grossis et ramassés tout près à bondir, assise au bord de l’au delà de l’eau du château de celui qu’elle venait de rencontrer et se levant et jetant un dernier coup d’œil à sa tour montre elle quitta les lieux en ne se posant pas la question de savoir où elle allait dormir la nuit venue. Au délicat feint fond tiens de quelque cimetière comme elle aimait à le faire ou entre deux arbres pour changer de l’habitacle étroit du camion.

Quittant les lieux à travers le grand jardin et n’étant qu’au début de la longue traversée et là, de derrière une statue obèse bleue verte et orange, je l’ai vu. Il se dirigeait vers celle de La puberté et, il la caressait des deux mains, immédiatement j’ai affabulé, dit-elle. Peut-être pourrait-il m’aider dans ma manœuvre d’œuvre instable et inassouvie, dessinée écrite ? Cet endroit marqué par l’austérité studieuse de l’historien dans sa tour monte pour écrire-écrire cachait drôlement bien son jeu. Joli garçon et c’est l’été, il tourne autour de la statue fraîchement installée dans le parc, à l’honneur dirait-on les martyrs païens. Désir et plaisir de savoir en cueillant ici et partout ce qu’il faut mais qui connaît les doses, piquées du juste ce qu’il faut à l’arbre de la connaissance. Bon, a-t-il fini de la tripoter je lui dirais bien quelque chose du genre c’est vous l’artiste ? dit-elle. Bleu outremer gardé intense pour la couleur des yeux sinon les seins et la vulve bien clairement soufflés par Épicure, Démocrite et Lucrèce à cet homme étrangement glabre moqueur des temps changeur de civilisation par l’art seul. L’art, comment le faire passer dans la vie et inversement, dit elle à voix haute et intelligible le faisant enfin se retourner. Il avait les yeux bleus comme ceux de sa jeune statue, la regardait les deux mains arrêtées net, maintenues en prise directe avec le côté des seins peu finement exhibés comme tassés prenant toute la place tassant le ventre et rencontrant presque directement la vulve proéminente dans le bas on ne voyait qu’elle. Ses yeux bleus innocents me fixaient, dit-elle. Innocent comme on peut l’être quand on est à fond dans sa composition. Composait-il en touchant comme s’il était aveugle ou ne pouvait-il voir que de l’extérieur vers l’intérieur ? Avait-il un chien d’aveugle qui l’attendait non loin déféquant dans quelques allées ? Était-il venu pour de simples vérifications ? N’était-il pas plutôt sourd et muet les yeux grand ouverts n’offrant pas plus que la statue de fond opaque où l’impossibilité de lire pour autrui domine ? Toujours est-il qu’il ne me répondit pas plus que la statue que je persistais à vouloir sienne, dit-elle. Je ne sais pas, reprit-elle à haute et intelligible voix, en tous cas suffisamment claire pour être entendu de lui alors qu’elle était assise sur un banc tout à fait à l’opposé de la statue, objet de la vérification, dans la grande allée et même sur un côté et non pas en face d’elle, la statue, et de lui, son vérificateur, et d’une voix encore plus forte : nous aurions pu nous diriger d’un pas lent vers le restaurant et nous suffire d’un café pour aborder le problème délicat de l’art dans la vie et inversement. Mais non. Face à face maintenant sans que rien ne se passe, sinon nos regards immobiles, tenus pour l’éternité comme celui de la statue, se dit-elle, en portant la tasse d’un café malheureusement trop tiède pour la satisfaire, à sa bouche. Peut-être n’avait-il rien à voir avec elle et avait-il été juste frappé par la reconnaissance d’une parenté manifeste révélée par la couleur lapis lazuli utilisée par le véritable père de la statue. Peut-être était-il lui-même un produit d’une civilisation ne faisant plus la différence entre la vie et l’œuvre, survivance d’un quelconque régime totalitaire ayant mis au point un procédé de création de modèles humanoïdes sur la base de produits fabriqués étalonnés art, mais non ; La puberté apparaissait bien trop dégénérée en soi pour ce genre de manipulation. Il lui fallait chercher autre chose pensa-t-elle. Et après tout, n’avait-elle pas elle-même trouvé dans les musées que les statues et l’être de chair, relevaient de mondes appelés tôt ou tard à se rejoindre à l’infini ? Un peu comme l’homme et l’arbre qui relaye l’homme qui relaye l’arbre. Et de nouveau la forêt si proche lui revint à l’esprit. Dans le même temps elle se dit qu’elle seule avait pu voir le jeune homme s’approprier la statue de ses deux mains exploratrices. Elle seule avait dû pouvoir approcher ce phénomène et elle prit son stylo pour en rendre compte tant que faire se pouvait avec des mots constitutifs d’une matière propre à rendre intelligible son expérience. Composer le plus solidement possible la matière première d’une expérience. Artisane relieuse d’œil main anima, d’un geste relevant de celui des créateurs du jardin habité par les statues des uns et des autres.

proposition n° 30

La forêt respire une musique de chambre. Calme feutré, yeux gonflés de réveil trop tôt c’est la rentrée. Les feuillus donnent des signes avant coureur de déshabillage. Les êtres humains reprennent leurs activités, sauf les retraités qui ne les ont pas quittées ; ceux-là ont comme tous les ans la charge de la préparation de l’assemblée. Attention. Il ne s’agit pas d’une assemblée des copropriétaires ordinaire. Celle-ci regroupe tous les prétextes en un seul pour balayer les idées de réunion. Point de bal de 14 juillet, point de Saint Valentin ni de réveillon de fin d’année, mais une vague confrontation des idées d’amélioration, une proposition de travaux à faire dans une ambiance dont on a perdu le sens festif sur le modèle de la fête des voisins, comme si on sortait de taule et qu’on était revenu de tout. Si on résume à l’attention des doyens du hameau, dans la non-ville, s’agit de fêter et à la rigueur arroser la non-assemblée. Quel est le procédé le plus communément admis par le plus grand nombre ? se demande la doyenne femme appréciée des lieux, saluant ce matin de bonne heure sa colonie de chats et d’escargots. Après un long préparatif d’elle-même dont je vous épargne les détails en temps réel, armée d’un nécessaire à écrire, elle va chemine trottine jusqu’au home d’enfants rendu au silence à partir de septembre, rencontrer les deux conseillers municipaux n’ayant comme elle supposément rien à faire d’autre que de se charger de ladite préparation. L’ancien maire est déjà là, ainsi bien entendu que l’ancienne maîtresse d’école, qui les reçoit dans le salon de son home sweet home. La doyenne représentant en quelque sorte le fondateur de l’habitacle forestier à usage de hérissons-prends-garde-sinon-je-me-mets-en-boule au sein duquel ils s’abritent tous, constate que les trois membres convoqués disposant d’un nombre égal de voix sont présents ou représentés, la réunion pouvant en conséquence valablement se tenir et délibérer. Elle donne le signal d’envoi en posant sur la table, outre papier stylo, la Tatin maison dont elle est spécialiste et qu’elle apporte tous les ans, soit à la préparation, soit à l’assemblée proprement dite. Il s’agit là du modèle réduit pour trois, destiné à accompagner le cidre d’ex-monsieur le maire réputé pour son savoir faire en la matière et à bien des égards. Mesdames, celui-ci restera dans les annales, dit-il en le versant religieusement dans les cristal Saint Louis disposés préalablement sur la table par l’ex-maîtresse d’école leur hôtesse, table autour de laquelle tous s’asseyent. Comme à son habitude et respectant en cela un protocole bien huilé, la doyenne souhaite la bienvenue à ses coreligionnaires et déclare la séance ouverte en levant son verre pour un tchin se regardant bien dans les yeux et buvant de suite après sinon ça porte malheur. En guise de première résolution et pour lancer le débat, annonce la doyenne, je vous propose de rappeler les interdits que tout le monde connait. Auxquels nous pourrions rajouter quelques inconnus, suggère la maîtresse d’école, comme cette récente manie prise par les enfants de réviser leurs leçons par temps sec, dans la promenade suspendue au premier niveau des yeuses. Chênes pédonculés, rectifie Monsieur le maire. Nous ne sommes pas dans le sud ici ni dans une histoire de ce bon Calvino que j’ai personnellement eu l’honneur de …. Je note, coupe la doyenne qui ne tient pas à y passer l’après midi ayant un nombre considérable de chats à fouetter et compte-tenu de son allure d’escargot en tout mouvement hormis ceux de l’esprit. Elle pique une bouchée dans son assiette en porcelaine Villeroy et Bosch aux motifs fleuris de roses jaunes et rouges sur fond de feuilles délicatement composées dont elle félicite son hôtesse au passage, puis, tendant son verre vide à Monsieur le maire, Passons aux résolutions suivantes dit-elle, à quoi pensez-vous ? Des choses positives nom d’une pipe qu’on s’amuse un peu, ces lieux sont d’un renfermé ces temps-ci ne trouvez-vous pas ? Nous organisons prochainement une grande cérémonie religieuse à l’A.F.G pour le départ des prêtres de la communauté de communes. Outre la messe en plein air et les chants religieux, nous prévoyons un grand buffet qui devrait être une belle occasion de fête. Hum, fait le maire agnostique au dernier degré, au précédent vote vous avez proposé l’affichage de toutes les cérémonies religieuses et ceci n’a pas été adopté. Rien n’a été voté, repris la doyenne d’une voix calme et magnifiquement timbrée pour son âge, vous le savez bien ; personne ne répondra autrement que par internet et pouvoirs en pj ; et comme d’habitude, nous n’aurons pas le quorum et nous laisserons tomber, fit-elle, déjà légèrement éméchée. Quoi d’autre je vous écoute ? Où en sommes-nous de faire venir le forestier pour travaux à prévoir sur les parties communes répond le maire ; nulle part, Monsieur le Maire, on dirait que cet endroit est pour travaux à faire commun au reste du monde. On cause on cause … on fera le nécessaire quand des branches se seront abattues sur la voie et auront blessé des enfants, dit la maîtresse. Ou même des adultes, dit la doyenne. Ou des maisons, reprit le maire. Entendu, on inscrit cela à l’ordre du jour en caractère gras, répondit la doyenne, on verra bien, fit elle dans un petit hoquet réprimé. Pour cet hiver, voyez-vous une amélioration à apporter au système de contrôle et d’entraide ? Sûr que ça va mieux d’année en année au fur et à mesure que la route se détériore mais après tout, elle tient encore le choc, non ? Va-t-on mettre quelqu’un d’autre que la chaumière à contribution pour la surveillance ? Après tout, comme je dis toujours, il suffit que celui ou celle qui ne parvient pas à monter passe un coup de fil à celui préposé au signalement du problème, et si nous proposions de tourner à cette fonction par ordre alphabétique en mentionnant notre nom et numéro de tél sur l’affichage municipal devant le terrain de boules ? Tous se regardent en silence. Le maire remplit les verres ; allez, un dernier pour la route et je vous raccompagnerai, Madame la doyenne des lieux. La tarte était fichtrement délicieuse nous n’avons pas perdu notre temps. Ni la bonne occasion de nous remonter le moral, Monsieur le Maire, susurra la doyenne en levant son verre. Attendez, dit la maîtresse d’école, l’histoire de la côte l’hiver n’a pas été épuisée ! Il devient hors de question − que le sable ne soit pas réparti sur la chaussée enneigée − par les ouvriers de la voirie municipale et ceci d’une manière − systématiquement renouvelée − scanda vigoureusement la maîtresse d’école : les adolescents préposés au nettoyage des allées et au déneigement de la côte lorsqu’ils ont commis une quelconque entorse au règlement de copropriété ne sont plus assignés à la moindre tâche par leurs parents, vous le savez bien, Monsieur le maire, ceci est de l’histoire ancienne ! Le maire leva un œil légèrement torve de dessus son verre pour dire qu’il en parlerait à son remplaçant sans pouvoir promettre quoique ce soit à sa place. Soulagés, les trois se rencognèrent dans leurs fauteuils à oreille et la doyenne poussa d’un geste lent et malhabile les feuilles recouvertes de sa belle écriture à l’ancienne, dont la maîtresse d’école s’empara pour les taper et les faire circuler, en prévision de la réunion finale ou de ce qu’il en resterait. Enfin, nous aurons fait notre possible, souffla la doyenne en se levant lentement et poussant un cri de douleur, ponctuant la réunion.

