Milène Tournier | Devecey

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Milène Tournier est l’auteure, pour un clan grandissant de passionnés, d’une oeuvre texte et vidéo proliférante et totalement novatrice, pour l’instant à suivre uniquement sur sa page Facebook. FB.
proposition n° 1

On revient, on revient c’est par les escaliers. Le petit moulin du jardin tourne, il ne sert qu’à tourner, et montrer le vent, que c’est du vivant, pas en photo. On revient, on a garé la voiture devant. C’est l’entre temps qu’il y a, entre les choses et revenir, entre l’arrière de la voiture et avoir grandi, avoir grandi tellement qu’on a le permis. L’allée du garage, qui descend. Le jardin, qui fait le tour. Les escaliers, qui montent, pour l’instant. Ça y est. Elle a posé sa main sur la rampe qui mène à la terrasse, elle est la petite fille. La fille du père, celle du fils de la maison. Elle revient, c’est juillet, c’est juillet comme chaque année et comme toutes les vacances. Juillet d’ici dans le plein oubli de bientôt septembre, d’à nouveau les longs matins, le gris, les froids. La chaise en plastique blanc, à côté de la table que recouvre la nappe, la chaise en plastique mais indépendante de la table, une chaise pas pour manger, une chaise à lire et tricoter, une chaise à ouvrir le journal, à caresser le chat, et une table à poser les lunettes, à poser l’avant-bras. La terrasse, boucle d’oreille de la maison. Les géraniums à affronter les montagnes, et les belles lettres du nouveau Super U, à se dessiner dessus comme si Hollywood, Hollywood à soudain Devecey. On revient, et puis on repart, c’est pour faire la mer, il n’y a pas la mer, ici. On repart, le taxi nous a attendue. On repart, à 110 kilomètres heures, comme recommandé sur les routes de campagne. On repart, on a quatre ans, à l’arrière du taxi, mi-juillet tout ça d’été, et les yeux sur le fil électrique qu’on dirait bien que c’est toujours le même morceau de caoutchouc qui vient avec nous dans la vitre dans la fenêtre, comme parfois en ballades les chiens inconnus. Besançon Viotte, Madame.

proposition n° 1

Un verre de jus d’oranges maigre, acheté au Super U tout près pratique. Une belle entame de brioche au beurre, dense à la base, et puis qui éclate en joyeuses collines et boutons d’or, elle aura gonflé dans le four, poussé par-dessus la tôle du moule, l’enfant qui se penche à la rampe sur le bateau pour voir et toucher la mer. On la tiendra, pogne et torchon, à son extrémité, pour faire au couteau de belles tranches de mie jaune et filante à déchirer aux doigts. Les chaises disposées autour de la table, pas rangées contre ni déjà basculées sur pour bien le balais et ramasser les miettes, les chaises en action, à juste ça de la table qui laisse supposer qu’il y a d’ordinaire ici des corps, celui, énorme, de la grand-mère, sa jambe droite tendue en travers à faire sous la table un cinquième pied, et celui du grand-père, à pas bien décider s’il faut ce matin pester ou s’attendrir du chat roux encore venu sur ses genoux et qui l’empêche de bien se servir. Le cil de l’horloge comtoise bat dans son coin, à dire que c’est le même monde, depuis toujours. Il restait une brioche dans le congélateur. La grand-mère en faisait l’hiver pour de quoi l’été, une à une et pis congelait. Les images et les gâteaux restent, après les corps. La brique on l’a achetée nous, au super u tout près, pratique c’est vrai. Pourquoi revenant dans l’image c’est revenant comme belle fille, dans ce tact-là des belles filles à faire près des hommes dans la maison d’enfance les gestes des mères mortes, et dans l’inclinaison douce d’y adjoindre leurs façons, et par exemple les tranches on les fera plus fines. Pourquoi revenir dans la pièce après les corps, revenir dans l’image alors, c’est revenir dans des délicatesses de belle-fille ou de narratrice, de par exemple pas sortir la petite motte de beurre avec la brioche, yen a déjà assez dedans, mais plutôt la confiture celle avec sur l’étiquette le nom de l’année et puis "reines claudes", et de passer mon bras dans le dos d’un mari, silencieusement, avant de lui demander tout doucement "est ce que tu sais si ta mère avait d’autres sacs de course ?", et de gentiment m’activer pour trier dans la cuisine ce qui se tient et ce qui ne se garde pas.

proposition n° 3

Quand on aère, on entend bien la petite circulation, le rond-point un âne à répartir ses charges, entre qui va vers la grand-ville, vitres baissées, l’air chaud d’été à s’engouffrer dans la voiture comme chat qui frôle jambe de pantalon, France Bleu Besançon, fruits fête et fleurs, et qui va au village, et parmi ceux-là qui y vit, qui vient seulement pour le beau Super U tout neuf, pratique, et qui pousse un peu jusqu’au cimetière, pratique aussi. Les belles lettres bleues SUPER et le U rouge, à se détacher sur la montagne derrière qui fait fond, comme si le titre d’un film. Quand on aère c’est ce tout ça de la grand-ville qui se rapproche soudain comme une main dans le dos de l’horloge comtoise plantée plein juillet dans la pièce dans la maison dans le village dans la France. Quand on aère, la ville accoste, rue de bonnay, rue de Vesoul, N 57, rue de Belfort, dans cette consanguinité là de donner aux noms de route des noms de villes, pour que les villes soient importantes, qui ont leur nom qui ont leur rue, et que route de chatillon, pour chatillon le duc, n’ait, après tout, rien à craindre ou envier des superbes routes d’espagne. C’est sur le rond-point qu’il y a peu les villageois, une soixantaine, ont refusé l’implantation de ce qui aurait dû être la plus grande usine de méthanisation de France, à Devecey, et pourquoi pas les déchets nucléaires à Devecey, sous le petit moulin du petit jardin ? Dans le Grand Besançon comme on dit Grand Paris, le grand besançon pour pas dire le minuscule devecey, qui doit tout à son super u comme dans les contes une jeune fille pas futée doit tout à son père, sa richesse, sa beauté, et passe une belle vie, sans s’apercevoir jamais qu’elle lui doit tout, que même être debout c’est lui qui tient derrière. Quand on aère, on est moins sur une île, chat roux, tricot, aiguille longue, panier à pelotes, et lignes de potager à s’étaler derrière le grand-père comme se rangent, modestes, un à un les instruments derrière la belle chanteuse de cabaret et dans son ombre. Si on se réveille la nuit, et qu’on vient coller son dos nu à la vitre un peu fraiche de l’horloge, sentir le temps battre dans le dos, comme une main lourde et calme de médecin qui fait respirer, qui écoute comment, si on se réveille la nuit, et qu’on se lève, comme les chats et comme les enfants qui tremblent sans rien dire aux parents, si on se lève la nuit et qu’on regarde par la fenêtre, la petite station drive essence du super U a des airs d’aéroport, et s’il y a, dans le monde, des extraterrestres, s’il y a grand besancon grand paris grand univers, d’autres humains que les humains, c’est sans doute là qu’ils viendraient atterir, route de bonnay super u de devecey.

proposition n° 4

Et immanquablement, alors que la sortie nice nord de l’A8 venait d’enfin nous déposer, comme une cuillère, entre les tours HLM de la cité batéco, le père faisait la blague : « Vain dieu, vlà Devecey », et cela sans doute aurait pu être un jeu, un de ces jeux de voiture, pieds nus vitre baissée et longs trajets, de soudain superposer le très calme de devecey, ses 14 h immobiles comme le silence qu’il devait y avoir dans les bocaux du grand-père, entre les haricots dressés debout sous le joint caoutchouteux orange à faire le vide dans le bocal, à mettre du rien du tout du même pas d’air dedans, et la présence impressionnante des blocs batéco, les balconnets montés serrés les uns sur les autres, dans une densité démente et c’était, si on y pensait, tout à fait étrange que les maisons bercées du balancier égal des horloges comtoises répondent au même besoin que les barres d’immeubles, d’habiter quelque part, de ranger le temps au moins de la nuit un par un les corps des humains. Entre temps, entre devecey et bateco : des largesses d’autoroutes, les serres en demi cercle, les succinctes collines, les longues et plates granges à surnager les plaines jaunes, les superbes diagonales de tragédiennes des éoliennes, le tendre des tout petits cimetières carrés pleins de tout petits morts carrés auxquels avaient mené de petits chemins de dessins, le très sombre parfois d’un bosquet, la répétition des champs et l’alternance blé maïs… On aurait parfois fait le jeu, le jeu de voiture, de quitter l’enroulement du ciel, la grande toile parachute à boucler finir l’image, pour se livrer à la petite hypnose d’éperdument suivre la danse des fils électriques, qui s’écartent et se rapprochent, torsadent et alors que bien sûr l’on sait, c’est le paysage derrière qui bouge, change, avance ou recule, et les fils, eux, ne font que poursuivre une même ligne, mais l’on se serait longtemps abandonné à la fièvre de savoir une chose et d’en voir une autre, d’en croire, alors, une autre. Entre temps, entre devecey et bateco : la nuit à tomber dans le ciel, et peu à peu sur le paysage et qui finalement s’engouffre dans la voiture, comme dans les contes une femme fait du stop sous une pèlerine, dans le froid le noir, et c’est la mort. Entre temps : les voix utérines du dedans de la voiture, celles ventriloques, pleines d’ouate, de la radio, celles, devant, du père la mère, qui presque appartiennent au défilement du paysage, le père la mère qui sont peut-être, d’être à deux, d’être à l’avant, d’être longtemps, d’être épaule contre épaule et le paysage entre comme un enfant, qui sont comme une route comme une mer, une route qui garderait tout ce qu’elle a fait surgir et apparaître, qui emmènerait avec elle, sur elle, tout son au fur et à mesure, et sans rien perdre jamais, une route sans mémoire et sans perte alors, sans huile chaude à fuir du moteur par le bas, une route comme juste une longue description, une route comme si grandir c’est de plus en plus d’images et des souvenirs à se coller monter les uns sur les autres comme balconnets et faire une tour à mille étages et finalement tomber tout plat d’en haut, tomber tout plat, en bas, plat comme mourir et plat comme les paysages quand on est très loin, et que les maisons, alors, deviennent des images, l’épaule père et l’épaule mère des personnages, plus plats que des haricots de bocaux. Entre devecey et batéco, entre les au-revoirs par la fenêtre du grand-mère de la grand-mère, encadrés comme si déjà une photo, et la blague du père à batéco, l’horloge du salon avait dû tanguer huit fois. Entre devecey et bateco, sortie dôle montbéliard dijon et lyon, sortie marseille toulon et nice, on a tranché le beau morceau de comté d’auxan-dessous sur l’aire de montelimar.

proposition n° 5

Au pied de son lit, la vieille s’octroie un petit confort et tourne un à un ses chaussons qu’elle place délicatement sous ses rotules, pour prier. Le ciel trame son orage juillet. M. Moutenet hésite à se pendre dans sa cuisine du bas, la vie c’est long et le pommier a pas donné, mais d’abord retire du mur les belles dames à belle poitrine qu’il découpait parfois dans l’est républicain et punaisait. La groseille le long du mur finit de lustrer son rose transparent, traite la framboise de femme à barbe. Un avion passe au-dessus, on accouche madame Vieillevie, ardèchoise la trentaine, en direction du Japon, par césarienne. Sur la table des voisins tremble le maxicosi et meurt dans le pièce du haut la vieille, la queue du chat grimpe et descend, qui fait bouger les portes. Une fenêtre claque, dans une semaine la femme demandera le divorce, elle n’en peut plus, et ils ne peuvent pas fermer les portes mince à la fin, elle devrait rester au lit, tiens, ce matin, ils verraient tous bien. Au cimetière un grand frère éclate de joie, de voir arriver une petite sœur de scarlatine et sans voir la mère, au-dessus d’eux qui pleure, et comme ses mains sont petites blanches et froides, juillet de cette année. La mouche fait des longueurs de brasse, sous la nappe. Rayons des shampoings Super U, derrière les démêlants un steack haché, la mère n’a encore pas osé ce matin, le voler, et son mari qui a besoin de fer, de fer et d’oméga Madame Bailly, a bien dit docteur bourdon. Sur la nappe dans la cuisine coule un camembert. Mars tout là-haut fatigue et dégringole, un dieu gentil la rattrape qui la lance avec le plus de force qu’il peut. 28 rue Le Chasnois, le petit Arthur s’étonne de voir arriver par-dessus sa haie un ballon rouge, son voisin le fils Tisserand sans doute, qui l’aura perdu. Un petit garçon avale un noyau de cerise, et n’ose rien dire, il touchera longuement ce soir sa petite pièce de monnaie au derrière, inquiet. Une serviette en papier se défroisse et va s’envoler. L’horloge comtoise sue, des perles nacrées sur sa vitre fragile. Une fourmi dévale le store rayé qui couvre la terrasse. La vieille râle de ne pas trouver son fémina, et sans voir qu’il est sous le coussin de chaise sous ses fesses. Une tomate pousse aux flancs. La bulle que vient de former Arthur passe désormais par-dessus la haie de Monsieur Tisserand. Au 29, les chevilles de Solange s’entortillent sous son bureau d’adolescente, et dans sa résolution de tout dire à ses parents, que son amoureux est à la prison de la butte et qu’elle a besoin, pour le voir, de leur autorisation écrite et signée, et s’ils refusent, elle partira elle trouvera bien à la citadelle, un travail, par exemple nettoyer la cage aux lions ou celle des lapins.

proposition n° 6

On fera, après manger, une promenade. Comme si l’on était dame. On revient comme reviennent dans les films les actrices, et l’on croise en fin de film des lieux traversés au début, et qui riaient. On oubliera par exemple la main au sexe qu’on a portée, chemin des criantes, d’une soudaine envie de pisser, et l’on n’osait quand même pas se déculotter et faire, effrayée par un de ces pédophiles de documentaires de villages et de vacances, de promenade toute seule toute fière d’avoir douze ans, d’avoir le droit, et puis courir pour rentrer au chanois. On pourrait profiter d’être là, pour rue des charmes l’auto-école Romeo, moins chère sans doute qu’à Paris, et plus facile ici, conduire. On pourrait profiter pour bien des choses, trouver mari et pondre, y’a vain dieu plus de places que de mômes à la pom’ de reinette, ou pour au moins, route de voray, passer chez Freddie et Louisette, se faire franger. On s’étonnera des familiarités de Super U et comment font alors les alcooliques ici, s’il leur faut chaque fois pousser jusqu’à Chateaufarine le Géant Casino ? Et quoi faire alors, à Devecey, rue le Chanois, sans permis sans mari et ayant déjà pissé, quoi faire si remontée cette fois sans les parents, dans juste le grand trou de l’été, quoi faire à part la journée sur la terrasser regarder se garer repartir les voitures sur le parking comme mouche sur vache lasse et, à peine plus loin, le portail du cimetière s’ouvrir sur la famille en grappe et endimanchée, encore tout plein de places pour enfants de moins de sept ans pleine terre 50 euros la concession de 50 ans, et à hair alors soudainement la vie, et ne plus savoir du tout, comment passer ne serait-ce qu’une journée, avec , dans chaque main, à la fois un corps et une ville.

proposition n° 7

La fenêtre est toujours là, à hauteur de jardin, au-dessus de l’évier, dans la cuisine du bas, celle pour l’été, avec sa friteuse superbe et de vielles feuilles de l’est républicain pour faire la nappe. La radio chante les mêmes chansons de juillet, à nouer grandes mélancolies et petites joies. L’été aussi, pareil, énorme, qui voudrait sur deux mois rattraper toutes les chiasses de petits matins écoliers d’hivers gelés à sortir la voiture du garage et avoir à l’arrière déjà les pieds froids. Même les framboisiers et les cassis sont là. Et les groseilles. Un nouveau chat quand même a remplacé l’ancien. Le petit moulin tourne, c’est le même vent, dans le même sens. Tout est pareil et l’on pourrait être il y a cinq ans. Tout est pareil, le temps ce n’est pas comme la neige, ça ne rajoute pas du blanc sur les choses d’avant. Mais rien n’est pareil si, passant en courant devant la fenêtre au-dessus de l’évier aucune main n’a vigoureusement attrapé la cheville, rien n’est pareil si la grand-mère n’est pas à son évier, à parfois lâcher le bout de tuyau silicone rajouté sur le goulot histoire d’aller bien tout partout, pour saisir la cheville nue qui passe devant, si la grand-mère n’est pas à son évier comme capitaine, debout, et alors qu’on sait que sans nous, sans nos deux chevilles à régulièrement passer comme reviennent dans les chansons les refrains, elle serait assise sur tabouret, à laver les assiettes sans fatiguer de trop sa jambe raide. On revient, et tout est pareil. On revient et rien n’est pareil, si manque l’empreinte d’une main à la cheville.

proposition n° 7

L’asthme du père s’entend fort, un bruit blanc à courir dans toutes les vidéos. « 09 07 2000. Devecey. Tante Aimée. Cueillette de framboises. » Le père montre à tante Aimée, sur la télé de Devecey, les images. C’est, dans la petite télé dans la pièce à vivre soudain tout le cinéma, les frères lumières le père ! Il filme, en même temps qu’il montre. C’est pas croyable comme on nous voit olalala. Oh bah dis-donc. Regarde-voir si tu ressembles à l’hubert, là, si on dirait le vieux. Oh mais c’est pas vrai, oh mais c’est pas possible… Oh mais c’est pas vrai… Et tu peux prendre tout le monde ? Tu peux prendre ton papa ta maman ? Oh mais c’est pas vrai, c’est pas vrai… T’as vu… C’est pas croyable comme on nous voit. Olalala. Oh mais c’est pas possible, c’est quand même quelque chose que le progrès hein. Pis c’est que c’est net en plus, on dirait vraiment la télé. Oh lala mais c’est pas vrai, c’est pas vrai. La tante Aimée est sœur religieuse, au couvent des Clarisses. Elle peut pas y croire, voir la cueillette qui vient de se faire, la revoir, et qu’on puisse comme ça cueillir deux fois. Elle peut pas y croire, se voir, avoir ses mains ici et ses mains là. Elle peut pas y croire, le cinéma elle sait, que les trains entrent en gare, que les trains transpercent la peau des écrans. Mais ses deux mains. Elle peut pas y croire, Tante Aimée, ou bien fait semblant, s’étonner beaucoup, c’est pas vrai dis-voir regarde àa comme on nous voit, que le père qui revient avec sa caméra un peu soit prodigue. Tante Aimée a la même voix exactement que sa sœur la Denise. On appelle Tante Aimée alors, une fois la Denise morte, au téléphone l’illusion est parfaite, et à la fin ce n’est même plus une illusion peut-être.