proposition n° 31

Voyez depuis l’terrain en bas à droite, l’ouverture dans l’fil de fer barbelé à c’t’arbre ? Non, vous voyez pas ? Attendez, j’vous montre. Par contre venez, faut descendre ! Vous avez peur d’abîmer vos talons c’est ça ? … Bon, nous y voilà ; j’vous explique. Vous passez là, juste à c’t’ouverture en vous baissant un peu, vous traversez le champ du paysan là et vous z’y êtes ; Juste là à quatorze heures, pile dans l’alignement de ma main ! En vingt minutes maximum, non, un quart d’heure, allez ! Et ça vous évite de r’prendre la bagnole et faire tout le tour, si vous avez une simple visite de parents à faire…C’est un plus de cette maison. Croiser des vaches ? Non, en principe pas, elles sont regroupées plus bas. Et ça vous fait une chouette balade sans compter la vue qu’on a depuis l’cimetière, pas mal de s’reposer en paix sur ce vallon gentiment arrosé. Souvent des enterrements ? Vous savez, c’est le petit pat’lin ici, ça va ça vient, ça va sans doute plus que ça vient de nos jours. Faut pas rêver ! Et c’qui est sûr, c’est qu’on sait pas où ça va, dame ! Alors, pas la peine d’en faire un fromage. Vous voulez remonter ? Allez-y, j’vous suis ! Mais, c’est-i que vous avez quelqu’un à enterrer pour me parler du cimetière ? Ah vot’mère ! C’est bien triste, désolé ma p’tite dame ; pour vot’gouverne, le funérarium du coin est à Charlemont. Mais la cérémonie religieuse, y’a pas, c’est tout d’même mieux réussie ! C’est qu’ils ont d’la pratique, à l’église, pour ça, d’puis l’temps. Enfin, c’est si vous avez d’la religion. C’est vrai qu’ça s’perd d’nos jours, j’dirais bien sans s’perdre, comme si c’était encore dans l’sang, dame, on vit on meurt et les curés, c’est leur fond de commerce tout ça. A propos d’curé, ça m’fait penser à une histoire bien triste de chez nous, si vous voulez que j’vous la raconte j’vous offre un p’tit coup à boire ça va être l’heure, ça vous dit ? Et p’têt bien qu’ca vous remont’ra le moral, le p’tit coup j’veux dire, pas l’histoire toujours …Entrez, suivez-moi, c’est par ici. Bon alors, posez-vous là, restez pas d’bout. Allez, deux verres, du saucisson fait par mon beau-frère et le p’tit vin de pays bien bio comme i disent maintenant pour l’vendre plus cher mais çui là c’est vrai, vous allez m’en dire des nouvelles. Allez, à la bonne vôtre, pas à celle de vot’pauv’mère toujours. Ça fait bien d’la peine mais faut supporter, y’a pas. L’histoire ? Oui voilà, voilà. I vous plaît ? Bon. Donc, c’était un des prêtres d’ici, un jeune gars bien sympa, l’avait pas mal tourné pour son ministère, l’Afrique, l’Europe, mais i venait d’Vendée à la base. Oui, un ventre à choux, pas mal enveloppé d’ailleurs, mais toujours le sourire, enfin, par devant. Par derrière faut croire que c’était aut’chose. Parce que toujours est-il, qu’on nous apprend un beau jour, enfin, façon d’parler, pas par internet ni le journal non, les nouvelles vont vite ici pas comme à la ville, hé ben que l’pauv’ gars i s’était pendu. Oui, ça vous en bouche un coin, hein ? Comment vous dites ? Le comble ? Oui, c’est ça, exactement. Fallait-il qu’i soit malheureux ou quoi ? Malade des nerfs paraît-il, quequ’chose comme le grand sympathique, oui c’est ça, enfin j’crois. C’est dingue qu’on en ait un qui s’appelle comme ça, non ? Enfin, pour lui, pas vraiment sympathique, c’te façon dont Dieu l’a rappelé à lui après l’avoir appelé tout court. Vous m’suivez ? Oui, vous avez l’air. Chiffonnée ? oui j’m’excuse. C’est qu’on l’était tous. Et qu’c’est même pas passé si ça s’trouve ! Y’a vraiment que’qu’chose qui tourne pas rond partout, pas qu’à la grande ville finalement. Vous trouvez pas ? Pardon ? De pourri au royaume de Danemark ? Oui, pas que, pas que. Vous savez, ça voulait dire sans doute, pis qu’une sacrée solitude, à pouvoir parler franco à personne alors ? C’est qu’ça remet en question un truc pareil, non ? Beaucoup sont allés à son enterrement, enfin la cérémonie religieuse pas loin, parce que son corps, lui, a été enterré dans un cimetière de Paris, c’est dingue non ? Sa pauv’mère, qui vit en Vendée donc, à qui Dieu lui a pris son fils et l’église ensuite. Hum … L’enfer ? Oui, comme vous dites, c’est p’têt bien ici qu’ça serait. Alors c’qu’on s’dit par ici, entre nous, souvent d’puis, au bistrot ou ailleurs, c’est qu’on peut essayer d’trouver à le diminuer par tous les moyens. Comment ? Ben, trouver par ci par là nos contraires d’enfer et bien les respirer avant qu’on nous les pique, nos p’tits coins de paradis et les arbres et les oiseaux par ici, j’vous assure, c’t’un paradis ! Même que si ça vous branche, j’pourrais vous en raconter en matière d’arbres. J’espère qu’vous en profit’rez bien. Et puis, ces p’tits moments dont on prend l’temps, les savourer. Se serrer les coudes même si on n’a pas qu’ça à faire, juste en pensée et s’dire que ça pourrait p’têt se faire dans les pires moments aussi, avant qu’ce soit la débandade. Pouvoir s’dire avant d’y passer, que c’est pas c’qu’on voit mais qu’ça existe, un peu d’entraide, même que psychologique, vu qu’on est dans l’même sac pas vrai, et qu’ça à l’air sacrément dur d’en sortir, pas ? tout ça parce qu’on sait pas le fin mot de l’histoire … Allez, t’nez, un p’tit dernier pour la route ?

proposition n° 32

Il y a les branches des arbres qui passent par dessus, qui ont le dessous-dessus, pas toutes de la même façon. Si on renverse la tête en arrière on le voit, on n’a plus envie de voir autre chose ; sauf peut-être pour reposer la nuque, l’écorce cadrée face à soi, faisant disparaître le reste dans toute sa beauté figée. Lever la tête aussi par temps de pluie et examiner ce qu’on voit. Il est caché par les branches dans cette position, emmêlé dedans, liquéfié à l’intérieur, sans couleur, sans vie, flasque. Il se fait prendre par les branches, comme un vulgaire passant comptant sur rien et pour rien. Les branches sont la porte : on ne passe pas. Il leur donne aléatoirement de la lumière, de la couleur. Il les tache et n’est plus que taches qui n’en imposent pas ne gémissent pas ne couinent pas ne clament pas ne hurlent pas ne pétaradent pas. Les branches le tiennent. Chacun son tour, ici c’est comme ça. Fais-toi petit, monsieur couvercle, profil bas. On les connaît tes différences de cieux, tes habillages multiples, tes discours enflés et ta petite fausse modestie qui se tient par la main l’air de rien et soudain recouvre tout, d’un seul trait d’un seul qui donne envie de pleurer comme si tu étais le juste ciel ici même de nos rêves ! Comme si on ne savait pas que ça cache quelque chose, couverture ! Quelque chose, quoi, on ne sait pas tout, surtout au-delà de ce qui est visible ou pas. Ferme là. Boucle là. Soit beau et tais toi, en boucles retenues aux quatre coins de tes hémisphères par des putti pathétiques. Prométhée est en colère. Il trépigne grave. Gros sentiment d’échec. Astres. Brillant d’astres suivant la courbe de la forêt vue de haut. Au dehors, la voie reflète les flammes roses du ciel, les chats sont inquiets, on ne pense pas on sort. On marche. On sait qu’on reviendra sous les passages naturels. Ici, le bois remplace le fer et les éclats de lumière passent à travers le vert qui remplace le verre. On s’y repose de l’ode à la civilisation industrieuse. On souffle un peu un air qui veut dire sérénité et cet air ne nous est donné que par le dieu des contrastes. Industrie contre art, art contre nature, tout se joue. Pas de contemplation miracle. Aller d’un point à l’autre, d’une extrémité à l’autre et se laisser porter tout en réfléchissant le bleu du ciel. Comprendre avec soi la lutte finale, réseaux contre nature, logarithmes triomphants, paradigmes homme out. Terres et ciels auront le dernier mot, cracheront l’ingénierie humaine et s’allieront pour une riposte unanime, hommes dépassés, disruption terminus tout le monde descend. Entre leurs complots et ceux des dieux, il y a le bang et l’astre final. L’homme bâtisseur et les dieux baiseurs peuvent aller se rhabiller. Et ce n’est pas être passéiste que de lire d’en bas sur le tableau d’affichage municipal la sentence, expression de la colère des arbres associée à celles des ciels, c’est être réaliste. Aussi réel que le papillon voletant au milieu des arbustes et donc encore existant pour certains, hautement privilégiés, mais qui peuvent voir comme tout le monde que papillon volette nu a perdu sa couleur. Signe des temps. Quelques sculptures métalliques trônent encore devant les piscines cachées de ci de là derrière les arbres ou les murs, mais les hommes ont quitté les lieux et ne nettoieront plus les feuilles qui s’y sont glissées pour nager plutôt que de continuer de constituer les réserves de vie dont elles sont issues. Feuillu, homme, même combat à l’origine des temps mais l’homme ne le sait pas ou s’il le sait, pourquoi ne dit-il et ne fait-il rien de sorte de se brancher différemment ? Une nouvelle connexion qui porterait ses fruits hors la banalité de la survie languissante de la ville. Tout est mensonge ! Il faut chercher l’ailleurs encore et encore ! Passer d’un ailleurs possible à l’autre, ne pas rester en place même pour manger car toute place est prise. Il faut ne pas rester en place spécialement à la ville où la course à la place a brûlé l’âme de tout un chacun. L’âme, qu’qu’c’est qu’ça l’âme, braille l’homme Jean Renoir sous prétexte qu’il vit avec un sentiment de puissance une caméra à la place de l’œil. Tout œuvre d’un ailleurs sur place échappe à son bâtisseur ! Seule perdure la quête, se raconte-t-elle finalement en marchant à ciel ouvert, gesticulant dans l’entre deux de la ville du haut et de celle du bas. Quant à l’homme, il s’imagine qu’une ère nouvelle a sonné, sur un air déjà entendu quelque part quoique arrangé différemment. Brutalité cachée dans les tuyaux n’excluant pas panique à bord. Cieux poussiéreux, rideaux ! Invective-t-il alors que c’est celui qui le dit qui va devoir s’y coller. Prémonition inversée.

proposition n° 33

Fantasmagorie de la valeur d’échange. Consommer. De là haut pas possible. Ou consommer de l’air pur, du chant d’oiseau contre fidèle inspiration à la cause. Se déplacer à proximité du premier arbre venu, l’enserrer tant que faire se peut pour un échange fructueux. Placer la bouche sur l’écorce pour rencontre de la bouche de l’arbre qui sent la vie terre ciel tout contre la bouche humaine rendue à sa plus simple expression. Compréhension brute et immédiate de ce qui aurait pu se trouver en situation inversée. Remerciement desserrement de l’étreinte et vision. Tête en l’air d’un ciel éparpillé dans les branches, lumineux ce matin là ‒ éclaboussures de lumière pure ‒ échevelé afin de s’emmêler dans les branches de cheveux humains. Puis, emprunter le chemin de rosé, humus collant aux pieds nus, valeur d’usage remontée d’une nuit des temps qui ne se laissera jamais effacer complètement. Une voiture. Celle de la factrice de la ville du bas. Raie jaune plastique métal introduite dans les éclaboussures de lumière branche bleue verte. Allez à sa rencontre, tandis qu’elle s’extirpe de sa boîte métallique en plusieurs temps décomposés comme nu descendant un escalier, cubes emboîtés lancés en mouvements déhanchés, les mains qui se tendent l’une vers l’autre, comme jaillissement, dans un bruit de voix fracas mélodie à mélodie fracas, papiers enveloppés passant d’une main à l’autre se refermant dessus pince claquante et pivoter du corps pour dépôt momentané sur les marches de pierres opaques craquelées au milieu des feuilles légères dépôt facteur vent. Factrice bleue nuit du bas de la ville poursuivant sa route. Nouvelles de Kalamité à Kiétude et en retour, taper réponse à K par K à poster tendrement dans la ville du bas. Descendre. Auparavant sortir les poubelles pour recyclage et décharge, déchetterie. Projection de la pensée vers la déchetterie au moment de placer les sacs bleus gris noirs en réponse aux bleus gris noirs ciels s’obscurcissant. Il était temps jour de ramassage immensité du bruit de camion couvrant l’océan de bleu noirci exigeant fixation du regard et se retourner pour un salut de la main et bruits de voix. Interdit aux plus de 3 tonnes 5 sauf livraison. Échange de regards mouvement de tête bras levé bruit de bouche claquant hors bruit du moteur à proximité de Monsieur le maire toujours à jardiner trans-action terre mains fleurs. Descente. Arrivé en ville rien à faire de spécial autre que poster stationner et faire traverser bouts de corps âme multitude de soi en direction de la nouvelle boulangerie. Ceci fait introduction par bruits de bouche intensité sonore inversement proportionnelle à vibrations émotionnelles hautement favorables et tension mains récupération contre don viennoiseries invendues de la veille. Brosses à peindre internes en hyper action. Surgissement vocalisations du dehors vers l’intérieur de masses agitées à fortes entièrement tournées vers articulations commandes en échange monnaie trébuchante. Extirpation de soi à soi. Songe d’éternels retours au sortir coup d’œil enveloppant rue principale bordée de corps passants, femmes, hommes, femmes avec enfants, animaux. Sacs suspendus corps en mouvements, gonflés ou non, pas en avant se succédant dans une fonctionnalité de traits entrecroisés de points colorés, verticalité homme qui marche. Garage en reconstruction lente s’arrêter et yeux braqués corps adossé poteau ouvriers au travail de derrière un grillage. Interruption de concentration avancée sur sujets de multiples actions par voix hélant un bonjour fenêtre ouverte depuis la maison d’en face infirmière à domicile bien connue de tous. Voix. Cœur. Mains accompagnatrices pivot tronc central et pauses comparable maniérisme Bronzino en différentes micro actions. Cheveux blonds corps blancs étincelle yeux noirs voix et multiplicité troupes visions décomposées d’une scène à l’autre sur fond chaussée bitume et voitures passant à toute allure traverser pour s’approcher lentement abandon du chantier en faveur suivre raconter vision crucifixion personnages blancs prêtant mains fortes calvaire croix surabondance détails sur fond sombre yeux de l’infirmière histoire banale pendant ce temps là, mais ultra poignante, religieuse cancer opération sous voile absence cheveux et tirée d’affaires au bout d’un affreux tunnel. Affaires en cours vies affairées pour se garder occupé et manger. Pharmacie clignant de la croix verte tandis que chantier garage lourdes chaussures de sécurité portant corps portant matériaux à finalité obscure. Attente engins mise en route réplique déconstruction post guerre, vrac pierres enserrant lourdement toutes vies sol jonché de détritus métalliques, fascination. Beauté plastique aberrante de technologie brutale hommes fragiles enserrés. Muscles épars donnant le change. Pharmacie porte lourde à pousser et involontaire oubli de la chose à demander, autre chose faisant rapidement l’affaire. Fils de laine de toutes couleurs passant partout dans dernier salon où toujours plusieurs personnes celles assises ou debout attendant et celles debout travaillent bougent les membres de ci de là opérations commandées de derrière comptoir et dans allées interdites à la clientèle puis retour et discussion afférente à soins courte ou longue durée. Vrac. Au milieu propreté. Vrac d’échanges de paroles et de gestes, vrac de situations durant indifféremment à intensément du matin au soir. Nécessité de s’aventurer en soi de nouveau vers le café pour le plaisir d’y séjourner écrire en écoutant parler et transcriptions minimes des faits et gestes sur carnet. Pensée émue Sarraute, portant verre à bouche solitaire, et multiples soi fantomatiques en toute proximité respectueuse et mélancolique. Café monté lentement à bouche entrouverte avide parfum chaud coloré paupières plissées et yeux tournés vers l’intérieur extérieur quelque peu lassant et riche à la fois. Peinture posée tranquillement inlassablement jusqu’à fin individuelle tandis que collectif animé éternel retour. Recyclage permanent mais pas seulement. Faible espoir de voler pour échapper au pesant ficelage de tous les corps liés à un monde bas de cul unique. Voir suite et capacité à se dessécher sans heurt jusqu’à ne plus rien peser et s’échanger facilement pour le [...]

proposition n° 34

… Jour J. Voir à l’est en se levant solitaire un café imaginaire à la main. Sortir par la terrasse opposée, la pensée entièrement tournée vers l’orient dont on ne sais rien mais avec lequel on voudrait s’échanger parfois, par immensité rassemblée sur la ligne de départ, dix ans par exemple. Face à X, stagnent les monticules de terre qui ne servent à rien de mémoire d’homme, sous les trois chênes isolés au repos et dans la foulée, faire un demi-tour de squat par le déambulatoire inférieur pour se retrouver au soleil. Au delà, se trouvent les habitants cachés dont la proximité n’est décelable que par de rares éclats de voix ou aboiement de chien, sauf enfumage du cerveau à cause de la plaque chien de garde fixée sur la grille. C’est ici qu’une vie est. Une vie grouillante animale et larvaire en attente de métamorphose, pactisant avec les arbres et ne faisant pas encore les liens avec le lieu humain à l’intérieur du lieu. Ça va venir. Un lieu élevé appelle une vision lointaine qui peu à peu se rapproche, et zoome sur le spécimen de larve dont il est question. Aviser un trou dans le premier chêne rencontré, obstrué par un corps saisi d’oscillations perpétuelles, strié de minuscules lumières. Une vibration de l’oreille lui répond, en venant tout de go se poser délicatement au dessus, dans une quête aveugle à force de rejet. C’est toujours ça, pour un bipède, en principe tenu éloigné de l’aventure, bipède à virus métamorphique angoissé et réactif, d’examiner la première situation qui s’offre à lui. Il a fuit. Il écoute. Il perçoit. Ici, nul détritus habituellement vu en ville. Ils sont immédiatement happés et ingérés par les larves de terre en correspondance étroite avec celle des arbres qui surveillent le périmètre. Nul détritus humain non plus, ont tous disparus, peau poils chair aponévrose nerfs muscles tendons organes sang séché et os, tout ; l’intégral échappé des villes et susceptible de contamination l’a été, bel et bien enterré par bouts aspirés et assimilés par la terre en successions d’épisodes quasi instantanés fallait voir ça ; mais très peu l’on vu. Pourquoi le cimetière rendu aux liquidateurs disposé à l’est ? Nul ne le sait. Cœur à l’ouvrage probablement, sitôt passée une bonne nuit par tout ce petit monde ultra vivace et organisé, ayant ici remplacé presque toute vie humaine venue s’y réfugier. Quelques spécimen squatteurs, exclusivement de passage, sont néanmoins autorisés, histoire de faire mémoire du genre humain ou bien, selon la version optimiste, fournir de nouvelles preuves d’une quelconque utilité programmée, comme une dernière chance accordée par la forêt, dieu magnanime et patient s’il en fut. La maison, derrière celui finissant précisément d’insérer larve nourricière et/ou prothèse auditive dans l’oreille droite, possède une terrasse artistiquement envahie par les ronces, qui dessinent un quadrilatère parallélogramme parfait, exactement adapté aux dimensions de la construction. La porte a perdu sa clé et n’est jamais empruntée. Plus bas, rejoignant le sous-sol, une chaussée anciennement recouverte d’un tout-venant résistant par endroits, a laissé la place à une côte caillouteuse exhibant une multitude de pointes de silex dressées vers les cieux, sèche en été et boueuse le reste du temps, jusqu’aux frimas où elle se trouve rattrapée par le gel qui en fait une véritable patinoire à crochets, abandonnée par les enfants du secteur, disparus. Reste le terrain de jeux, selon l’appellation figurant à mi-hauteur d’un vieil hêtre situé en bordure droite, sur un panonceau clouté directement dans l’arbre, recouvert d’une plaque transparente de nature indéfinissable, sous laquelle une couche de bois est distinctement gravée : défense de stationner sur le terrain de jeux sous peine d’amende. Quoi à manger dans les parages ? Difficile à dire. S’adresser en priorité au groin du hêtre maître, enfouir le sien dans icelui et attendre, dents desserrées lèvres entrouvertes. Si conciliabule entamé, il y a des chances que l’arbre-roi garni de branches maîtresses exposées en plein cieux, lâche une part de ses nutriments personnels comme une vache régurgitait son herbe, pour venir en aide au dernier de ces courageux êtres bipèdes du secteur est, ne craignant point de déserter la ville du bas et s’aventurer au sommet afin d’entrer en relation avec le végétal par le biais des larves.

Les mains aux gros doigts entaillés, crevasses du temps dans la matière, s’emparent de ce qu’il reste de liquide à ingurgiter, pour ne pas dire manger. De ce côté sud de la ville du bas, les anciens du BTP et ceux des usines fermées depuis bien longtemps, se retrouvent à tour de rôle à quelques-uns pour oublier le temps, celui qui passe trop lentement quand il ne reste plus rien à faire, que de rabioter la terre devant les maisons castor, celles dont on a oublié d’être fier avec l’âge qui vient dans les genoux. Sans parler de l’ingratitude des jeunots qui ne se rappellent de rien, obligés de se coller les filles à la caisse, les gars à la manut’, de leur Inter Marché du coin. Ceux-là ne vivent que leur présent qui remplira moyen les poches de leurs yeux privés de rêves la nuit. Sur le secteur sud par ici, tout vert, brumeux, coincé dans la vallée abreuvée de ses hauts et de ses bas, le long des bocages qui lui restent, bien souvent ça pleut plus que ça ne prend dans les bras. Si le temps dure longtemps c’est comme ça. On ne se plaint pas. Surtout les soirées arrosées où il suffit d’appeler les assistantes soce qu’on connaît bien et qui vont rappliquer avec du matériel pour pas qu’on s’envoie en l’air, dans le fossé j’veux dire, au volant tordu et mal foutu, de la misère du crû. C’est sa vie, on ne s’en plaint pas. Entre les mariages et les communions, les enterrements des vieux potes plus déglingués que soi, les fêtes du village, les rares occasions de faire un saut à la capitale avec un neveu argenté qui bosse dans une start-up potable, pour s’y balader de nuit comme si on allait se faire aspirer par les lumières des riches mais on y pense pas, on est subjugué quand les couleurs de la ville qu’on ne voit pas ici, déversent tout ce qu’on n’a pas eu ou si peu ; on sait que de toute manière, on finira où personne ne veut, embarqué de sa propre volonté ramollo, surtout depuis le séjour à l’hosto, à l’asile des vieux. Autour les pierres se dessèchent et craquellent, comme les doigts qui ont trop travaillé, cogné, transbahuté, manipulé, tout gonflés. Et les jardinets ont arrêté de croître et produire, à croire qu’il n’a plus été semé que de la graine de cagnard depuis leur réchauffement climatique, blanc revêtement luisant au soleil, même pas dérangé par un brin de pissenlit dans les interstices, tandis que le compost oublié à côté du puits, ne décharge plus l’adrénaline pour les beaux légumes qu’on va lui faire rapporter, tellement qu’on les vendra au marché. C’est qu’on voudrait tant leur en faire accroire, aux autres, tous niveaux confondus, mais qu’en même temps dans cette partie de la ville du bas, même si on se prend par moment à y croire, c’est pas la joie.

Viennent se coucher à l’ouest. Les professions libérales et entrepreneurs, ingénieurs, informaticiens, ponts et chaussées, collectionneurs et hommes d’affaires, politiciens à leurs heures, à petite échelle, secteur ouest, rien de nouveau, sa vie 24 H chrono ; on regarde le soleil se coucher par dessus sa véranda et on plonge dans sa piscine pour se détendre d’une journée de travail serrée, où on a tout donné ; heureusement le ciel est à nous, le chant des oiseaux, la caresse des branches doucement remuées par le vent, et même si l’orage se prépare, rien à battre, blockhaus au milieu des bois, pas un bruit, juste celui de la musique doucement déversée par les enceintes invisibles et omniprésentes qu’on fait taire d’un snap du pouce contre le majeur, et puis décompression d’un crawl régulier. Les enfants font Sciences Po et un doctorat de quelque chose pour se cultiver ; on y est arrivé, tout naturellement au fond, ici on respire, l’air pur, de notre douce Normandie, on a fait les bons choix, au prix d’un travail acharné, récompensé-mérité ; et on traite bien nos filles à la caisse, tout est paré, organisé, pas prêt de lâcher, verrouillé, portes fermées, patrimoine et liquidité assurés pour trois générations, par delà les continents où on se couche, comme on a fait son lit on est bien. A l’ouest, quoi de prévu pour ce soir, manger léger et se taper un ciné, sur un écran géant, qui reproduit la vie et nous raconte une histoire pour nous endormir, comblés. Mais avant ça, sortir de l’eau et s’envoyer en l’air, seul ou à deux ou peut-être trois, avec une vidéo porno. A l’ouest, pas un seul d’entre nous qui s’ennuie, l’ennui ... et demain c’est reparti, la course à la journée levé tôt, encore plus si besoin de voyager, aller-retour N’Y ou Londres ou Düsseldorf. Job de cinglé. Négocier fixé sur son but, l’emporter, se redresser, sentir ses muscles bouger sous la chemise de soie, mate comme à la maison la peinture tendance sur les murs, étudiée. S’endormir une fois couché ‒ meilleur moment de la journée ‒ sur un roman de ceux qui se vendent en ce moment. Parfois en soi une voix s’élève, fulminant sur la tournure des événements mondiaux. Médias escroqueries politiquement correct et décrépitude ambiante démocratie bras ballants, émigration la Gorgone sortie de son lit, soi-seul réfléchissant, intelligent, face à grouillement de population explosif, monde-prison surpeuplé, bombe démographique pays en voie de … les régimes totalitaires, obligés. Fini la douceur candide : le bien-être à base de boules Quies. En attendant, nul SDF dans notre forêt, préservée, sauvage, rien à faire, et alentour, admirer, les clochers élancés de nos églises, les châteaux de notre terroir, le courage de nos paysans, notre capitale régionale rive droite où il fait bon se retrouver, discuter, échanger, dans la plus pure politesse et langage châtié, de l’incapacité de nos gouvernants, des restructurations annuelles de nos sociétés, avides de perfection, jamais atteinte ; lire nos journaux, expliquer les options. Jamais s’ennuyer, jamais seul, profiter. La vie se couche, coucher de soleil teintes rosées à travers la brume à Rouen, imaginer nos peintres, rêver, rêver, baiser. Mais pas l’temps, demain levé tôt. À l’ouest, tout va bien. Surtout ici au fond des bois, esprit d’équipe ? Faut voir, au cas par cas, pour vivre heureux vivons cachés. Loup y’es-tu ?