Nos mémoires derrière des haies, nos mémoires des voisines, nos mémoires des conversations d’été à fenêtres ouvertes battues de vent rond chaud de soleil, et nos mémoires d’hiver, taiseuses, à entourer la table, père mère fils 1 fils 2 fils 3 comme des bougies, les visages qui se chauffent à la soupe et dans un oubli profond, ancien, du corps. Nos mémoires l’abeille coincée dans le gros édredon qu’on à mis à aérer sur le bord de la fenêtre. Nos mémoires le massif d’hortensias, à bourdonner rose vers le linge. Nos mémoires la radio qu’on a laissée allumée l’après-midi dans le garage, contre les voleurs, faire croire qu’il y a quelqu’un — nos mémoires, il n’y a personne.

proposition n° 9

L’ognon dégorge. Le doubs dévale. Le ciel bas à couper des têtes. C’est pas bon pour les tomates, ça va faire un trop d’eau, et la terre avec ça qui vient se coller dans l’allée. « C’est vert ça peut, avec ce qu’il pleut ». On revient il pleut, on revient, il y a quarante ans le père est parti pour ça. Sur la petite terrasse on a basculé les chaises. On devra mettre les bottes lourdes, pour le menu potager. Les fleurs du cimetière exultent et rient, ouvrent leurs petits bras, dansent, la pluie elles aiment ça. On secoue le parapluie avant d’entrer au Super U. On revient vers le manque de lumière, le froid. Papa si tu devais dire tu dirais quoi, tu dirais comment ? Que c’est lancinant et perforant. Super U tout près, la grand-mère s’y rend à pieds et avec sa jambe raide, aujourd’hui loin comme un horizon, à pas sortir son cou de la brume, juste les lettres rouges bleues Super-U à léviter entre les masses grises. Le cimetière fermé en cas d’intempéries, c’est dit sur le portail horaire d’hiver horaire d’été. Les pulls oubliés sur le stade pour faire les cages pèsent des litres. Les voitures reluisent. Les laitues referment un peu leur ailes de gros oiseaux verts, pour pas s’imbiber trop. Il pleut. Il pleut, le départ de la ballade de santé rue des artisans est annulé, mais « besançononvasortir » en propose une autre, demain, pensez quand même à tenue adaptée à cause du chemin boueux. Il pleut, le couvreur aujourd’hui déjeune chez lui. Il pleut mi-juillet et c’est une pluie de toute l’enfance. Il pleut à Devecey et Devecey à Paris alors, dès qu’il pleut, Devecey à Nice s’il pleut. Il pleut une maladie longue. Le père est asthmatique, son dos cabré de crises par-dessus les oreillers, même avec les pas à plumes, le père siffle continument et soudain tousse, on dirait son thorax une île à s’inonder, le père s’agite et spasme, le lit entier à se secouer, c’est Devecey qu’il faut pas laisser s’enfoncer dans ses nappes grises.

proposition n° 10

Ça ne sent pas le pipi. Mais on a vu, la machinerie que c’est d’aller aux toilettes, la rampe et le sur-siège. Alors ça sent le pipi, le pipi la vieillesse, la fin de vie, les langues molles, on ne sait plus trop ni se retenir ni les mots tous bien les dire. Ça ne sent pas le pipi. Mais on a vu, les paquets de couches. Alors ça sent le pipi. On y pense parfois, le visage au-dessus de la tarte aux abricots, la fine craquelle de sucre sur les oreillons oranges et chauds, sur la pâte fine, sans crème seulement une à une en spirales les moitiés d’abricots. Mais le goût meilleur que la pensée, plus fort. La grand-mère bave pleure de l’œil, ça fait un petit rebord jaune à sa paupière, pareil que la cire des arbres, qu’elle essuie dans un mouchoir et qui revient, comme les nuits chassent les jours qui quand-même. Le chat a pareil que la grand mère, mais lui surtout à l’été. À la fin du repas, les miettes sous la table et sur son visage, le jaune d’yeux, les traces de fruits cuits on ne sait plus si c’est du à manger ou du à toucher enlever. Le massif d’hortensias dehors sous le fil à linge et que frôlent les bas de contention, c’est un peu la mer sans l’eau et en rose et petit. On y plongerait, dans les hortensias, et sûr que, pareil que dans la mer, y’a, une fois la tête dedans et rapport à dehors, à la fois un beau silence étrange et un ronronnement profond et grave, du son à s’enfouir les joues le front. Les chips, petits soleils d’apéritifs en vrac, sont bonnes surtout parce qu’elles brillent et luisent et après les mains glissent quand on voudrait bien faire faire son "pop", comme son rot un bébé, au couvercle de marmelade framboise maison pour goûter et que ça embaume toute la table et attire les guêpes, saletés va, mais les mains ripent sans force, les mains pleine d’huile plus faibles encore qu’après un rire, on prend un torchon alors, on prend un torchon ou bien on tend au père, dans cet ordre là. Le paysage fait sa patouille dans la mémoire. La grand mère énorme et sa jambe droite remplit tout l’espace, elle dit au téléphone des "bisous" qui comme touchent la joue. Elle fait des bisous dans les cheveux pendant qu’on se baisse pour attraper la queue du chat qui reste dans la main et puis la queue fond, suivant étonnamment le chat qu’elle tient, fond comme fondait tout à l’heure le sucre sur les médaillons d’abricots en belles coulures translucides et jusqu’à humidifier juste ce qu’il faut le fond de tarte, et heureusement que c’est la queue qui fond et pas la main, quand la queue s’en va de la main. Heureusement que c’est la main qui reste quand la queue part et pas la main qui part et la queue qui reste, comme s’échappent parfois les choses, qui laissent pantois, le savon, les cacas d’hiver de froid de matin, le sexe d’un autre corps tandis que son sexe à soi plupart du temps reste sur son corps à soi, les gens quand ils partent, les souvenirs quand à son tour on part, et que ne restent alors, à l’endroit où yavait une maison, un super u, un cimetière, qu’un petit jus de mémoire comme du jaune d’œil.

proposition n° 11

Juillet, le linge tourne, on s’assoit sur les scooter Deliveroo garés en rang devant, ça fait une chaise, et un peu l’Italie. Laverie des dames. 7 jours sur 7, 7h-22h. On se réfugie en trombe dedans, si s’évase tout à coup le ciel dans des sauvageries d’orage d’été, et déjà des allures d’annexe, une guerre autour, la pluie. Le dimanche matin sent bon et mousse blanc comme s’être lavé bien les cheveux pour la communion. Les soirs de novembre, ça brille en crèche. Des caméras depuis peu, l’écriteau dit, sans doute à cause, le soir, des quelques uns qui viennent boire et s’asseoir. On n’a pas chez soi de machine, dans tout le parmi qu’on n’a pas, mari trois enfants dieu et permis, on va, alors, à la laverie. Des perroquets monologuent, perchés sur les sèche-linges, raccrochent quand le cycle est fini. L’étudiante stabylote ses annales, son pied tendu contre le tambour de la machine 4 en face. Le distributeur de lessive en poudre sert surtout à faire la monnaie. Certains jours rien ne marche, il faut l’appoint, ça peste, et on se parle. Une fille vient avec un paquet de gâteaux : elle entre, s’asseoit, mange, jette, repart. Peut-être qu’on a déjà, dans les heures un peu creuses, et sur le plat d’une cuisse, roulé un joint ici, émietté shit et tabac. Un autre jour, un autre genou, une vieille un chapelet, le nom de dieu dans des douceurs de mi-voix. Des livreurs de journaux déposent leur trop de journaux. Quelqu’un vient pleurer, c’est pour le silence et être seul. Le brouillard de décembre a jeté lavomatic et ville dans des vis à vis d’aquarium noyé, et on a, machine 12, oublié un livre, machine 13 dans le tambour, une chaussette bleue.