Le secteur nord de la ville-forêt, moitié en haut moitié en bas, épouse la forme d’un double territoire en T sur la carte, l’un forestier marqué de vert et l’autre poursuivi par l’Andelle. Au nord se trouvent les gens du nord qui refont un monde à partir du réel pour chacun d’entre eux et chacun à sa manière, un monde d’un labeur incommensurable inavoué. Au nord la pensée évadée, combinatoire de mots pour reproduire des mondes révélant leurs secrets en secret. Vingt six lettres, treize voyelles accentuées, c cédille, mouvantes, serpentent, qu’il s’agit de fixer comme un dessin léger de fusain sur papier. Au nord se trouve des ateliers, il a suffit d’un ou deux pour lancer une contamination active, d’extracteurs de bouts d’âmes sculptées, échappées des mains, éclats de lumières vifs, obscurs, se posant au cœur de toiles mystérieuses, filées avec la précision des araignées, bouts d’âmes que l’œil happe dans leurs diversités en s’infiltrant, silencieux, comme des arbres qui poussent sans un bruit. Au nord on ne dort pas on scrute les yeux ouverts sans ciller jusqu’à ce que les larmes viennent, tout en creusant de la gouge des canaux où se déposeront des filaments, sans hâte, lentement, et ceci fait on reprend son souffle et on ferme les yeux, en gardant l’esprit grand ouvert sans la moindre pause. Au nord on dépose sur la toile sur le papier sur l’écran sur l’instrument juste ce qu’il faut de notes pour se réconcilier avec son temps. Au nord les gestes sont à déchiffrer car leur vibration est presque imperceptible. Les portes sont ouvertes mais la plupart des individus passent leur chemin. Les visites se font rares comme si les jardins des oiseaux de lumière avaient dû fermer leur portillon, toutes plumes à terre. Au nord on n’hésite pas entre espoir et désespoir, on est plutôt par moment en haut dans le cristal limpide et le reste du temps en bas dans la contemplation de l’écoulement de l’eau qui apprend beaucoup. Au nord se réfugient pas mal de psychopathes des autres secteurs cartographiés, menacés d’enfermement et contraints aux médicaments. Car on y fabrique ses propres substances, naturellement, en réfléchissant le monde différemment et en le reproduisant aussitôt. Et ceci pulvérise la camisole et laisse le sujet sans voix pour se mettre immédiatement au travail. Au nord on dresse parfois des barricades mais c’est plutôt rare. On veut que les mouvements de ce territoire ne soit jamais endigués, maîtrisés, juste happés de ci de là et qu’on soit occupé à les noter comme la déambulation faussement désordonnée d’un gendarme isolé sur des feuilles de saule pleureur desséchées. Au nord on examine la question de la vie on la compose et on la regarde se décomposer. On est taxé de paresse d’immobilisme mais c’est le contraire, on assimile le mouvement perpétuel des atomes qui vous traversent à la vitesse de la lumière. Et on les poursuit du regard de la voix de la main de la ligne et du mot. On les poursuit dans leur diversité. Au nord on est embarqué dans un tourbillon apparemment immobile qui ouvre un bal invisible. Au nord le temps s’est sûrement arrêté. L’heure de la flânerie a sonné jusque dans les poubelles, les détritus, occupés à entamer leur décomposition. On se heurte à la déchetterie régionale, on entend craqueler la matière qui se manifeste en se décomposant. Puis, quand on s’est suffisamment terré dans les ateliers, on s’engouffre en haut dans la forêt où l’on se perd pour faire provision de lumière. A noter qu’il s’agit d’une forêt de hêtres, élevés, au tronc dénudé, les branches suffisamment écartées pour laisser s’infiltrer un maximum de la précieuse matière, source de créations. Et on se cache longuement à l’intérieur pour ne pas se faire épingler.

proposition n° 35

… Jour J. Voir à l’est premièrement en se levant, un café à la main, l’imagination tournée vers un lointain orient avec lequel des colonies s’échangent. Préparer le terrain, travailler dur. X sollicite l’aide des vers. Le secteur est est couvert de bois quelque peu clairsemés du fait qu’il abrite des terrains construits, une dizaine de maisons à vol de Google, plus très fréquentées dirait-on, plutôt désertées, possiblement squattées. X a calculé qu’il devait se trouver ici quelques deux cent cinquante individus au mètre carré, tous au travail ; de quoi préparer une terre suffisamment nourricière sur les ex parties communes pour tout l’ensemble du secteur. C’est ici qu’ une vie est. Envahie ! Une vie grouillante d’insectes et de larves se relayant sans cesse en attente de métamorphose, nymphe, imago, et pas seulement ceux et celles, destinées à produire des nymphes de coléoptères ni même des chrysalides de papillons loin s’en faut. Armée pactisant avec les arbres, ayant dénoué tout lien humain à l’intérieur du lieu. Un lieu élevé appelant une vision lointaine pour se retrouver focus sur les squats, occupés par bipèdes rejetés ailleurs, tenus éloignés de l’aventure, bipède à virus métamorphique angoissé et réactif, dont un exemplaire X tentant d’examiner la situation. Ici, nul détritus habituellement vu en ville. Ils ont été happés et ingérés par les larves de terre en correspondance étroite avec celles des arbres surveillant le périmètre. Nul déchet humain non plus, ont tous disparus, peau poils chair aponévrose nerfs muscles tendons organes sang séché et os, tout ; l’intégral échappé des villes et susceptible de contamination l’a été, bel et bien enterré par bouts aspirés et assimilés par la terre en successions d’épisodes quasi instantanés fallait voir ça ; aucune trace d’hypothétiques témoins. Pourquoi le cimetière disposé à l’est rendu aux liquidateurs ? Donnée cachée. Cœur à l’ouvrage probablement, sitôt passée une bonne nuit par tout ce petit monde ultra vivace et organisé, indifférent à priori à la colonie de vie humaine en mouvement destinée au remplacement d’une autre. Squatteurs. Refabriquer une vie spontanée non réfléchie ne rentrant dans aucune case prédéfinie, exploitant les talents des uns et des autres, tous aguerris par suite de la décomposition régionale massive. Pas de survivants. La maison principale de la partie est, antérieurement évacuée pour sauvegarde du secteur en pleine situation de crise, dissimule une terrasse sous un flot de ronces, infranchissable. Plus bas, rejoignant le sous-sol, une chaussée anciennement recouverte d’un tout-venant résistant par endroits, a laissé la place à une côte caillouteuse exhibant une multitude de pointes de silex dressées vers les cieux, sèche en été et boueuse le reste du temps, jusqu’aux frimas où elle se trouve rattrapée par le gel qui en faisait, de mémoire d’enfants disparus, une véritable patinoire à crochets. Malheureusement, restant du précédent document sur la partie est pour décalque en cours, devenu illisible. On y devine : une histoire de terrain de jeux, selon information sur un panonceau clouté dans l’écorce d’un hêtre plus que centenaire, sur lequel figurerait un interdit des temps révolus comme défense de stationner. Quoi à manger dans les parages ? Ah, facile maintenant : en attente fiévreuse dégustation légumes surprise permaculture efficacement soutenue par les vers. Squatteurs se relayant ne craignant point de déserter la ville du bas et s’aventurer au sommet afin d’entrer en relation avec le végétal par le biais des vers.

Leurs mains aux gros doigts entaillés, crevasses du temps dans la matière, hantent les lieux, les souvenirs. Côté sud de la ville du bas, les carcasses difformes des usines fermées depuis bien longtemps, exhument leurs corps au soleil, dévorés de plantes carnivores, témoignant de l’existence révolue de sa population ouvrière, avalée en totalité avec ses maisons castor. A leur place, une enfilade de containers où vit sa progéniture, reléguée à l’emploi précaire dans l’agroalimentaire, de la grosse distribution, la partie active du bout de la chaîne : bâtiments fabriqués à la va comme je te pousse exhibant ses couleurs criardes. Ceux qui travaillent là sous la surveillance de robots omniprésents, ne vivent qu’un temps présent qui remplit moyen les poches de leurs yeux privés de rêves la nuit. Une brume étrange a recouvert le vert d’une vallée asséchée de ses hauts forestiers et de ses bocages du bas ; sur le secteur sud par ici, le plus souvent, ça pleut acide et pestilentiel plus que ça ne prend dans les bras. Le temps dure longtemps, on ne se révolte pas. On a oublié jusqu’au soirées arrosées pour oublier, de toute manière on n’a pas le matériel pour s’envoyer en l’air, dans le fossé j’veux dire, au volant tordu et mal foutu de la misère du crû. C’est sa vie, on n’a pas la force de se révolter ni de foutre le camp. Plus de mariage, juste des cérémonies hâtives pour les enterrements des vieux potes plus déglingués que soi. Parfois en guise de fêtes du quartier, une occasion de s’imaginer faire un saut à la capitale, s’y balader de nuit comme si on allait se faire aspirer par les lumières des riches mais on n’y pense pas, on est subjugué quand les couleurs de la ville qu’on ne voit pas ici, déversent tout ce qu’on n’a pas eu ou si peu, sur l’écran de son téléphone portable ; on sait que de toute manière, on finira où personne ne veut, embarqué de sa propre volonté ramollo, surtout depuis le séjour à l’hosto, à l’asile des vieux. Autour les pierres se dessèchent et craquellent, comme les doigts qui ont trop travaillé, transbahuté, tout gonflés. Et les jardinets d’autrefois, où se faisait l’appoint de fruits et légumes, ont laissé la place au cagnard du réchauffement climatique, blanc revêtement luisant au soleil, même pas dérangé par un brin de sauge dans les interstices. C’est comme si on n’avait plus rien à revendiquer, face aux autres, tous niveaux confondus : dans cette partie de la ville du bas, même si on se prenait par moment à y croire, c’est pas la joie.

Viennent se coucher à l’ouest : les professions libérales et entrepreneurs, ingénieurs, informaticiens, ponts et chaussées, collectionneurs et hommes d’affaires, politiciens à leurs heures, à petite échelle, secteur ouest, rien de nouveau, sa vie 24 H chrono ; on regarde le soleil se coucher par dessus sa véranda et on plonge dans sa piscine pour se détendre d’une journée de travail serrée, où on a tout donné ; on se répète à l’envie le ciel est à nous, le chant des oiseaux, la caresse des branches doucement remuées par le vent, et même si l’orage est bien là, blockhaus au milieu des bois, pas un bruit, juste celui de la musique doucement déversée par les enceintes emmurées qu’on fait taire d’un claquement de doigt et pour suivre, décompression d’un crawl régulier. On a pris le relais de papa et on assure. Quand on rentre se coucher ici on respire, le dernier air pur, on a fait les bons choix, au prix du même travail acharné, dûment récompensé ; on a les rênes bien en main, surveillance à distance, robotisation spécialisée, tout est paré, organisé, pas prêt de lâcher, verrouillé, portes fermées, patrimoine assuré pour plus d’une génération, par delà les continents où on se couche, comme on a fait son lit on est bien. A l’ouest, quoi de prévu pour ce soir, manger léger et se taper un ciné sur un écran géant qui reproduit la vie et nous raconte une histoire pour nous endormir, avec un comprimé. Mais avant ça, sortir de l’eau, peut-être s’envoyer en l’air, ça va dépendre, seul et sa vidéo porno. A l’ouest, pas un seul d’entre nous qui s’ennuie, l’ennui ... et demain c’est reparti, la course à la journée levé tôt, encore plus si besoin de voyager, aller-retour N’Y ou Londres ou Düsseldorf. Job de cinglé. Négocier fixé sur son but, l’emporter, se redresser, sentir ses muscles bouger sous la chemise de soie, mate comme à la maison la peinture tendance sur les murs, à l’unisson. Somnoler liseuse allumée, une fois couché ‒ meilleur moment de la journée ‒ sur un des romans qui se vendent en ce moment. Fermer les yeux au milieu des voix importunes qui s’élèvent, ressassent la tournure des événements mondiaux, glisser, oublier. Médias escroqueries politiquement correct et décrépitude ambiante démocratie bras ballants, émigration la Gorgone sortie de son lit, soi-seul réfléchissant, intelligent, face à grouillement de population explosif, monde-prison surpeuplé, bombe démographique pays en voie de … les régimes totalitaires, obligés. Fini la douceur candide : bad trip à base de boules Quies. En attendant, chacun pour soi au sein de notre belle forêt, mère nature persistante, préservée rien à faire, et alentour, admirer, les clochers élancés de nos églises, les châteaux de notre terroir, ce qu’il en reste, notre capitale régionale rive droite où il fait bon se retrouver, discuter, échanger, dans la plus pure politesse et langage châtié, de l’incapacité chronique de nos gouvernants, des restructurations annuelles de nos sociétés, contre vents et marrées, de nos tours de passe-passe acrobatiques, avec nos conseils financiers, grassement payés. Jamais s’ennuyer, jamais seul, profiter, la devise de nos parents, un peu difficile à adopter. Maintenant que la vie se couche, coucher de soleil teintes rosées à travers la brume, imaginer nos vieux peintres heureux, rêver, rêver. Mais demain levé tôt. À l’ouest, manque peut-être au fond des bois, un certain esprit d’équipe comme dans le travail, un but commun. Trop tard pour y remédier, pour vivre heureux vivons cachés ; à l’ouest, le loup c’est l’ennui qui décrit des cercles autour de l’insomnie.

Le secteur nord de la ville-forêt, moitié en haut moitié en bas, épouse la forme d’un double territoire en T sur la carte, l’un forestier marqué de vert et l’autre poursuivi par l’Andelle. Au nord se trouvent les gens du nord qui refont un monde à partir du réel pour chacun d’entre eux et chacun à sa manière, un monde d’un labeur inavoué pour lutter contre l’évolution manquée à l’intérieur de soi. Au nord la pensée, éternelle évadée, combine des mots pour reproduire des mondes révélant leurs secrets en secret. Vingt six lettres, treize voyelles accentuées, c cédille, mouvantes, serpentent, qu’il s’agit de fixer comme un dessin léger de fusain sur papier. Au nord se trouve encore des ateliers épargnés, lieux d’exutoire de bouts d’âmes sculptées, échappées des mains, éclats de lumières vifs, obscurs, se posant au cœur de toiles mystérieuses, filées avec la précision des araignées, bouts d’âmes que l’œil happe dans leurs contradictions en s’infiltrant, silencieux, comme des arbres qui poussent sans un bruit. Au nord on ne dort pas on scrute les yeux ouverts sans ciller jusqu’à ce que les larmes viennent, tout en creusant de la gouge des canaux où se déposeront des filaments conducteurs, sans hâte, lentement, et ceci fait on reprend son souffle et on ferme les yeux, en gardant l’esprit grand ouvert sans la moindre pause. Au nord on dépose sur la toile sur le papier sur l’écran sur l’instrument juste ce qu’il faut de notes, non pour se réconcilier avec son temps mais pour expurger ce qui est, à commencer par soi. Au nord les gestes sont à déchiffrer car leur vibration est presque imperceptible. Les portes restent ouvertes lorsqu’il y en a, mais la plupart des individus égarés sur ce secteur passent leur chemin. Les jardins des oiseaux de lumière ont dû fermer leur portillon depuis longtemps, toutes plumes à terre. Au nord on n’hésite pas entre espoir et désespoir, on est plutôt par moment en haut dans le quasi-cristal et le reste du temps en bas dans la contemplation de l’eau qui en s’écoulant passe tout, même les instants interminables et trop palpables de l’être et du non être. Au nord se réfugient les étiquetés psychopathes des autres secteurs cartographiés, menacés d’enfermement et contraints aux médicaments. Car on y fabrique ses propres substances, naturellement, en réfléchissant le monde différemment et en le reproduisant aussitôt. Et ceci allège la camisole et laisse le sujet sans voix pour se mettre immédiatement au travail. Au nord, on ne dresse pas de barricades dans la rue mais en soi, pour lutter contre le drame et la violence naturelle dans lesquels on naît enfermé . On veut que les mouvements de ce territoire ne soient jamais endigués, maîtrisés, juste happés de ci de là et qu’on soit occupé à les réfléchir et les noter en bougeant à l’instar de la déambulation faussement désordonnée d’un gendarme isolé sur des feuilles de saule pleureur desséchées. Au nord on examine la question de la vie, on la recompose et on la regarde se décomposer. On est taxé de paresse, d’immobilisme mais c’est le contraire, on est sensible au mouvement perpétuel des atomes qui vous traversent à la vitesse de la lumière ; on s’essaye à le poursuivre du regard de la voix de la main de la ligne et du mot ; on le poursuit dans sa contradiction sans relâche. Au nord on est embarqué dans un tourbillon apparemment immobile qui ouvre un bal invisible. Au nord le temps s’est arrêté, il ne passe pas, il rôde ; seule réponse le prendre au mot : l’heure de l’errance a sonné jusque dans les poubelles, les détritus, occupés à entamer leur décomposition. On se heurte à la déchetterie régionale, on entend craqueler la matière qui se manifeste en se décomposant. Puis, quand on s’est suffisamment terré dans les ateliers à interpréter l’absence de sens, on s’engouffre à l’assaut de la forêt où l’on se perd pour faire provision de lumière. A noter qu’il s’agit d’une forêt de hêtres, élevés, aux troncs dénudés, les branches suffisamment écartées pour laisser s’infiltrer un maximum de la précieuse matière, source de créations apaisantes. Et on se cache longuement à l’intérieur pour ne pas se faire épingler et rejeter hors de son système salutaire.