proposition n° 12

Et parler forcement pour l’autre bout du tunnel, avec cette portée là d’à peine un souterrain, pas les élans d’aqueducs à creuser immenses leurs diagonales sous la terre, dans lesquelles il fera grand jour, avec cette lumière ni soleil ni néon, venue de juste l’espace, sa géologie, comme une grande humidité, et parce qu’il y aurait deux ouvertures, pas les traverses d’aqueducs leurs indemnités de lumière que rien n’a interrompue, mais l’élan court, diabétique, de rien qu’un souterrain de gare, et regardez-le, là, qui croit encore qu’il dort, celui-là qui vient, comme viennent dans leur sans cesse égal et sombre, raies noires à tirer sans les mains leur jus d’infini, les tapis roulant de halles ou de gares, et même les dimanches, quand les là d’où ils s’extirpent, quand les là où ils finissent en bave coupée ras, sans gras d’écume, ont fait tomber grinçants et douloureux leur rideau de fer et d’arthrite, comme une vieille claque au soir son dentier dans un verre d’eau à cuisine et pour ne pas risquer de, la nuit, s’étouffer dans ses dents et des même pas à elle, regardez-le qui arrive, dans cette marche qui se fait pensant ne pas se faire, vers ces flottements alors qu’on examine, sous les concentrations peineuses de ceux qui pensent qu’ils flottent, et qui doivent alors, le pensant, le mimer, regardez-le plein de sa marche d’humain seul qui cale son pas sur celui, placide, de l’éléphant parmi d’autres éléphants, regardez-le, qui s’enfonce, dans peu à peu l’oubli profond de la ville autour dessus, sa pesée d’estomac, la ville son chaud de grosse cheminée, qui s’avance vers l’indifférence à l’égard de toute ville, et des trains qui font entre les villes comme si l’humain de tout temps avait pris le train, sans plus la surprise de l’invention, sans plus la surprise du tout d’être humain, d’être, et alors que le monde à la vitre, à s’étaler se dévider, dans sa placidité de cloche éteinte, de cloche on a enlevé le battant c’est pour garder le siècle mais sans le bruit du siècle, et oubliant alors la ville les trains et la démence folle d’être, vers les plats constats de juste trois arbres alignés dans le milieu d’un champ et passe un camion qu’on suivra suivre la route et un moment se trouver entre au moins deux des arbres, s’enfoncer dans l’oubli intense de tout, comme s’il n’y avait plus que le souterrain le dimanche et on ne sait plus si c’est novembre si c’est juillet, et où sont père et mère et qu’il y a des chaises, des chaises des tables des bus et des métiers, des métiers, et la pensée d’un métier, de tout métier s’exorbitera soudain, absurde comme l’écho, regardez-le s’enfoncer vers le milieu du tunnel, le milieu du tunnel quand début et fin sont tous les deux si loin que peut-être ce seront eux qui nous auront halluciné, et on est coincé là, en haute mer, et dans le noir, dans le milieu qui s’étale n’en finit pas, si début et fin en fait se recourbent, et ricanent, soudain bouchent le tout ça qu’on pensait ouvert, et avec la peur du clochard, du fou, du chien, du loup ; de ce qui surviendra de côté, qui nous fera bien voir alors qu’on n’est peut-être pas dans le tunnel qu’on croit, au milieu du tunnel comme se diffusent dans les miroirs des galeries des villes d’hiver long froid à manger l’année la moitié, à noyer la ville, nos reflets et l’on ne saura plus lequel était le premier, le vrai et où sont nos mains, et le corps punaisé mille et une fois sur les mille miroirs dans la galerie sous la ville partie dessous comme les enfants quittent les midi appesantis d’après mariage la cérémonie, en filant sous la table, regardez-le qui s’avance, dans son souterrain de gare, dans son nuage, et parce que c’est dimanche, et que le dimanche le souterrain de gare ne mène plus nulle part, et l’on ferme bien sûr les écoles et même les parcs, mais pas le souterrain de gare, qu’il faudrait boucher aveugler comme on a roulé la haute pierre au tombeau lazare, boucher comme les enfants déposent deux paumes sur deux yeux, pour faire monter le mur de noir, quand sur le visage viennent affluer, l’un puis l’autre en rang par deux, à se donner la main, le début et la fin du tunnel, vers des batailles de cils, et le reste, la peut-être âme, se fait discrète, avec des pudeurs d’intestin, de se rouler bien, de cacher son au moins huit mètres, et depuis le milieu du tunnel le prolapsus immense des villes, on les a peut-être rêvées, en tous cas on ne sait plus s’en rappeler, ce qu’est une ville, comment, ce qu’on y fait, comme les galeries de villes d’hiver sont si longues à sécréter leur propre ciel, en dehors de toute planète, dans des praticités de boite posée au pied des planètes.

proposition n° 13

L’air est déjà chaud du matin, qui s’enroule. La ville désormais est nourriture liquide, qu’on a peut-être, jusque là, fait tenir debout, avec des rigidités d’allumettes derrière chaque chose et parce qu’on n’était pas prête. Des pas, chaussures par deux, à passer devant sans silhouette forcément. Un oiseau insiste, on ne comprend pas. La ville est un grand volet chaud de rez de chaussée et on n’a peut-être jamais existé avant là, la respiration de l’arbre qui s’anime comme de l’intérieur, autre chose que du vent, l’arbre comme on bouge les orteils, pour savoir on est vivant, et dans cette distance la de ce qui vibre et des yeux qui regardent. Un bruit de travaux, scie ou perceuse, s’est apparemment entamé. L’oiseau pourrait par exemple être mort ou parti. La belle bâtisse en vieilles pierres équilibre ses seize fenêtres. Dans la voiture noire garée devant, le sapin jaune sent-bon semble cloué, qui n’a aucune interaction avec le vent le soleil dehors, aucune espace de ressemblances avec les feuilles au sol un peu qui roulent tournent leur dos, et si le sapin,derrière le pare-brise dans des raideurs de crucifix leucémique d’enfant à grandir dans des bulles, est faux, pourquoi non le ciel ? Les arabesques du portail tatouées déjà au front, dans leur éternité de forme définitive qui verront passer les quinze ans d’entrer sortir quitter revenir être adulte faire sortir doucement sa mère, maman au moins un peu devant, quelques pas pour au moins la lumière et voir le ciel. Des têtes boules d’hortensias blancs s’agitent tout doucement, qui bercent le vent. Un coucou lointain, comme peut-être toujours les coucous, qui appartient à la tête l’oreille plus qu’au paysage. Le travaux, scie ou perceuse, se sont tus, on ne les a pas entendu finir. L’approche lente d’un avion. Le siècle à venir et ce qui restera, du matin au volet chaud, de chacun. Le bout d’une grue dépasse, plus loin, qui un peu réorganise son endroit de ciel, très jaune très bleu. Les lampadaires blancs la dépassent, qui courbent leur tête de nonne moderne. Le dos d’une camionnette blanche. Un grand dos de deux collégiens amoureux, début juillet fin d’année et rien, peut-être aller à la piscine. Toujours l’arbre. On sera peut-être un arbre, un jour, après mourir et toute ville. On a encore une ombre. Derrière le portail la bâché à la forme d’ordinairement une voiture.

proposition n° 14

À ses pieds, son grand sachet leader price semble un écho à la bosse qu’il a dans le dos. Selon qu’il tente de s’adosser véritablement à la chaise et qu’alors la bosse un peu fonde, ou qu’il se courbe sur ses genoux, laissant toute liesse à sa bosse de se déployer, il est vieil instituteur distingué ou vautour et vétéran de toutes les guerres, il attend que sa lessive finisse ou il vient ici se réfugier de la police, l’hôpital, la justice. Sur le banc plus loin face aux séchoirs 15 16 17 18, deux jambes croisées, la droite fond sur l’autre, à presque disparaître, comme plus fines à deux que toute seule, dans le pantalon qui un jour a sans doute été le nouveau pantalon, celui pour les belles occasions, mais élimé, fatigué, et la figure une île cagneuse, dans le vis à vis des genoux, et on a effectivement besoin de yeux nez bouche pour savoir bien que c’est pas là troisième genou. Devant le distributeur de lessive, la fille a retiré de ses oreilles les écouteurs roses caoutchouc, pour répondre a la dame, non elle n’a pas de monnaie, elle n’a que le compte, janis joplin pendouille à son cou, elle donne à la machine comme si au casino. L’homme nettoie les fonds de tambours d’une ou deux pulvérisations de javel, et pendant qu’il travaille, il téléphone, en hindi peut-être, dans ses oreilles une paire d’écouteurs blancs. Dans le coin, l’homme a calé l’étui de sa guitare entre ses cuisses. Quand il l’ouvre, c’est dedans du linge sale.

proposition n° 15

Par quoi l’on dira alors de toi, lorsque tu sortiras, puisque bien sûr d’entre nous tous tu sortiras la première pour cette sensation-là, de laisser un monde dans ton dos, dans l’indifférence tranquille des rivières, qui passent et s’en vont, fuyant le paysage que pourtant elles viennent d’abreuver, et avec la violence des vieillards miteux qui, dans les parcs l’été nous font des confidences, et l’on croyait que c’était nous, mais on revient le lendemain, et un autre visage à flotter là où hier se tenaient nos fesses, tu sortiras la première, et sans que soit alors respectée la tacite règle propre aux lieux leur logique, qui veut que qui entre en premier sorte en premier, qui en deuxième en deuxième et cela jusqu’à la fin, et avec bien sûr les légères improvisations, les petites accommodations suffisantes pour qu’on ne puisse pas quand même plier la journée en son milieu, comme on pince le drap qu’on s’apprête à étendre, entre des heures dévolues à entrer et des heures dévolues à sortir, au contraire, dans des respirations de logiques propres aux lieux, pleines et amples, comme enflent les draps sous le vent qu’on a mis à sécher vers les framboisiers et, soudain sous le drap, dans son pli, à l’instant, l’instant une fois hissé en dehors de la démente coercition de soi disant un instant, raide comme un cou coupé, à l’instant étalé, hors du piège de l’instant, à l’instant si instant contient la paume à tranquillement suivre la largeur du drap, à l’instant, plus horizontal que ponctuel, où d’un drap on a tiré deux nageoires égales, l’enfant enlève son tee-shirt, sa peau nue sous le drap et dans le chaud le vent, et voudrait que la vie ne soit que ça, juillet fantôme dans le jardin, pendant que, dans la maison, pousse le pain sous le levain brun, et sa mère a même pris une minute pour se regarder dans le miroir, le visage qu’elle a, elle a encore un visage, mon dieu, qu’elle en aie encore un, et quand pourtant, si nos sensations étaient plus fiables, les sensations, celles qui, on le verra après coup, avaient rempli l’espace, et sans par contre qu’on les ait vu arriver, dans le silence profond des trains de nuits, auprès desquels, de chaque côté, passent en muette brasse une à une les villes, si les sensations étaient effectivement plus fiables, disaient autant du dehors que du dedans, autant du visible que de ce tout ça qui se terre, le miroir bien sûr ce matin serait vide, ou simplement gâté d’un reflet ancien, déniché dernière minute d’un vieux fond d’oeil comme le tenancier de la petite foire saisonnière qui s’éternise sur le terre plein depuis cet hiver et marrons chauds, ne prend plus la peine ni d’éteindre, ni de rallumer le stand des auto tamponneuses, les laissant paresser dans une demi veille, assez lente pour qu’on puisse, le soir, préférer les laisser doucement s’agiter sans mourir plutôt que la manipulation laborieuse de stopper fermer le courant et le matin relancer, le visage de la mère dans le miroir, neuf comme sont neufs les nuages, dans leur irréalité superbe, le visage le reflet, et la peine immense alors que prennent ensemble miroir et visage de se dessiner, et l’obligation où se tient le visage, d’être toujours le dernier, le plus dehors, comme être la première carte du paquet, comme être l’extrémité du bâton, le mannequin dans la vitrine, et pas le confort d’être au milieu d’être entre, pas le chaud d’être les côtes prises dans les côtes des autres et invisible, au contraire, être les yeux des bêtes les yeux des faces de bêtes, être le devant plat des chouettes de colonne de portail, être la promotion en tête de gondole qu’a disposé ce matin le stagiaire après avoir bien évalué, que son produit ne se vend plus, il ne se vend plus parce qu’on ne le voit plus, et alors le pousser devant, comme le père pousse le petit, va devant, au petit spectacle de rue, et l’enfant pourrait pleurer, du gros doigt de son père dans son dos, et alors qu’il a peur des guitares de la forme qu’ont les guitares et du bruit, et par-terre s’asseoir il fait trop chaud, le visage, des inutilités de visages, du temps précieux, presque du gâchis, quand on sait bien qu’effectivement on pourrait se reconnaître sur souvenirs, et laisser, au lieu de nous, s’ébrouer face face des déjà vus, s’embrasser petit matin les corps de la veille, comme la boulangère sert le mardi huit heures les viennoiseries d’hier, tu sortiras la première donc, et étant pourtant entrée après nous, mettant à bas alors la logique propre au lieu, qui veut que qui entre sorte, et c’est la première règle non, que le mari attendant sa femme garé en double file devant la boulangerie la verra effectivement sortir, et même si entre temps il aura fallu bouger la volvo, décaler la voiture l’un peu déhancher et la portière alors ne sera plus dans l’exact alignement des vitres automatiques, le mari verra sortir sa femme, et même à se plaindre du trop de temps pris, il irait lui bien plus vite, et dans sa voiture à patienter, tu sortiras et derrière toi après la porte s’ouvrira se fermera, comme s’ouvre et se referme la mousse, laissant entrer et sortir, et, pour chaque ouverture, la perfection d’avoir chaque matin chacun une journée entière, cette durée-là d’une journée, qu’on ne saura comparer à rien qui ne soit aussi rond qu’une journée, comme viande avec viande, la journée, et cette longueur de soleil à tenir bon dans son ciel, l’enfant en bas le voit toute la journée tenir, qui attend qu’il tombe, et que tombe aussi toutes les mains au bout des bras, et dans les trous des yeux que tombent les yeux, et les coeurs à se décrocher comme les dents tombent, et verser dans l’une des jambes de nos bermudas, l’été, à la laverie, mais tu reviendras demain, je crois, tu reviendras et tu verras flotter, au-dessus d’où se tiennent précisément mes fesses, dans leur teneur de fesses, leur densité, mon visage, et ce sera ton tour, me dire, s’il est le même demain qu’aujourd’hui.

proposition n° 16

Tu as lavé le linge. Leurs draps. Leur sommeil plein de petites pisses courtes. Maintenant, tu reviens. Tout à l’heure, dans la laverie pas ta ville, comme dans une langue pas la tienne. Tu reviens. Tu as fait attention, revenir avec par exemple moins deux kilos. Que deuil se voie, et les voisins. Que l’été aie de la marge au moins. Tu reviens. C’est fini de dire « ma vie » comme on dira « ma maison ». Tu reviens, le framboisier cette année n’a pas donné, quelques fruits mous seulement qui ça et là font au bout des tiges des moufles creuses. La nappe en plastique pue. Les nappes en plastique restent longtemps sans sentir et puis se mettent à sentir d’un coup et c’est alors qu’il faut les jeter, humides, rances, en les fourrant dans un sac et en écrasant des deux bras pour qu’elles ravalent un peu leur vide et la place qu’elles prennent, pour rien, dans la poubelle, et alors qu’on devra encore jeter le rosier, et sans faire le tri, le tri ici on ne sait pas, ville propre, mais propre comment, ville propre comme ils ont écrit, sur le rond point à l’entrée, village fleuri, et le nombre de fleurs comme sur les hotels le combien d’étoiles et le prix supposé alors de la chambre, de la nuit, mais les fleurs du village fleuri sont gratuites non, gratuites pour les yeux ou bien dans les impots les taxes, les fleurs particulières des cimetières et celles municipales de la fontaine et de l’ancien lavoir, et Mme Saugier vole à la fontaine pour les mettre sur son mari, et personne lui dit rien mais c’est vrai que son mari l’est parti sous un train un matin de novembre à même pas quarante ans, alors, pour deux géraniums, village fleuri et les tombes aussi, village fleuri, village propre, et le rosier on lui appuiera dessus avec les poings, pour le faire tenir, on laissera le sac dans l’allée jusqu’à aller le jeter, et ignorant superbement ses petits gargouillis, à se percer sous les épines et bientôt plus un sac et rien qu’une vieille toile de tente noire, le sac en plastique noir 20 litres qui fuit dans l’allée, un petit jus de sac, comme si c’était l’allée, on découvre ça le matin, l’allée alors qui cette nuit a fait pipi au lit.

proposition n° 17

Et ce qui, depuis cinquante ans que l’horloge était là, dans le coin tranquille, comme sont les chiens dans une pièce qui ne se lèvent que lorsque leur maître repousse sa chaise sous la table, et que sinon on n’entend pas, ce qui depuis cinquante ans n’était jamais arrivé, arriva, bien sur, les choses arrivent lorsque, leur tournant le dos on est quand même tout près d’elles et l’on pourra alors sursauter se retourner se précipiter sur elles, les choses à se passer, les choses comme des casseroles de purée qu’un mi-feu toute la journée soutient, au cas ou le bébé se réveille brusquement, que quelque chose soit prêt, qu’on puisse lui donner, les choses à se passer dans notre dos et pendant l’été, quand revenant dans la maison on a fait entrer trop d’air d’un coup, et ça dérègle tout, comme manger après jeûner, comme embrasser et ça faisait depuis le Jeannot et presque sept ans qu’on avait pas embrassé rien pris dans les bras, les choses à se passer, soudain, et voilà, soudain l’horloge est tombée raide, comme flanchent un matin les vieux au bord des trottoirs et l’on saura que c’était la dernière fois qu’ils sortent seuls, comme s’écroulent les mémoires dans les fonds de mare des cerveaux qui bouchent à bouchent les canards de l’enfance leurs pattes jaunes sales et humides comme des plantes grasses, l’horloge ce matin-là est tombée, et sans pourtant que rien ne soit modifié à son poids, à l’équilibre des forces et à la répartition tacite d’entre ce qui revient à l’horloge, de se porter elle-même, et ce qui tient plutôt au mur, à son appui silencieux, sans reconnaissance, l’horloge est tombée, c’était comme la chute d’un astre. Dehors déjà, l’abeille sortie du beau massif d’hortensias avait bien failli piquer. Et lorsque, plus tard dans l’après-midi, l’on était allée au super u acheter de quoi réparer l’horloge, après l’avoir soulevée du sol et remis en appui contre le mur, comme trois cousines aident un petit cousin peureux à faire le poirier en lui tenant le bout des jambes, lorsqu’on avait passé les portes automatiques, colle clous et marteau, parce qu’on ne savait pas où dans la maison, l’on avait sonné, et c’était déjà, sonner ici, sonner pas à Paris, mais sonner dans le seul magasin du village, sonner voleuse et sonner sorcière. Dans notre dos maintenant, l’horloge en bois danse, qui a posé ses mains sur nos épaules, l’horloge danse doucement, l’horloge danse comme peut-être dansent les arbres.