proposition n° 36

Et voici déployée devant vous notre ville escargot affublée de la trace qu’elle laisse en avançant. Vous pouvez voir, pour commencer, ici à l’est, davantage de forêt et une descente qui coupe à travers champs. Un secteur hors contrôle, apparemment voué à une forme de permaculture, colonisé par les squatters, plutôt ... octroyé gracieusement aux itinérants de toutes sortes qui s’y relaient. Bref, dévolu à tous les pouilleux, va-nu-pieds désocialisés volontaires ‒ rien à voir avec nos légendaires révoltés régionaux du temps jadis ‒ qu’on ne croise donc plus dans les secteurs habités. Difficile de dire s’ils s’en sortent et comment, nul n’osant apparemment s’aventurer dans le secteur larvaire envahi d’insectes venus d’extrême orient selon nos derniers relevés, comment font-ils ? Mystère. En tous cas, ils se tiennent à carreaux ou sont parvenus à une déconnexion totale du réseau officiel. Nul doute qu’ils doivent en utiliser un autre entièrement déconnecté du nôtre vous me suivez ? Comment feraient-ils pour se regrouper. Peut-être moins démunis qu’il n’y paraît au premier abord. Constructions troglodytes ? Ralliement hommes slash insectes contre frelons asiatiques pour que perdure l’écosystème du secteur ? Désertions de certains de nos scientifiques en faveur d’un système marginal tenu secret ? Disons en résumé qu’il doit s’agir d’une lutte pour la survie qui doit rester embryonnaire, en aucun cas faire tache d’huile si vous voyez ce que je veux dire … Les maisons à l’est, à l’abandon, partie de la forêt anciennement lotie, viabilisée et construite, sans compter les parties communes et terrains de jeux, tout a été détourné et reconverti. C’est sans danger. Néanmoins à surveiller ; réagir au moindre mouvement enregistré depuis les autres secteurs, contre éventuels risques de contamination notez bien. Mais qui voudrait larguer le confort de notre civilisation mondiale depuis qu’une certaine organisation entre dominants dominés s’est opérée au prix du sang suivie d’un retour au calme ? C’est sans danger pour les secteurs sous contrôle dans la mesure où les insectes les plus destructeurs de la planète s’y complaisent. Tant mieux pour eux.
Passons au sud. Notre système agroalimentaire sans faille, bénéficiant d’une distribution performante, robotisée à l’extrême, n’ayant rien à envier à celle de notre capitale régionale, encadrée de main de maître par un consortium performant, comptant dans ses troupes les vieux briscards de la profession, passés experts dans l’art de donner à la population issue de celle des usines d’autrefois, juste ce qu’il leur faut de pseudo emploi dans le système et de compensations abordables pour les maintenir en place. Pas de courses à la place ! Une survivance d’une certaine forme de plein emploi. Désolidarisé notez bien. Rien de comparable avec ce qui fit la gloire éphémère de communards survoltés du temps où les ouvriers avaient les mains calleuses de ceux qui savent cultiver la terre, attelés au sortir de l’embauche en usine à la production de jardins dans un esprit de solidarité exacerbée, tel un cerbère endiablé défendant becs et ongles son territoire. Non, plus rien à voir. Plutôt dans la lignée d’un Métropolis high tech si vous voyez ce que je veux dire. Non ? Avançons. Je vous rappelle le but de cette commission d’enquête qui est, outre l’aspect d’analyse complémentaire des données informatiques, de réfléchir aux arguments jouant en faveur de la conservation de certaines de nos communes ayant certes un passé historique, mais vouées à un effacement inéluctable dans le cadre du remembrement planétaire. Effacement je vous laisse imaginer comment. Sans doute comme la majorité des vieilles choses inutiles restées dans l’incapacité de symboliser aux yeux du monde le moindre idéal de réussite, s’élevant haut et clair au dessus de la mêlée, sortant de l’ordinaire et consacré par la pluralité dominante du moment. Voyez par exemple un Cioran crachant si brillamment sur sa condition, heu, la nôtre, au point qu’il en est resté quoi, sinon une victoire ! Grandiose ! ... Pardon ? ... Oui, oui, je m’égare . Toujours est-il que cette partie sud est indéniablement ̶ et ce, malgré la canicule qui sévit plus de trois mois sans discontinuer en été pour faire court, dans notre douce et belle ex-verte Normandie ̶ un modèle de reconversion on ne peut plus abouti pour le bien de tous.

Voyons l’ouest. À l’ouest rien de bien nouveau vous vous en doutez. Résidence privilégiée de nos affairistes professions libérales ingénieurs et conseillers municipaux en retraite. Pas les gagne-petit on est d’accord. Voisins vigilants et autres membres des clubs de la sélection non naturelle ? Pas nécessairement : au sommet de nos collines surplombées d’épaisses forêts aux arbres centenaires, pour vivre heureux vivons cachés. Heureux ? Posez leur la question si ça vous amuse. Maisons en bois dans les bois confort moderne dernier cri architecture rêvée. De loin les plus riches du cimetière ! Occupés c’est certain. Pas le temps d’aggraver les dépenses de folie et discrets avec ça. Charme discret ça vous parle ? Les autres sont des cons ou des voyous mais ils savent bien que la richesse ‒ au sens figuré n’est-ce pas ‒ d’un individu est réversible aux yeux de tous. Avertis, je dirais. Le sens de la propriété mais honnêtes entre eux sans connivence particulière. Sang bleu. Que font-ils de leur bois ? Rien. Contemplation éperdue. En résulte une transplantation spontanée du zen de sève d’arbre à pores de peau sans formule magique. Auraient du mal à quitter le territoire. Ancrés. Solitaires ? Terrés ? Des réceptions entre voisins à la moindre occasion ? Terrains non clôturés ouverts sur l’entre-soi ? Certainement pas. Rien de tout cela. Sacré enfermement me suis-je laissé dire. Pas mes oignons. Cité dortoir mirobolante. Collection d’oiseaux migrateurs autorisés et arbres épanouis galvanisés par la richesse ambiante. Veuillez noter : forêt super entretenue, chênes pédonculés, hêtres et bouleaux verruqueux.
Au nord maintenant ... oui, la situation est plus tendue, s’il vous plaît, un peu de silence s’il vous plaît ! Hum, comment dire : Hurluberlus de service, leur territoire à cheval sur l’autre extrémité de la forêt et la ville du bas ou ce qu’il en reste ; la zone comme on l’appelle familièrement, celle longeant la rivière recouverte de baraquements régulièrement détruits pour raisons de salubrité publique et aussitôt reconstruits comme champignons sous la pluie ou par l’opération du Saint- Esprit ! À l’extrémité du secteur, la déchetterie régionale, une partie de ville en-soi. Néanmoins, en émaneraient régulièrement de véritables entre guillemets artistes, paraît-il. Qui n’hésitent pas à franchir les différentes frontières pour faire parler d’eux. Faire parler d’eux ou autres raisons : délire cosmique ... Performeurs, agitateurs publics, avaleurs cracheurs, profanateurs, street art, acrobates et j’en passe. Le plus souvent réunis en collectifs mais pas seulement, isolés ambulants, malades échappés de nos asiles, livrés à eux-mêmes et retournés à l’art brut, bref, graine de révolutionnaires en puissance si vous voulez mon avis. Si danger il y a, viendra d’eux. Ne travaillent pas. Jamais. Faut voir les écrivailleurs flâner au bord de l’eau. Déjà eu l’occasion de lire certains, manifestes on va dire, émanant de la zone. Pur charabia pseudo-intellectuel logorrhées étourdissantes, dépourvues du moindre signifiant. Ou l’inverse. D’une austérité descriptive tellement minutieuse et aride, de surcroît sans la moindre accroche scénaristique, à tomber des mains. Curieusement, si vous enquêtez là-bas, il ne vous arrivera rien. Tout ce monde erre dans un espace invisible de l’espace lui-même. Inatteignable. Dans une sorte de béatitude rythmée musique danse comme si l’air était lui même pénétré d’une substance disons, anxiolytique entre guillemets. Mes comprimés idem. Mais pacifistes jusqu’à preuve du contraire. Ouvrir l’œil et le bon. Et savez-vous de quoi ils se nourrissent ? Pas ! De rien merci ! La lumière des astres, la pluie et le beau temps. Je vous remercie de votre attention, C.R à retrouver sur le réseau.