proposition n° 18

On revient, on revient c’est par les escaliers. On revient, on revient c’est par les escaliers. On revient. On revient, c’est prendre ces escaliers comme tous les autres escaliers avant eux et après, on revient, c’est d’activer les genoux et la mémoire des genoux, leur sagesse tacite et muette, que les genoux savent bien, qu’effectivement ils savent, nous porter, nous monter nous descendre, on revient, on revient même sans mémoire de comment revenir, on revient, on revient, c’est par les escaliers, et la décision alors concerne plutôt les escaliers que revenir, la décision porte sur monter, on revient, on n’était peut-être jamais revenue quelque part avant. On revient, on revient c’est par les escaliers, les escaliers attendent celles qui reviennent. On revient, on revient c’est par les escaliers, ceux-là à monter descendre, et qui font croire à celle qui revient, qui se tient en bas, qu’ils ne sont là qu’à monter, que c’est ce sens-là de grimper, et qui lui feront croire tout à l’heure, au moment aussi de partir de quitter, qu’ils ne sont plus que bête à descendre, et là seulement pour ça. On revient, on revient c’est par les escaliers. On revient, on revient c’est par les escaliers, et d’en bas, du jardinet, le petit potager pourra regarder l’épouvantail revenir et monter, se dérober ses jambes mais gagner en dos, et monter de plus en plus haut, dans des voltiges de marionnettes, on revient, on revient c’est par les escaliers, et qui de loin nous verrait sans voir la forme de l’escalier, sans voir la structure de l’escalier à faire promontoire, à imiter par petites saccades le principe des montagnes, de grimper, à faire dans la marche à la fois l’adret et l’ubac, de ne prendre qu’une face de la montagne, qu’une face ou son profil, que la grimpe et pas la pente, qui nous verrait monter sans voir par contre l’escalier, comme dans les opéras se terrent dans la fosse les instruments, qui nous verrait monter sans voir l’ombre épaisse de l’escalier, le podium, suivrait alors l’ascension tranquille, sans les pieds et hors de toute cause, de qui revient, presque évanouie, qui revient et sans intention peut-être de revenir, si c’est la maison le jardin et les voisins qui font ça qu’on revient, quand on croyait seulement monter, emprunter les escaliers, on revient, on revient c’est par les escaliers, et au milieu de l’escalier alors comme réaliser au milieu de la mer qu’on est dans la mer, dans l’eau et dans ses forces d’eau et loin des berges et des commodités des plages qu’ont améné près de la mer les hommes, par paquets de sable et parasols, au milieu de l’escalier, on revient, c’est ça alors qu’on faisait depuis tout ce temps, de revenir, depuis la voiture et entrer, depuis les clés dans la serrure et avoir mal au ventre, depuis les mains qui tremblent, c’est ça qu’on faisait. On revient, on revient c’est par les escaliers. Et en bas de l’escalier, dans des humilités indécentes de chien qui attend dans la rue, au poteau, que revienne son maitre, qu’il sorte de la boulangerie, et qui croisera le chien, et alors que peut-être le chien n’est attaché là que depuis une minute, qui passera pensera nécessairement quelque chose du chien et du maitre, du maitre qui laisse ici son chien, pelin soleil, plein juillet, depuis au moins une heure, en bas de l’escalier comme petite fille en bas des jambes des mères, à prendre leur main qui pend, en montant un peu la nôtre. En bas de l’escalier comme sont souvent les ombres en bas des choses dont elles sont l’ombre. En bas des escaliers comme l’enfant qui entame dans sa tête l’alphabet, qui en est seulement à C et alors que jusqu’à Z au moins et pareil après pour les tables et multiplier, celle de 3 celle de 9, et la poésie aussi. On revient, on revient c’est par les escaliers. Et notre corps est tout droit encore, et d’une pièce, qui devrait peut-être, si plus attentif, si plus mortel et bien au fait de sa petite mortalité, du simple passage qu’il fait, de monter puis descendre, et avec le risque toujours de chuter entre, de basculer, de sortir de l’escalier non plus par la cascade de descendre, mais par le tomber depuis l’escalier, tomber comme mouche d’échafaudage, dans des renversements de marionnettes à tête trop lourde, pleine d’eau, tomber depuis l’escalier, au milieu, quitter l’escalier le chemin prévu, d’escalader, tomber comme flanchent les rois sur les échiquiers, hydrocéphales que le poids de la tête et du pas d’espoir emporte face contre terre à l’échiquier, et le nez dans le sol, quitter l’escalier son monter descendre, quitter l’escalier comme quitter la mélodie de l’envolée et progressivement se taire, quitter l’escalier comme le mime blanc taiseux un jour se suicide, et ça fait VLAN, et ça fait rouge, le corps devrait peut-être quitter sa ligne, sa silhouette d’aller du sol aux nuages, et s’accordéonner, emprunter pour un temps le comment de l’escalier, sa grimpe d’arthrite et laborieuse, comme on donne à manger à la vieille édentée, une bouchée pour maman une bouchée pour bébé, et alors que cela fait bientôt trente ans, que la vieille n’a plus de maman, et près de cinquante, qu’elle n’a pas vu la forme de ce que c’est, un bébé. On revient, on revient c’est par les escaliers.

proposition n° 19

Et l’après midi dans les rues qui ne mènent plus aux magasins mais passent entre les maisons, vers les pièces et les fenêtres. C’est pour toujours l’après midi et l’été. On a désormais oublié toute ville et les petites enfilades de cordonnier boulanger supermarché et vitrier. On est dans la patience profonde des rues résidentielles, qui attendent que les voitures rentrent, et le corps au milieu de la journée résidentielle, quand il n’y a plus que quelques vieux qui vont et viennent ou, plus souvent, se terrent, un peu après midi et jusqu’au soir. On est dans l’éternité des rues résidentielles, et piégée pourtant, dans le tellement circonstanciel, de se trouver là, parce qu’ici sera peut être visible qu’ailleurs, ce fait-là, qu’on pourrait effectivement se trouver en tout autre lieu que là ou l’on se trouve, dans la petite rue résidentielle, puisqu’on sera ici dans une rue du quartier résidentiel sans y avoir de maison, avec des airs alors de cambrioleuse, de qui vient repérer, comme viennent dans les quartiers résidentiels par exemple les photographes de quartiers résidentiels, un sandwich dans le sac et s’ils revenaient le soir, ils ne reconnaîtraient plus les maisons résidentielles qu’aujourd’hui ils ont, entre douze et seize, longuement photographiées, comme s’animent les jours fériés dans les salles de musées dans le monde une à une toutes les figures de Hopper, et cette surprise-là, qu’on les entend éternuer.

proposition n° 20

Il y a encore les heures. Les heures et, sur les chaises de certains gardiens de salle, un rond de sueur. Il y a encore les heures, à faire passer la nuit comme une jeune institutrice compte son rang. Il y a encore les heures dans le musée éteint, vide et pas le noir bien sur mais de ces lumières de mi nuits institutionnelles, qui feraient oublier entièrement les forêts et que le monde, le monde au départ et pour une partie du jour, n’est plus fait pour les humains, les humains du bois, les humains à nouveau du bois, dans ces heures-là du monde qui se plie et recourbé alors noir sur noir, que le monde n’est pas à l’humain, n’est pas œuvre d’humain et ni décor, mais juste cette perplexité ronde à relier bêtes pierres plantes pieds et mains, de tous nous trouver tous quelque part, de simplement éclairer assez pour que le monde n’oublie pas le bâtiment, qu’il y a la un musée, une lumière une veilleuse et pour que la ville ne se cogne pas contre, et pour ne pas risquer, que le musée soit enlevé à la fourrière, emmené à la décharge. Qui parle quand il n’y a personne pour ? Pas les murs. Les murs, ceux des musées mais tous, tiennent sur une indifférence profonde à l’endroit des mots et de toute forme de langage, uniquement persuadés de l’amour, l’amour qui n’est bien sur qu’une autre forme du temps. Il y a encore les heures, les heures et, au pied de la chaise de certains gardiens de salle, une bouteille d’eau, un livre ouvert. Il y a encore les heures et une de ces lumières que les animaux de forêt ne reconnaîtraient pas mais que ceux de la ville désormais savent bien, une lumière faite avec même pas du jaune, une lumière qui n’a jamais vu le soleil, une lumière comme les œufs de batterie . Il y a encore les heures, comme le ciel après qu’un avion soit passé, comme le silence qu’il y a, après que la cloche ait sonné. Il y a encore les heures, la nuit dans le musée, les heures et l’alarme, la possibilité de l’alarme, toujours à résonner, comme un cri soudain du musée, un vagissement, la vache à mettre bas, dans le musée, et au bas des tableaux, alors, sous chaque sculpture, à peine un peu d’eau, c’est l’eau qu’il y a, après les corps, la dernière de toutes les larmes.

proposition n° 21

Rond jaune rectangle blanc. Tournesol sur mur. Tige coupée bête en bas comme une maison ouverte en haut et sans encore son toit. Tige coupée comme on brise le pain à la main et à baigner dans la bouteille d’eau gazeuse coupée aussi pour faire vase, et sans la délicatesse d’avoir enlevé l’étiquette "naturalis", une marque allemande d’une eau peut-être tirée en Chine, on ne sait pas, comment marche le monde, et si ce sont les petits enfants en Inde qui fabriquent l’eau à la main et par terre en plein soleil. Tout est soit trop petit soit trop grand soit trop près soit trop loin et y’a bien plus que le nez et les mains à être à bien des yeux, à assez et à pas trop. Rien. Rectangle blanc debout colle rectangle blanc couché comme une feuille. Dossier de la chaise à frôler le bureau et lui rentrer les pattes dessous comme pour lui caresser le ventre et l’on posera tout ici sauf les fesses. Yeux idiots parfaits idiots égaux de la prise et pas le danger du tout de mettre les doigts boudins boudins à déborder dedans comme œuf au plat. Chambre hôtel. OloéoloéoloéOléoleolelo allez allez allez les bleus Oloéoloéoloéléoleolelo allez allez au lit Oloéloéloéléoleolelo et dans la poubelle surnage l’emballage d’oreo peanut butter parce goût beurre de cacahuètes ya que ici, tout coquet à faire ses dentelles par là où ça s’ouvre et ferme, à briller bleu métallique bien, au fond de sa poubelle. Rainures superbes et fières du radiateur à s’alterner vide plein et j’ai collé ma joue et le radiateur était frais comme un frigo. Rectangle bois du tiroir et c’est pas du bois pas la forme pas l’odeur que couleur et bois beige de chambre d’hôtel d’arbre apatride. Petit un petit deux petit trois pour trois tiroirs et rien dedans que du silence et du noir et on va pas ici se servir des choses, tiroir et chaises, dont on se sert pas chez soi et le dos sur la tapis et la culotte et la moquette et le gros œil équeuté sans pupille de l’ampoule en demi sphère à coller plafond plein centre et l’on pourrait ici tirer des rayons jusqu’aux quatre coin et faire au plafond roue de vélo ronde comme un gâteau oreo. Et petit carré blanc de l’interrupteur, en deux parties comme deux fesses blanches malades, allumer éteindre, et j’ai joué longtemps à appuyer l’un appuyer l’autre comme on fait dix fois la bise aux enfants. Et le corps très entier lui le corps comme un gâteau oreo pas rond pas noir pas bon pas peanut butter et le même ici que dans l’oloéoloéoloéoléoleoleoeoeoeoeoeo de la-bas, le corps d’ici à la, le corps à toujours prendre tout sur lui et rien laisser, et avancer comme avancent les beaux insectes pattes sorties ailes rangées et à rien oublier jamais. Frise de bas de mur tige de bois à faire la pièce le tour de la pièce comme enfants à marcher sur la poutre dehors. Et pis ça a été trop. On a roulé le tapis en boule ça a fait gros soleil rouge coton poussière acarien pile sous l’œil globuleux du plafond, blanc comme un œuf en haut à jamais être pondu et vouloir naître et rester comme ça à mi-fesses, juste le bout du nez dehors et le reste dedans, le globe ampoule allumé à cause qu’on avait appuyé sur la joue droite des fesses de l’interrupteur, et le tapis et j’ai commencé à manger le tapis, et en mangeant j’ai compris : pour manger le tapis commence par manger ses motifs, ses couleurs, et seulement après son lui.