proposition n° 37

En haut dans l’extrémité plus sombre de la forêt, une grande bâtisse imposante à laquelle on a omis d’adjoindre son revêtement attendu de magnifiques colombages, ainsi que son chemin extérieur couvert, comme le cloître d’une abbaye ou promenoir, le long d’un côté et sur tout l’arrière. On peut rentrer dans la maison du haut par cinq endroits pas moins, autant que de doigts de la main : la porte principale sur la façade sud s’étalant de toute sa longueur. Côté est sur la terrasse, une porte ouvrant sur le salon et une autre moins utilisée constituant une troisième entrée, celle de la chambre installée sur le côté nord. Sur l’autre côté de la maison, orienté ouest, la porte de la cuisine. Enfin les deux portes de garages en sous-sol sur le côté est, constituant la cinquième entrée. Pourtant, il existe au dire de certains, des écrivains, d’autres moyens plus simples et même enfantins, de pénétrer dans les maisons de la ville-forêt, pour en inventorier les contenus. La traversée de la maison témoin n’aurait en son temps rien donné. Vide. Tout à imaginer. Je me souviens que nous courions à l’extérieur. Mais il s’agissait peut-être d’autres enfants. Quant à la maison intermédiaire, tout en longueur, habitée juste après en ce lieu, je me souviens des murs en soupente à l’étage, couvert de rayonnages de bibliothèque. Comment tenaient-ils. Il y avait là tous nos livres de science fiction et la maison petite pour nous tous, était bourrée de coins et recoins où ranger toutes nos affaires au mieux comme sur un bateau. Nous voguions solitaires et cependant en famille, sans même nous en apercevoir. Au milieu du toit recouvert de lattes de bois, un lustre. Bel animal s’accrochant au sommet, scintillant malgré l’absence de lumière, et si les hommes disparaissaient laissant les animaux s’emparer de leur territoire, des oiseaux voletteraient dans la pièce et feraient les pitres comme des singes affamés. Comment vivent les gens d’ici, partis en vacances. En vacances de quoi. Je laisse filer des bribes de souvenirs et sort pour regagner le couloir. Ici à gauche, sous la soupente, était installé un lit une personne et c’était le mien ou celui de n’importe quel enfant de passage. De la chambre du fond je n’ai gardé aucun souvenir, excepté celui du bureau couvert de dossiers et de l’emplacement du lit sur lequel je m’assoupissais parfois pour réviser ou pour rêver, comme en ce moment où j’écris ces lignes, mordue par une fatigue qui a le dessus, qui a le dessus ... — On dirait que je me lèverais et que je rentrerais retournerais reviendrais non même pas que j’y serais directement et après tout ce grabuge que j’aurais gagné un pouvoir magique quand bien même mon temps ne serait pas en réalité venu que je n’aurais pas purgé tous mes jours d’enfermement d’emprisonnement dans une prison ou il n’y a que des personnages transis et immobiles qui ne bougent que sur de rares commandements aboyés. Debout lève toi et passe cette muraille, si tu y crois ça va le faire, ne réfléchis pas. Essaye la porte si ça se trouve elle va s’ouvrir. Et tu marcheras de l’autre côté, étonnée, surprise, sans penser. Tous tes colocataires internes la boucleront sur les il faut pas etc. Je me suis levée je suis sortie de mon lit sans même me laver les dents et j’ai voulu cogner de toutes mes forces sur le premier mur de façade rencontré quand une phrase m’est revenue à l’esprit : prix d’usine sur les croquettes pour chats de la marque ultra premium. C’était bien la clé. J’ai baissé les bras, et sans même regarder derrière moi, je me suis emparée de la première poignée de porte rencontrée et comme prévu elle s’est ouverte. Après une nano seconde d’hésitation et un geste autoritaire à destination des autres nazes qui me constituent qui commençaient de pleurer leur mère et leurs principes, je suis montée, un escalier s’ouvrant droit devant, m’arrêtant sur une des marches qui craquait tout ce qu’elle savait, pour allumer la lampe de poche de mon téléphone portable. Les autres avaient eu beau m’assurer sur la place du village que les maisons là haut dans la forêt étaient abandonnées l’été, devenues trop chaudes, ou l’inverse, je ne sais plus justement, trop froides l’hiver, c’est que mon cerveau me jouait des tours facilement ‒- Alors qu’en vrai, il suffit de faire passer toutes les choses à travers les murs à commencer par soi. Essayez de comprendre c’est du sérieux. Ici il y a des gens qui ont choisi leur ville et c’est déjà beaucoup. Vivre ensemble au milieu des arbres. Quand l’un deux meurt tout doit disparaître. Tous se rassemble alors et sont pris de la folie propre à la rupture exigée par un timing souverain. Est commandée une brusque extinction des souvenirs comme un chanteur de sa voix. Ça peut arriver je regrette. Dans cette situation le chœur du commando armé jusqu’aux dents ne fait plus qu’un, obtus, obèse, compressé, immobilisé, plaqué au sol, tandis que les bras démultipliés s’agitent en tous sens, pour le bien commun. Faire passer les objets au travers des murs, solidement empaquetés encartonnés scotchés. La personne qui a vécu là aimée de tous sans prise de conscience réelle de sa présence réelle dans la ville -‒ en cause directe, le fatras de la vie et de ses objets ‒ quelque soit le temps de sa maladie ou de son absence de maladie, de son agonie ou de sa disparition brutale, immédiatement après que l’on ait fait passer toutes choses à travers les murs, sera avalée néantisée, de cet autre côté des choses ou plus rien n’est. Le coup de grâce. Une seconde mort. Aussi, lorsque tu tiens dans tes mains l’espace d’un instant avant son avalage par le carton, une chose qui représente cette personne, n’importe quelle chose qui te relie par la vague connaissance d’un fait, d’un événement, cette chose qui te relie à une autre qui tend ta main vers une autre encore et ainsi de suite jusqu’à l’ours en peluche avec le bouton noir pour remplacer l’œil qui manque, tenu par un bout mettons le bras, par la petite fille qui joue à la marelle à cloche pied dans les rues du XVème en chantant amstramgram pique et pique et colegram. Jette vite la chose dans le carton. Mais aussitôt une main qui s’empare d’une chose qui s’empare d’un gilet de laine où est cousu main lui faisant écho et arrêtant la sienne, un cœur qui s’élève jeté au fond d’une montgolfière qui s’élève dans les airs belle et fière ; et tu revois aussitôt l’enfant plus grande qui remonte de la cave déséquilibrée par le poids du seau à charbon, remonte, remonte, gravit les escaliers un à un, lentement, difficilement sans y penser et la chose noire qui prend la main de la chose blanche qui l’entraîne et la fait ressurgir. Et alors elle se dresse, humble et fière dans sa robe blanche de mariée. Vois, vois et vite jette dans le carton à travers les murs sans y penser et sans rien voir. Les chemisiers blancs et de couleurs, les gilets de laine avec ou sans manche, ce rose à crochet doux et épais qu’elle mettait continuellement vers la fin. Balance, balance à travers les murs. Les pulls de coton, les pulls de laine et les mains qui plongent dans les tiroirs, de culottes blanches, de chaussettes délicates, beiges, blanches, lingerie mousseuse et fine, balance à travers les murs, et puis parfois, deux mains du corps commando font une pause et s’esquivent, au dehors, sans passer au travers les murs ne savent pas le faire encore prisonnières du corps, pour cueillir quelques fleurs jaunes de pissenlit que personne, non personne n’aura à encartonner. Retour des mains désolidarisées du grand corps commun, sur pieds désobéissants virant à la première à droite et traversant le mur du grand salon, sachant le faire soudain, se souvenant que pour cette personne le sens de la vie était donné par le soin aux choses. Et le long du mur se glisser jusqu’à la commode déjà empoussiérée bien entendu, au lieu de rejoindre le grand corps s’activant dans les placards du couloir bourrés d’une vie à jeter, beaucoup d’objets qui comptaient, du plus humble au plus orgueilleux, tous entourés d’un soin particulier. Face à la commode du salon commence un va et vient des mains au ralenti en aparté, un sublime ralenti accompagné d’une suite anglaise de Bach au piano seul. De l’indispensable pince prolongateur des doigts gourds à la croix en métal dûment astiquée pour retrouver sa mission première. Voilà comme elle supportait sa solitude dans la grande maison fantasmatique, où elle ne passait pas à travers les murs, prisonnière de son corps fatigué. Elle bricolait, se disent les mains en portant aux yeux la photographie, délicatement encadrée, des deux sœurs après guerre en train de marcher, portant leur vie retrouvée, derrière un regard échangé, et elles marchent crânement en dehors du cadre, d’un jeune pas franc et souple à travers la pièce. C’est quoi bricoler pour une femme. Arranger artistiquement toutes choses, artisane des objets qui tiennent à cœur et que notre commando multi articulé et d’utilité générale va encartonner et infiltrer à travers les murs, mener à leur accomplissement dernier au milieu des rires décalés, à leur disparition pleine et entière, leur évaporation finale. Les mains réfugiées se sont immobilisées, le cadre qui raconte à hauteur des yeux. L’artisane des choses s’était escrimée. Comme si elles ‒- les mains -‒ auraient préféré un bel autodafé dehors au milieu des arbres, magnificat déployé, plutôt que cette terrible enfilade visant la disparition au travers des murs. Question de point de vue. Toujours est-il que les mains récalcitrantes jouent maintenant à ouvrir les tiroirs pour en extirper la boîte où se trouvent les vieilles lettres d’amour toujours jeunes, et marquent la pause pour les garder les receler comme de la contrebande de prison. Un bloc plus loin de la grande maison, tous murs abattus, l’équipage d’un seul corps tourne à la farce, rit, rit, s’esclaffe et se prend en photos : fille robe de soirée soie bleue au grand col lamellé argent et garçon habit queue de pie et nœud papillon. Craignez, si m’en croyez, les nettoyeurs infiltrés à travers les murs ; mourrez sans plus rien laisser derrière vous. Là, dans les deux mains récalcitrantes et désolidarisées, un livre de Kafka, pourquoi pas dans la bibliothèque, et des photos sans cadre, de grandes photos larguées à tout jamais, comme celle-ci : non, c’est un dessin, signé, ton camarade de régiment. L’oncle Duval et sa longue moustache brandie sur l’horizon, poilu en uniforme de la guerre 14-18, casqué, lunettes pince nez, plastron de la veste militaire à col droit couvert de médailles sur le côté gauche. Au lieutenant Duval, en bon souvenir du secteur 70, 12 février 1916 ; bon souvenir ? Un camarade dessinateur. Et les deux mains échappées du grand corps commando de tenir le dessin sans le lâcher jamais plus jamais, avant de filer au travers des murs de la maison déménagée, au travers des murs munies de la clé, Satori, Satori ! Et si vous ne me croyez pas vous pouvez toujours essayer l’autre clé, prix d’usine sur les croquettes pour chats de la marque ...

proposition n° 38

K est un artiste écrivain qui s’ignore. Il n’écrira jamais de livre car il n’a jamais eu vent de ce qui fourmille en lui de prises de notes ainsi que de restitutions spontanées à voix haute, qui lui font perdre un temps fou dans l’exercice de ses fonctions et cassent les pieds de tout le monde. K est le cas, spam par excellence si on ne prête pas garde à lui formellement. Il est comme un prof qui va sélectionner le volontaire désigné d’office pour aller au tableau, parmi le troupeau d’élèves s’esquivant mentalement aspirés à travers les murs. Il est le tyran de service qui impose sa mécanique des profondeurs et tu la boucles tu fais avec pour ne pas devenir fou. Seule la sœur de K voudrait écrire le livre à la place de K que K n’écrira jamais, c’est à dire lui voler toute la matière hirsute, martienne, entièrement neuve et luxuriante dont il est composé, comme s’il était déjà un monde de caractères traînant par erreur dans un corps d’homo sapiens à la place d’être relié à une imprimante massicoteuse relieuse débitant 20H/24. Sinon la sœur de K n’écrira jamais ses mémoires ou à la rigueur complètement transformées ; recette théorique : prendre un paquet de non événements, quelques lieux mais pas trop, très peu de résidents autour, de préférence un temps gris et pluvieux avec menace de suicide quotidienne jamais mise à exécution, au sein d’un village bourgeois, mais alors très bourgeois où tout le monde est d’une politesse exquise, d’une platitude et d’une conformité confondante qui peut cacher un vrac de turpitudes et/ou désolation que vous mélangez bien à la cuillère de bois pour commencer avec du personnel de prisons, microcosme sublimement représentatif de celui de la sœur de K, gardiens et détenus en nombre dont il ressortira les fruits d’or, quelques gens de pouvoir, dont juges et magistrats, professeurs de collèges maboules et flicaillerie obtuse, saupoudré d’un rien de politicards véreux, le tout passé au mixeur jusqu’à obtention d’une pâte homogène, y incorporer deux blancs délicatement tournés en flocons de neige, mettre au four à température élevée et servir frais. La sœur de K est un pseudo qu’elle utilise pour les livres qu’elle écrit en cachette le soir en rentrant du bureau et dont elle glisse les tapuscrits sous sa baignoire, trop timide et manquant de confiance en elle pour les envoyer où que ce soit. En la supposant morte et devant par conséquent vider les lieux, ses enfants, mettons, trouveraient les tapuscrits mélangés, pages non numérotées ‒ acte manqué ou volontaire ? ‒ différents titres glissés sur un document distinct, avec en prime à décrypter sur les bords et les bas de chapitres laissés en blanc, le langage dentelle des larves et insectes rampants et volants, rivalisant avec celui de différentes variétés de rongeurs, le tout à remettre en ordre, tel les puzzles acharnés de leur enfance, exercice monopolisant dès lors toute leur attention et dont le résultat final semble être le suivant : un livre écrit majoritairement par les insectes, à faire traduire et rapprocher du titre, De l’impossible jouissance des hommes, insectes et sexualité, quelques exemples aboutis. Un livre d’une centaine de pages pratiquement illisibles, Les désarçonnés du temps. Un livre à réécrire complètement correspondant vraisemblablement à, Vingt quatre heures de la vie d’un éclat de rire en forêt. Une nouvelle, Fais le mur et tire-toi, où ça ? Un livre plutôt ravagé titré Gentils pompiers de la vie au travail et incidents collatéraux ironiques. Un essai du genre super sérieux à peu près reconstitué, Impasse de la lutte des places. Une enquête sur le terrain majoritairement bouffée aux mythes, J’ai même croisé des va-nu-pieds heureux, un gros bouquin interrompu à rapprocher du titre Enquêtes inachevées sur un certain nombre de quêtes sans commencement ni fin. Une petite nouvelle toute tâchée titrée Extinction originelle, un livre potentiel au beau titre racoleur, L’impressionnant effort musculaire des oiseaux au-dessus des bois. De même, une nouvelle intitulée Écorce-peau, une rencontre. Une épopée à l’air triste, Le sort du sortir ailleurs le soir au fond des bois. Un petit livre roboratif, La patience des arbres, suivi de Réveil piquant d’une forêt ordinaire. Une satyre, Glissement vers la folie du magasin d’en bas. Une pièce de théâtre au titre fiévreux, La douloureuse escalade des vers en soi. Et une autre : Jardins ouvriers et piscines couvertes, l’union fait la force. Un essai : De l’invraisemblable histoire du non sens de la vie, suivi de À l’ombre du réel manqué, sous-titre, Embrasse la langue des bois. Et pour finir un petit ensemble de nouvelles intitulé Brèves histoires d’amour de la vie d’ailleurs. Le tout bien utile pour un bon feu dans le poêle à bois.

proposition n° 39

Transformation égale éjection, de l’ancien statut de propriétaire, pionnier et même bâtisseur du hameau, de son infrastructure et viabilisation, de trois maisons successives dont la dernière, mégalo, dithyrambique, dont il va être question. Un temps, une époque, et ses quelques derniers représentants à la mine anxieuse, une anxiété cachée derrière un calme silencieux. Les quatre héritiers en rang d’oignons comme plantés. Changement radicale, clôture, agrandissement pour l’installation d’une piscine couverte, excavation de trois forages géothermiques de cent vingt mètres et installation d’une nouvelle pompe à chaleur. Plus rien à faire, dire, expliquer, transmettre, débarrasser, déménager, ranger, jeter, encartonner de la tonne d’affaires qui était là représentant une vie et plus, plus rien à faire sinon regarder démarrer le chantier et resté planté là comme si on retardait de partir pour observer jusqu’à pu soif, s’activer les hommes gantés, casqués, voir d’autres conquérants venir s’emparer du territoire, l’occuper, le transformer. Transformation éjection ; comme si l’on voulait faire remonter un à un les souvenirs de l’ancien, du premier, du précédent, son propre chantier, si vieux déjà et ensuite quant à soi partir, tourner la page de béton, nouvelle quête, la sienne propre. Les camions ont monté la côte. Bien plus des trois tonnes cinq autorisées. Toutes spécialités confondues pour venir excaver sur le côté ouest, forer derrière au nord. Trois trous de cent vingt mètres chacun comme si le hameau à la paix souveraine conférée par ses bois et par les années, était soudain parti à la conquête du pétrole, reparti en réalité à celle de la chaleur terrestre, lancée derrière des camions à sonde et des hommes en combinaisons venus d’une autre planète, de nouveau livré à un retournement métamorphique de la maison emblématique des lieux, retournement atteignant les lieux eux-mêmes. Sans compter les arbres abattus pour gagner en étendue et en lumière, deux chênes et trois bouleaux côté sud et un hêtre côté nord, qui s’étaient écroulés, morts, séparés de leurs frères par les racines, répandus de toute la largeur de leurs torses et de leurs membrures et débités aussitôt, plus facile à expulser, embarqués pour une réutilisation escomptée, sans même le moindre merci. Vieux arbres, hommes à la vie mouvementée que les arbres inspirent, pour la bonne raison non dite de leur évolution parallèle, qui aurait bien due se fondre l’une dans l’autre, pense sans doute au moins deux des héritiers droits debout plantés là, suivant les mouvements des bûcherons. L’une et l’un. Ne se parlent pas. Regardent. Trop de mouvements plaqués sur d’autres à l’intérieur de soi et qui ne se pénètrent pas, se superposent les uns sur les autres. Là dans leur cœur est le vieux patriarche, qui observe lui aussi, du fond du gris de ses yeux, la lèvre inférieure venant constamment chevaucher la supérieure, dans un tic nerveux. A leurs oreilles remonte le son de ses dernières recommandations. Une différente pour chacun qu’ils gardent pour eux. Le bruit des machines emplit l’atmosphère terrestre, là sous leurs yeux, surpassant tout et accompagnant le mouvement de chaque homme au travail. La terre rejetée par la pelleteuse côté ouest est constamment ratissée sur les côtés par plusieurs des ouvriers en place, vigilants. Et lui et son amour des ouvriers, lui qui a toujours présidés à tous les travaux, les anciens travaux, lui qui se considère l’un des leurs, les regardent faire exactement comme il devait regarder faire ses camarades de chantier, lorsqu’il était gamin, et qu’il apprenait l’intégral du métier, usant de toutes ses forces, fièrement, sans ménagement, au côté de son père, président de la société de travaux publics, et de construction, qui l’employait. Et elle, contemplant en silence ‒ tiraillée en tous sens par tout ce qui s’exprimait au travers de leurs corps empesés, aux quatre plantés là, devant, raidis ‒ la disparition ainsi programmée, dans le bruit des machines secondées par les gestes des hommes casqués, non seulement des oiseaux affolés par les sonorités polluants leurs signaux vitaux, mais aussi de l’esprit de sérénité collective commune, [elle, souriant intérieurement à l’énoncé silencieuse de ce mot, sérénité, employé si fort ironiquement par le poète belge l’Harmonica sur ce même texte, mais là réellement à sa place] qui s’était installée, cette sérénité, au prix de beaucoup de temps et d’efforts, au milieu de la ville arbres ‒ comme elle aimait à l’appeler alors qu’il s’agissait d’un simple hameau dépendant d’un village du bas de la colline ‒ découverte, ouverte et consacrée par une sorte de chef de tribu indienne sous ses allures d’homme du Nord, poète et bâtisseur, rêveur impénitent jamais chez lui nulle part.

proposition n° 40

Il faudrait aller tout au fond du hameau sur la colline à l’ouest après la dernière maison, pour y trouver la fin brutale d’un monde habité où se perdre, dans la forêt de chêne, de bouleaux et de hêtres qui surplombe les villages alentour en les encerclant. Mais qui voudrait exister là, à part pour y cueillir les champignons au cœur de l’automne et chasser les animaux à grands coups de fusils débordant sur les champs ? Comme il voulait faire visiter les environs au nouveau venu, un peu plus qu’en lui montrant le passage pratiqué tout le long des maisons, d’ailleurs interrompu à différents endroits par des habitants qui se l’était approprié en faisant passer leur clôture par dessus, – passage censé à l’origine tourner autour des habitations en escargot sur le plan masse – ils s’étaient néanmoins aventurés dans la forêt, tout en décrivant un quart de cercle direction nord, pour ressurgir à son confins côté cimetière, c’est à dire au point de démarcation de la limite la plus notable de la ville. Cette marche impromptue leur donnait soudain du temps pour se parler de leur domaine respectif, agriculture et construction. L’un soutenant qu’il était irréaliste d’imaginer parvenir à corriger le tir en généralisant une agrologie respectueuse des sols, et l’autre que c’était juste une retenue d’ordre politique à court terme, rendant inutile tout échange sur la question, en dehors d’une invocation utopique à un quelconque militantisme révolutionnaire de masse, or donc que les humains ne donneraient leur vie pour la cause qu’en cas de nécessité absolue, comme pour une guerre mondiale, et que dès lors il serait trop tard ; l’autre rétorquant qu’on allait encore tenir longtemps sur la frange, que celle-ci avait la bordure résistante et que même si on croit voir l’histoire se faire on ne la fait pas et blablabla. Tout en ne refaisant pas le monde ainsi, on était arrivé devant le cimetière. Le nouveau voulu rentrer jeter un coup d’œil. L’autre lui montra la tombe de ses parents, puis celles d’anciens maires et curés, personnalités des lieux vaguement encore en mémoire. Le cimetière une fois fait, comme on dit qu’on fait telle ville ou tel musée pour se rendre en visite sur tous lieux ou sites en bon touriste visant l’exhaustivité et cochant son prévisionnel, on se rapprocha du carrefour principal signalant l’entrée du village en face, et celle du hameau sur la colline à droite. Et ce faisant, on longea le champ de l’éleveur où broutaient une partie de ses vaches d’un côté, ainsi que le mirifique et gigantesque dépôt de pneus de l’autre, lequel dégageait une odeur indéfinissable lorsqu’elle se mêlait comme aujourd’hui à celle des pesticides étendus par les paysans sur les champs au-delà de la ville, odeur gentiment apportée jusqu’ici par le vent. Il était partagé intérieurement entre un reproche furibond à se faire, d’avoir amené son acheteur en ces lieux contrastant manifestement avec la beauté du hameau boisé sur la colline, et un éclat de rire libérateur, bienvenu en cette période troublée, éclat de rire qui lui était par nature inhabituel. Ce n’était pas lui, c’étaient eux, c’étaient eux comme indépendamment d’eux-mêmes dans le cours de la vie, qui avaient concocté cet épisode insolite et finalement – alors qu’une multitude d’oiseaux attirait soudain leurs regards, chacun éclairé d’un côté comme une lame de rasoir captant la lumière du soleil couchant, ensemble mouvant et fantomatique, soudé mais informel, atterrissant lentement sur le champ où les vaches paissaient et le remplissant pour s’y nourrir – il s’abandonna à ce coup du sort en le prenant pour ce qu’il était : une autre façon de faire apparaître aux yeux de son acheteur la nature de ce lieu, ce dont au fond l’autre ne devait pas douter un seul instant, du fait de ses origines et de ses activités et nonobstant sa fortune faite : un lieu où se côtoie un monde majoritairement agraire et artisanal, se distinguant les uns des autres par la fortune d’un faible pourcentage de riches agro-industriels ayant réussi, d’artisans aisés, et la pauvreté d’une population d’anciens ouvriers et ouvrières salariés croupissant au chômage et votant l’extrême droite du moment.

proposition n° 41

Bien se caler il s’entraîne [1]. Peut-être elle aussi. [2]. Attendre, ne rien pouvoir faire. Ici comme ailleurs [3]. Ici, dans cette « voluptueuse banlieue » [4] du fond d’un stand by bétonné parcouru de frémissantes lézardes [5] favorisant la contemplation [6], de la place commerçante où elle ne vient pas pour déambuler dans des micro-buts précis et fonctionnels [7], mais pour s’asseoir et offrir tous ses sens à l’attente [8], à l’éclosion d’images de la ville dont la porte pourrait s’ouvrir [9], cette ville où elle s’est trouvée enfermée par la force des choses [10], toutes les choses qu’on n’entend pas nous parler et pourtant elles nous parlent [11]. Le banc au milieu de la place, accolé au parterre de plantes « défense de », et même une petite table de pierre comme si on pouvait y travailler, écrire, par beau temps, en regardant les habitants s’affairer [12]. Toute cette bourgeoisie banlieusarde huppée, au charme discret et sourire affable [13], venant faire ses courses et prendre un café, se retrouver, parler, s’occuper, fière de sa sociabilité organisée, son réseau de surveillance « voisins vigilants » [14], sa maréchaussée hautement montée sur d’intrépides équidés [15], sa participation à la politique locale, son fond de roulement, l’entretien assidu de son environnement, ses travaux d’amélioration de tout crin [16] … Rien, ne manque rien pour une petite vie paisible où la quiétude en famille une fois la porte fermée, n’est bousculée que par son vide grenier annuel, et sa fête des voisins par secteur ; tout va bien. La petite ville où il fait bon vivre. Ici, on est raciné comme de la mauvaise herbe, dont on distrait son jardin le week-end dans un grand bruit de tondeuses se relayant. Vivre au chœur du fortin [17]. Attendre la Vita Nova à la manière d’un chat [18]. Voir comment le lieu bouge et décline autour d’un corps immobile [19]. Attendre sur ce banc communal bras écartés, jambes croisées et parfois sentir le corps qui se resserre et les mains qui viennent prendre la tête et frotter [20] puis, comme dans un hamac, se balancer et écrire une clé ou deux pour sortir [21], sous le regard esbaudi, bouche grande ouverte, d’un blondinet qui ressemble à une chouette, planté là debout comme un attrape-rêve [22] accroché à un saule pleureur [23], celui d’un jardin qui n’attend plus son partenaire locataire grimpe en l’air maître du vent, mouche insolente toquée pas comme il faut, a pris la poudre d’escampette [24] à tire d’ailes sous la pluie acide de la ville, la fausse ville de pharisiens diplômés dont on ne trouve pas la porosité des dedans-dehors, intérieur-extérieur, public-privé [25], la petite ville à l’unique mendigot d’Europe de l’Est pas SDF, juste sans emploi, admis à s’asseoir, certainement pas à recevoir, parce que les temps sont durs et que c’est immoral [26]. La petite ville qui appréhende tout envahissement en laissant fièrement de côté l’avenir de ses ruines et de son lent enlisement.

proposition n° 42

ENTRE LA 36 ET LA 37

De retour chez toi, tu te coules un bain et tu flottes, laisses filer la pensée délestée, toutes parois ouvertes tu respires. Les uns, les autres, les délicats, les violents, les premiers degrés, les seconds, et même ceux qui ne se souviennent jamais de rien sont là, derrière les portes ouvertes, ils sont là bras ballants comme des idiots à se demander où ils vont aller pour profiter de cette aubaine de sortie à l’extérieur. Les plus audacieux font un pas en avant et entraînent les autres qui se rapprochent tout sourire. Il s’agit de s’en retourner de l’autre côté du pont, de l’autre côté de ce territoire figé comme le pâté tremblotant dans sa gelée qu’on vient de leur exhiber dans la salle de direction, aux yeux et à la compréhension. Ils vont le faire, ils en meurent d’envie. Poussez pas derrière, y’aura de la place pour tout le monde dans la montgolfière ! Et celui qui a la mémoire courte qui est entraîné contre l’effet de sa volonté par tous les autres, inséré dans le bloc des penseurs libérés et obligé d’embarquer ! Non, attendez, vous êtes fous, non, nous ne devons pas, c’est pas vrai ! Pas le voyage à reculons dans le temps, on doit aller de l’avant, dans le futur tout tracé droit devant ! Selon un mode cartésien et linéaire pour être un temps, un tant soit peu entendu ! Mais les autres le font taire en voiture sinon ... rappelle-toi Bar Abbas, de tous ces tournants mal pris, chacun peut aider à visionner, à expliquer, ce qui s’est passé pour que se mette en route petit à petit, tirant de l’ombre vers la lumière – si jamais mémoire courte voulait bien arrêter de brailler ! – le lubrificateur de souvenirs, l’aérodynamisme des particules, la leçon de choses du passé, la secousse temporelle, pour que le tout se remette en route et après dodo, drogue écriture action, laisser passer ça va zoomer sur un instant clé, nécessité d’avaler.

ENTRE LA 37 ET LA 38

C’était un moment très émouvant vous en conviendrez. Tous opinent, graves, du bonnet, s’efforçant néanmoins de n’en rien laisser paraître. Mais vous avez participé vous aussi ? Ne niez pas ! On vous y a vu, fureter partout comme les autres, alors vous avez beau jeu, de venir maintenant balancer le balancé à travers les murs ! Quoi ? Vous dites quoi pour votre défense ? Rien de tout ça n’est de vous mais de l’écriture ? — Oui, c’est cela, c’est de l’écriture, un étroit mélange indissociable de vrai et de faux, qui glisse inexorablement entre les doigts même si ce glissement est parfois suffocant, surtout avant, avec une sensation de recevoir un coup ou même plusieurs, dans la mâchoire, pour inciter à se battre, contre elle, non je veux dire avec elle. Avec des temps d’arrêts dans les cordes sur le ring, ou en marchant debout de tout son long de long en large du ring, débordé de désir d’allumer de frapper, mais aussi assis abattu les bras ballants sur un tabouret dans un coin, vidé, éperdu de désir de tout oublier, s’échapper, fuir mais impossible. Tous les autres regardent et nous hurlent dessus nous acculent allez vas-y frappe-la, cogne, vas-y cogne-la cette saleté, alors qu’on aurait envie de la caresser l’étendre là par terre et la lécher lui lécher le sang de toutes les coupures qu’on lui a ouverte et la caresser l’aimer, lui faire l’amour et elle, elle se mettrait tout à coup à marcher dans la combine et elle et moi on s’en foutrait des autres qui comprendraient pas, on les oublierait et leurs cris à nos oreilles qui s’estomperaient, esclaves, vous n’êtes que deux esclaves, interdit de vous barrer de fuir, faites ce qu’on vous dit pas ce qui vous passe par la tête ça c’est bon pour les enfants et les fous à la rigueur mais on en a enfermé pour moins que ça et puis si vous voulez une vie de chien après tout c’est votre affaire mais vous viendrez pas pleurer derrière avec votre écriture vous tenant par la main et ce dont vous allez accoucher, ou pas, ensemble !