proposition n° 22

Bancs accrochés au mur et à la table, comme si la cuisine entière atterrie là, dans des commodités de navette spatiale, comme on ouvre la main et tout est là. Une assiette décore le mur, deux semeuses que suivent quelques oies, des brins de blé dans la main et un chapeau à se recourber sur les joues, c’est l’été à l’année, dans l’assiette au-dessus des têtes, l’assiette et sa scène des champs, à flotter au-dessus des têtes, boucles et shampoings anti-poux. L’assiette aussi légitime qu’un flacon d’eau bénite à l’effigie de la vierge, aussi fière que la photo superbe d’un roi ignoble et méchant dans la petite cuisine pauvre d’une royauté étroite, et autoritaire. L’assiette, comme une puce sautée de la table au mur. L’assiette et sa tête de miroir. L’assiette, de miroir sans fond, de miroir on peut même pas se voir dedans. L’assiette, et le mur autour est encore plus blanc. L’assiette la sainte et l’auréole. L’assiette, à peine trop haute et il faut monter sur un des sièges-mur, pour la voir bien. L’assiette, on dirait la seule chose dans la cuisine venue après la cuisine, comme un enfant dernier né, soudainement né, quarantainement né, ou comme faisaient les dames avant, de se coller une mouche sur la joue, à l’école aujourd’hui maman, une mouche une puce un pou, et le soir sur le banc de la cuisine qui le plus qui a de grains de beauté, la peau du frère ou la peau à soi, et les batailles pieds nus sous la table, arrêtez, arrêtez, si vous continuez vous allez tout casser, et alors qu’on sait bien, maman, qu’à part l’assiette, rien, dans la pièce, ne pouvait même trembler, qui était déjà la pièce, la pièce pièce de la cuisine faite cuisine, des bancs murs, et grandir le corps là-dedans, pendant que dans le four pousse le gâteau fait main et fait Alsa, moelleux au chocolat incroyablement aéré sucre glace inclus. Et la cuisine, comme un gâteau tout prêt, à verser et sortir. Et la famille, incroyablement aérée, ou bien les corps les peaux à se chercher, les plantes des pieds, et même sur le carrelage froid, loin des oies du blé et du soleil d’été de l’assiette gouvernail à donner le nord, donner son là.

proposition n° 23

Une banderole tirée comme bas de contention : chez nous, la meilleure publicité comparative, c’est le ticket de caisse. Couleurs Super U, bleu rouge blanc, petite France, et dire très haut qu’ici on n’est pas fier, à la limite un collier pour la messe et les occasions, mais pas plus loin. Camionnettes utilitaires garées en ligne : on roulera Super U, et on les louera pour le mariage, amener les grandes plaques de pizza. Rond-point et sapin, une foret toute ronde, qui se prend par la main, comme dans la cour jouer au facteur qui n’est pas passé à la boite aux lettres, il ne passera jamais car il est tombé et les aides y’en a plus tant, des qui viennent et qui prennent le temps, de pas que la piqûre mais aussi parler, on n’est pas des chiens, et tu penseras bien tiens à prendre pour la petite, c’est Noël après tout, un pot de miel à Super U, en plus du billet de vingt, c’est la seule qui pique et pis qui cause. L’épaule verte de la montagne au loin, modeste et qui paye pas qui joue rien, le dos bombé d’une petite cuillère, à doucement équilibrer le ciel. U rougeoyant de l’enseigne, en position finale un super « U » alors, dans des miniatures ou des pense-bêtes de grand-huit, un U à juste donner du mou au ciel, l’un peu balancer droite gauche, comme on berce les bébés d’une main d’un sein, et l’autre main pour la purée. « U » rouge, bougie solitaire d’anniversaire oublieux, d’anniversaire de cuisine, d’anniversaire de bout d’année, flamme pisseuse à bout mouillé prise dans le grand torchon bleu du ciel et s’essuyer les mains le front. On est sur la terrasse comme sur un bateau, dans ces éternités photographiques des corps, le paysage au bout des mains comme un petit chien qu’on sort le soir, après dîner léger et l’infusion, le paysage derrière les fesses comme la page découpée du calendrier du pompier de l’an passé mais quand même celle-ci de photo elle est trop belle pour pas la garder.

proposition n° 24

Sur le ciel quand même, si on regardait bien et longtemps, on pourrait voir la trace encore des lettres « S U P E R U » comme, en haut de certains garages, les enseignes décolorées des temps d’avant : « dames, messieurs, coiffeurs, parfumerie », « café du commerce »… En grande sœur chahuteuse, la grue fait tomber ses miettes sur le toit plat de l’immeuble, comme si son bavoir, et lui fait sentir son aisselle. Le ciel n’est étrangement pas par-dessus mais entre chaque chose. Plutôt rectangle bleu à se déplacer que ciel, comme dans le jeu, enfant, de pousser une pièce avec une autre sur le plateau, et peut-être le ciel alors est-il vendu avec le regard même, et pour qu’on puisse l’utiliser de suite après achat. L’échafaudage grimpe à l’immeuble comme une fermeture éclair. D’où elles sont, les fenêtres de l’immeuble ne peuvent rien voir, plates comme des paumes de main de quelqu’un qui voudrait, avec ses mains, imiter un mur. Montées les unes sur les autres les fenêtres surtout ne se verront jamais et projetées toujours dans la persuasion qu’elles ont, alors, chacune, d’être unique, d’être la seule. Plus près dans les yeux, quelques masses vertes à s’agiter doucement et montrer le vent. Si la grue soudain balançait son grand bras, comme une mère excédée s’impatiente et, sans plus prendre garde à l’enfant qu’elle tenait, fait volte face, si la grue bifurquait, quittait le morceau de ciel où elle se tient, et balayait le paysage, comme un essuie-glace, se souciant peu de savoir ce qu’elle efface, comme une main d’instituteur a passé sur le tableau craie, ou comme un corps soudain change de direction, l’on pourrait peut-être toucher le nez de la grue qui après tout n’est pas une étoile, plus jaune et moins loin, depuis le dernier étage de la galerie commerciale où l’on attend, à l’abri du soleil, le nez rouge comme la grue est jaune et avec entre les jambes le bleu du sol de la galerie, imitation nuage et ciel. Entre le nez et la fermeture éclair argentée du sac qu’on tient sur les genoux, un marteau piqueur égal et invisible raconte à qui ne veut pas l’entendre qu’on est en vie, en vie et le monde autour, et que des choses existent, à commencer par nos deux mains, qui sont deux comme nos yeux, comme les deux nuages et comme sont deux les "f,f" de la marque de la grue qui a, comme les enfants en colonie, son prénom marqué dessus. Chez nous, la meilleure publicité comparative, c’est le ticket de caisse, jusqu’aux promoteurs et vendre Super U locaux et petit parking pour des millions, la nouvelle galerie péri urbaine, juste à la sortie de Besançon, susurrent les panneaux. La terrasse s’est effondrée sur les framboisiers, on a tout arrosé bien bien et laisser sécher, ça a fait pousser un gros immeuble. Les voisins, ça fait long que les Bertrand sont partis, c’est des grues, maintenant. Et Devecey, 2viC, pour raccourcir et éviter la possible homonymie peu glorieuse. Come shopping en 2viC. Le bout du nez ressemble à une framboise.