ENTRE LA 38 ET LA 39

Non, absolument pas ! Seul horizon possible, bleuté, se fond dans le noir de ce qui vous entoure et l’irradie, le perce d’une lumière infiltrée, minuscule, tenace, la radicalité ! Aiguille d’un tu trembles carcasse, tu tremblerais bien davantage encore. Avec option dure comme fer pour le dynamitage du pont et l’embarquement de miss danger à son bord. Erreur pour erreur, broyer les certitudes dès démarrage du chantier. Regardez ! Le trou à ciel ouvert est ouvert, béant ! Se tenir devant un certain temps, le temps qu’il faut, sans même récapituler les mots ni les pas ni se figurer les directions ou les hypothèses. Rien d’autre que partir de soi-même avant l’expédition par la vie même. Et robotiser son intérieur, bien tout récurer et frotter car tout doit disparaître de ce qui s’écrit, sous toutes formes, qu’il convient de ne pas cesser de faire réapparaître, ardoise magique tendue vers un ciel dense et une terre en stress hydrique, qui enjoint en réalité non de profiter/savourer mais de – déjanté pour déjanté du temps qui ne s’écoule plus –, prendre les devants par plongeon dans la mythologie moderne de la vitesse jusqu’à n’avoir plus une goutte de carburant autre que celui émanant de sa substance propre. Et tu verras tu rigoleras. Alors, écoute tes voix et vite, tes clics et tes claques pour la route, brouillée comme les œufs dans la poêle pour ne plus rien reconnaître de tes représentations, n’en avoir aucune, les images ne sont pas de toi, elles sont le sang, la chair, les os, les organes, jusqu’à disparition et relais. Garde les tant que tu peux avant de les jeter dans la malle : les images des arbres qui grandissent, plus fort que la ville même pour s’implanter dans la mémoire.

proposition n° 43

Après toutes ces pirouettes, appuyons sur pause et voyons ce qu’il reste de chemin à parcourir de la drôle de ville à ses habitants représentés par elle et son il. Beaucoup plus qu’on ne croit. La ville arbres est une construction réelle mais son bâtisseur s’est laissé débordé par son rêve ce qui a tout fichu par terre, il s’est cassé le bout du nez. D’un autre côté, il a eu cent fois raison – la raison n’ayant rien à voir dans ce cent fois là mais le goût des choses et la folie dansante – de s’être laissé emporté par son rêve, construire autre chose que de la morte vie. Et tant pis si le rêve se brise en morceaux, vase chinois de porcelaine malencontreusement bousculé, énigmatique flèche brisée sur les feuilles sèches épars de la forêt ; tant pis si le pont est coupé, le sens perdu pourvu qu’il ait vécu. Après ça la route en zigzags n’apparaît plus aux yeux du il qui abandonne sa propre construction disparue vendue dans son dos – pour info, personne n’a mis le feu à la maison, et on l’a lui, imaginé refuser de signer, rester, s’implanter, partir, revenir, aux grès des courants traversés –, ni aux yeux du elle dont la ville est en couverture cartonnée avec des corridors, des pièces et des portes en papier qui n’en finissent pas de s’écrire, qui a plus que son mot à dire dans son labyrinthe enfermée. Dedans, elle rêve de passes à travers les arbres à travers les mots, passes bruyantes débridées goûteuses et odorantes, elle ne voit rien d’autre comme si sa ville contenait le monde. Et tant pis pour le quart de quart de lecteur abandonnant le parcours, éreinté, et tant pis pour le livre puissamment noyé qu’un pêcheur à la ligne ramènera un jour en jouant de l’épuisette au bord d’une rivière au lieu d’une carpe pour sa majesté. Et les vers dans l’histoire ? En l’honneur de la micro vie de terre qui grimpe dangereusement dans les arbres pour saluer les oiseaux. Plus de moineaux à Paris comme sur le balcon de ma tante lorsque j’étais petite, à cause du bruit, on les a perdu, comme on dit qu’on perd un amour, un ami, un proche. Et les arbres sont grillagés. Le sujet construire une ville a-t-il été effleuré, effeuillé, défloré, débusqué ? Pas sûr. Comment faire si rien de plus solidement humain ne le leste, à un quartier, une place, un café, un mange-camion, qui sert des frites à des humains plantés autour non pas faisant la queue mais en tas, regroupé, une bière belge à la main, lâchant des mots humains, un tant soit peu chaleureux où s’ancrer par intermittence ? Une place toute simple posée là avec ses vendeurs ambulants, la roulotte et son four à pain, le marqueteur ornementaliste et son établi, la friterie pourvu qu’elle soit bonne, approchez, comme un décors de théâtre où se joue la ville vie pas destinée à rester mais partir, une page arrachée au temps qui ne passe pas, qui passe dans la main, la suite, la suivante. Et s’éloigner de la déconstruction, de la scierie, avec ses chutes d’arbres coupés s’effondrant dans un bruit sourd sur la terre lourde creusée par les vers. Il reste à se diriger d’un pas lent vers la reconstruction – comme d’un Rouen après guerre – où quoi comment quand ? Maintenant.

proposition n° 44

Lirécrire de chez soi en grands petits coups de déplacements figurés, marches délicates et ciselées de pleins pieds dans une temporalité éclatée de mots grossis à l’œil nu. Les oreilles râpées de la maison minuscule des sons, pile dans une profondeur légère qui soulève le désir d’écarter les contours repliés de la feuille pour examiner les nervures où les regarder s’agiter, les mots, dans leurs combinaisons de tabliers retenus et de corps émergeant des mots et les mots corps à corps innervés poussant en accéléré devenant minuscules à géants. Des plaques croûtées acérées qu’on rêv’lit en se laissant piquer tout le corps par l’essaim de mots protéiformes est-ce mortel ? Et voir comment les doigts maigres des chemins raides ânonnent leurs griffons resserrés qui fondent l’essence d’un rire en soie dépareillé du monde de la vraie vie, pour venir s’asseoir ici, se reposer respirer sentir s’endormir dans le calice crû de l’œil à chaque pas ouvert et son avancé en une cour de ferme où les choses se font et sentent. Le tour du monde est joué et se respire dans la disparition du monde alentour et l’apparition quasi miraculeuse d’un autre bien que le nôtre sous une autre forme, à déguster dans sa minutie pulvérisée. Les papillons ont retrouvé leur couleur alors qu’elle n’existe plus que dans leurs souvenirs. C’est le mot qui fait la couleur volute éclosant sous les yeux des doigts redevenant enfant ou bien magicien au tableau effaçant le bonjour de tristesse en lui donnant des formes multiples par exemple une impossible à ravoir pour une fonction précise. Sur quoi écrivez-vous ? Sur rien du tout sur tout ça s’écrit précipité beau chimie et les uns précipités et les autres écartés évaporés qui n’ont pas besoin d’encombrer le récipient mot, précieux lui aussi, à rationner sur le radeau des corps exactement dessinés. C’est la forme des mots qui fourmille le sujet donné, comme trois points s’exclamant et la tornade souffle s’abattant sur ceux gommés, dégommés qui s’effondrent dans la poussière du sol ; ils décident. Ou du moins ils suivent le cours de leur vie comme nous autres, indépendamment. Ils sont autonomes les micro et s’il pleut sur eux dans la ville-vie, ils ont d’eux mêmes le dernier mot. Mais ont besoin tout comme nous au moins d’une colline où se poser pour atterrir avant de disparaître. Ils mettent du temps à s’effacer. Parfois ils sont explosifs en giclées minimalistes de terribles éruptions volcaniques de crottin de cheval et de cascades de pisse. Ils ont sûrement grièvement colonisé leur porte-parole, grillés ses neurones et se sont adjoints à ses bactéries. Il n’y a rien d’autre à faire qu’attendre les irruptions à venir pour sentir le vent voir venir. Ça aide par rapport ; à tout le noir vomi qui nous enserre.

Lire écrire en voiture, en roulant la tête emportée dans un mouvement incessant et les images défilant et défiant le temps dans l’ivresse de la vitesse et parfois quelques notes vocales pour se rappeler ce dont on vient de se souvenir mais qu’on ne comprendra jamais seul et comme si ces choses posées là par la lecture écriture, de façons énigmatiques et précises à la fois, empruntant à l’art classique dans lequel sans doute on a baigné, à un art populaire dont on se retrouve pétri, à la poésie matrice où l’on vibre, à l’écriture expérience de réel à laquelle on adhère, et voyager en lisant écrivant, pas d’autres moyens répertoriés dans cette ville renfermée où tout incite pourtant à la libération, long labyrinthe écrit en bruns et verts nature de la ville vie construite de toute la force de ses sens en action dirait-on, qui semble toujours aboutir à la même impasse et la même obligation d’avoir à faire sauter un mur pour continuer d’avancer. Long labyrinthe par la distance parcourue en forme de spirale faisant revenir au point de départ et dire et répéter qu’il faut péter quelque chose une ouverture, obsession de l’ouverture clairement poursuivie ici bonne chance. Écriture moyen fin.

À la gare avant de se jeter dans le train pas beaucoup de temps, alpaguer un polard ou truc dans le genre noir à se tordre des villes du Nord histoire de remonter le temps à sa propre source et se plonger pour oublier dans une autre vie se déroulant activement toujours pareil à répétition revenant en s’amplifiant comme une chanson de gosses dans le bus où on répète tout plus une et à chaque fois plus une mais c’est quand même toujours tout qui revient en boucle. Un qui donne envie de goûter à cette non vie qu’a ses avantages somme toute, qu’on échangerait un temps avec la sienne mais pas possible faudrait échanger l’enfance pour bien capter. Alors se contenter de ce qui vous est donné lire emprunter un moment pas se coller dedans ou faire venir tout ce monde dans le wagon pour discuter un bout parce qu’on a faim et soif et que faut pas délirer on est dans un bouquin à la rigueur dans un atelier d’écriture sur le net on se voit pas touche pas en vrai c’est comme un supplice de Tantale aggravé. On s’échange des villes donc des vies à s’écrire les uns les autres et c’est tout. Faut respirer et rester serein malgré le tourne boucle. Tiens, prends un carnet vert, un stylo, un ordinateur minus et écris pour te calmer tu verras ça marche écris ta ville et fous-nous la paix. Qu’est-ce que ça peut te faire de savoir si toutes ces choses écrites existent ou n’existent pas écris et tais-toi et passe de la phrase morceaux qui se jettent sur l’écran pour commencer à la longue qui n’en finit pas sans regarder c’est important. De toute façon toi t’es bien tranquille dans ton train tu te tires ailleurs tu sais pas où mais c’est pas grave t’aurais mieux fait de prendre l’avion dans ces cas c’est plus efficace.



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1ère mise en ligne 12 juin 2018 et dernière modification le 30 septembre 2018.
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[1ce qui n’est pas sans traduire une certaine appréhension de la chute. Laquelle ? La chute. Celle de tout un chacun à sa manière

[2Ils l’auront leur vie parallèle

[3Imaginez une vie humaine figée qui ne soit plus en mouvement ou à l’échelle de celui de la vie des arbres et interrompue en plein gel car non homologuée dans la création ni l’évolution

[4de la R.P, banlieue Ouest avec tout ce qu’elle comporte d’inexistence fondamentale, reléguée à l’organisation du remplissage du vide

[5« qu’il vienne, le temps dont on s’éprenne »

[6hors du temps quand il ne reste plus qu’elle, la contemplation après l’étourdissement d’une prise de fonction aléatoire, sur l’échiquier social animateur blagueur

[7elle ...

[8comme si c’était à ce moment la fin de l’attente, quand bien même celle-ci ne serait jamais envisageable sérieusement

[9en même temps sans vivre de l’espoir insensé de se retrouver dans le temps, comme on disait de certains ordres religieux du 17ème qu’ils étaient dans le siècle

[10ou accumulations de circonstances menant à l’explosion finale, comme une mine enfoncée dans un champ dans l’attente du geste pour ainsi dire de trop, d’un laboureur innocent venu la percuter

[11d’où la nécessité de les contempler dans leur existence propre

[12sachant qu’aucun ne s’arrêtera jamais pour engager une quelconque conversation sans que vous n’ayez été présenté

[13dès cooptation

[14dont on aimerait être informé de quelques suites et statistiques d’utilité et/ou perversité dans la gazette locale

[15qu’il faut voir bondir soudainement au galop depuis le pas ou même l’arrêt sur une hypothétique proie, le plus souvent adolescents à l’allure intruse par une quelconque marque vestimentaire ou corporelle non fondue

[16pour rajouter à la beauté carrée d’où rien ne dépasse, sans rien changer au résultat ou au contraire en apportant une organisation nouvelle encore plus appuyée dans la contrainte inutile

[17comme si on n’avait droit qu’à une minuscule facette du monde, à renouveler si on y croit, au lieu de bourlinguer pour tout s’approprier en une seule fois d’un seul coup d’un seul comme certains surhommes

[18dont on n’attend rien que la douceur d’un pelage à brosser voire la survenance d’une pisse à nettoyer

[19dont l’intérieur grouille en tous sens jusqu’à s’annihiler en surface, comme le dessous d’un océan magique et terrifiant

[20à la manière d’un ours frottant son dos contre l’arbre pour calmer les démangeaisons d’un monde envahisseur, à l’aise dans sa fourrure

[21Sortir avec un s majuscule comme acte suprême

[22farci de rêves fiévreux et aventureux d’humain congelé en mal d’aventures

[23compagnon biface aimant et malfaisant dont jamais, jamais on n’acceptera de se séparer

[24sans laisser de trace ni donner la moindre nouvelle, tant il est parti loin, très loin aux confins de tous les autres mondes

[25leur gage ultime d’organisation efficace et d’ordre parfait en lutte contre la vie elle-même et son expansion foutraque et imprévisible

[26il finira de guerre lasse contre l’indifférence mortelle par préférer ne plus venir s’asseoir et partir lui aussi