proposition n° 25

Sur le parking de Super U un petit auvent pour protéger les cadis de la pluie et qui pour nettoyer le dessus de l’auvent. La table et les chaises en plastiques sont dans le jardin sous le balcon pour l’ombre et pas besoin de parasol il faut alors chaque fois monter descendre pour ramener quelque chose fromage ou dessert et sans oublier de rentabiliser le voyage dit le père rapporter par exemple les assiettes en pile avant de revenir avec les ramequins le fromage blanc et quand plus personne ne pourra monter descendre à cause des jambes l’arthrose est ce qu’ils mangeront encore est ce qu’ils iront encore dehors ou bien s’allonger une dernière fois sous le balcon et mourir mais à l’ombre. Si on rasait l’obstacle long lourd et lent de la montagne on pourrait voir les lettres SUPER U dans les deux sens et s’effondrerait alors cette intuition cette sensation qu’il faut regarder par là et mettre le corps dans cette direction pour bien voir bien lire et donc si la montagne est si pleine c’est d’intuitions de sensations. Qu’est ce qu’il y a derrière la montagne. L’étiquette Bébé à bord sur la vitre arrière de la Peugeot mais ni rehausseur ni maxicosy et alors le bébé a grandi ou le bébé est mort et on aura pas enlevé l’étiquette ça aurait trop voulu dire et l’impression de le tuer une deuxième fois décoller frotter avec même de l’alcool pour enlever les derniers bouts ou bien peut-être bébé à bord mais parents divorcés et un enfant pour deux un réhausseur aussi pour deux à se passer avec l’enfant sur un parking et en profiter pour faire les courses l’un après l’autre. Est ce que la montagne me voit et si me voyant effectivement pense-t-elle que j’ai grossi. A qui est la montagne. Les voitures rangées au pieds des maisons comme des chiens au pied des fauteuils des maitres qui lisent le journal sur leur genoux enfin surtout dans les BD dans les bandes-dessinées surtout quand dessiner et dire ceci est un chien ceci est un humain ceci est un journal ceci est une scène de vie ceci se passe chaque jour dans les maisons les pièces des maisons mais comment la maison pourrait-elle lire le journal et la voiture aboyer. Où est-on. On n’est jamais bien nulle part jamais tout à fait bien jamais ici c’est bon ici ça va ici je pourrais ici vivre ça me plait pourquoi on n’est jamais bien. C’est comment le bruit le silence à l’intérieur de la montagne.

proposition n° 26

A l’arrière de la voiture, et la ville autour. C’était pas de la ville encore, des trajets entre le reste et la maison. A l’arrière de la voiture, et Brel beuglait les villes s’endormant, les villes pisses et bières, et les ports d’accordéonner autour, les terrasses des soirs d’été, les volets bas les yeux des vieux, les villes le matin, les villes le soir, à l’hiver à l’été, les villes roulées chaudes comme des gros chats dans les maisons dans les familles et les villes dehors sur le trottoir et dans toutes les villes Jeff, arriver dans les villes, arriver de loin sur un cheval, et les cathédrales couchées, les comptoirs beaux comme des orgues, les orgues beaux comme des comptoirs. Les villes, les chansons, je ne comprenais rien, pas le rythme, pas les compositions, rien à part les refrains, rien sinon un peu le centre. Mais j’aimais le père. Et le père aimait Brel et aimait les villes, qui était parti de la sienne, devecey, celle de l’est, vers celle du sud, et la chansonnette : la descente dans la petite voiture, voir dans le rétroviseur s’éloigner ses parents rapetisser l’image déjà de ses parents à la fenêtre et puis le vent et la nationale 7 longue droite comme une fermeture éclair, la résidence universitaire. Et je comprenais alors les villes, les chansons, les histoires d’amour et les lettres glissées sous la porte de la cité U, une fille — la mère —, une d’ici, du sud, et avoir échangé la ville contre la mer. Le père racontait son père : « bah y’a plus de monde ici que le dimanche à l’église », « va, plutôt ça qu’aller au bistrot », et je pensais comprendre, et je comprends à peine un peu aujourd’hui, que moi aussi, bientôt, et les phrases des pères qui resteront, et que les phrases sont comme des villes, qu’on visite et revisite, on revient dans les phrases dans les villes, en montrant, et sans dire, sans dire ou sans comprendre, que le nœud au ventre, là, c’est qu’on voudrait rester dormir. A l’arrière de la voiture, et c’était le père qui faisait la ville, ou la mère, selon. Et la ville comptait peu, qui n’existait pas, il y avait la mère, la main de la mère, les passages cloutés, et la ville au bout de la main de la mère et au feu vert. C’est après, avec partir avec arriver avec le corps avec Paris, que la ville s’est levée, que la ville comme une montagne s’est levée, que la ville s’est levée, comme exulte la bourrasque qui patientait derrière la porte, que la ville s’est avancée, comme une jungle et comme une lionne, et désormais là qu’on allait vivre, dans la ville et les vieilles émotions neuves, et puisqu’il y avait la ville, où battre les mots, et être fière et large comme une batelière au-dessus de sa cuve, et la ville, paris, c’était bon, désormais, qu’on allait pouvoir vivre, et sans toujours rien comprendre, à la musique et aux rythmes, mais au moins embrasser un peu toute chose, et chaque rue où tombe le soleil.

proposition n° 27

Dans le sens de la marche, on avait dit gentiment, pour pas dire dos aux parents, dans le sens d’arriver et le long trajet de préparer arriver, le grand vent du paysage à aller dans la bouche, on est seins nus sous le vent sous le paysage et les seins pointent, on sait qu’on arrive dans une ville si les seins pointent, et si cette petite anorexie des débuts de ville, l’envie de chier et la possibilité de, on sait qu’on arrive dans une ville si le grand parvis de la gare et les seins pointent et pointent aussi les débuts d’avenues, les intuitions de grandes artères, et les façades et les cafés, et sur le parvis sûr qu’on joue, à débarquer, être l’arrivante, être le Titanic, l’irlandaise dans le titanic, et les tavernes, et aller boire une bière chaude jaune épaisse dans une taverne en sous-sol sous la ville et le ciel bas, et remonter et les cheveux sous une écharpe, et on a oublié, déjà, sur le parvis, au-dessus des seins qui pointent, qu’ici ce sera vivre encore, et des jours, à vivre, à faire, et sur le parvis sous les seins qui pointent et sous les mains, posés sur la ville, les bagages, mais on sait qu’on est dans une ville, qu’on arrive dans une ville si les bagages on peut s’asseoir dessus et sans risquer de casser rien et les genoux à trembler et plisser le ciel de la ville, et c’est la première fois qu’on s’assoit sur la ville, et dans cette espèce de conscience qui joue à l’inconscience et prendre tout, ce jeu déjà de jouer à, et qu’on a pris pour vivre, et les seins pointent, et les dents claquent, les genoux tremblent, c’est être le cheval qui imprime le chemin dans ses sabots dans ses flancs, c’est être la fièvre et faire la fièvre, la consolider comme pâte et glacer les seins et gercer les lèvres et refaire claquer les dents et secouer les genoux, et ville, ville, ville, et faire durer l’élan, d’entamer la lente partition des débuts de ville, du corps des débuts de ville, des grands tours, le corps dehors matin soir, et maintenir l’élan comme hisser hors de l’eau la tête de l’enfant retarder bientôt la bascule bête du canard à sortir fesses et immerger bec, on est sur le parvis et les seins pointent, et la ville ne promet rien, qui sait bien l’animal inanimé qu’on lui demandera bientôt de mimer, quand il s’agira de marcher sur elle, et qu’au bout d’un an, au bout d’un an de repartir, au bout d’un an d’à nouveau le parvis de la gare, et le train, et le sens de la marche, le sens de quitter, l’on aura si peu échangé avec la ville, et l’on croisera sur le parvis, l’une qui arrive, et qui en une nuque dressée, dressée d’arriver, a déjà plus acquis et donné, on est sur le parvis de la gare et les seins pointent qui désignent la ville, et parce qu’on a nos doigts dans la bouche, parce que déjà on a rongé les ongles mangé les mains, et il faudrait, pour à nouveau exister, que ce ne soit plus ville mais planète, et arriver, dans l’oubli entier des seins, et de tout ce qu’on parvient à toucher, de l’avoir sur soi ou tout près, et dans l’accueil, ouf !, de ce qui viendrait.

proposition n° 28

Des matelas renversés contre des troncs attendent les encombrants. Des scooters garés sur les trottoirs comme des tortues Hermann. C’est l’été des fenêtres ouvertes comme gorges d’enfants chez le médecin. On a repoussé les rideaux sur le côté, comme les mères arrangent d’un doigt une frange sur le front de leur petit, le temps des devoirs. On verra d’ici, à taille d’arbres et de panneaux, les choses que d’habitude on voit moins. Les pieds des gens en scooter, aux feux rouges, les deux pieds posés sous leurs mains. On voit leurs pieds comme voir le crâne des gens, voir tout à coup les choses qu’on ne voyait pas. Le bus avance et frissonne, comme certains animaux, lapin hamster, vivent juchés sur un perpétuel tremblement. La ville est un grand marc de café, alors, de faire tourner les tables et d’appeler tous ses morts, ceux qui vivent sous les immeubles ceux qui chauve-sourient dans les parkings souterrain, ceux mon dieu tous ceux-la qui simplement ce matin ne sortent pas et pas les dix d’après non plus et leur petit micro-ondes meurt près d’eux. Le bus vibre roulant, vibre encore aux arrêts. Quand il repart, c’est avec un léger retard sur la ville, comme dans les rêves se tenir sur le dos immense d’un cachalot, et ce temps-là, pour le roulis, d’arriver jusqu’à nous. Les cachalots dorment debout dans l’eau comme des clés de sol. Le bus s’étalera ce soir sous une grande halle, en fin de ville. On est assez haute pour distinguer dans l’été de juillet déjà l’automne et septembre, les feuilles mortes le long du parc, les petites pluies grises de voilà novembre. Les platanes d’alignement sont de hautes sorcières honteuses dont on aurait tiré d’un coup tous les jupons, leur tronc anormalement long pour ne pas encombrer la circulation n’ébouriffera que vers les étages. Les balcons balconnent. La ville passe et à nouveau stationne ses hautes fenêtres. Il faut attendre qu’une vielle se presse, trottine presque pour traverser devant le bus pour bien voir que la ville n’était pas ce songe à se former à la vitre, que pour chaque rêve on manque peut-être d’écraser un lapin. Une fois descendue, on verra les bus passer, et ce qui un moment avait constitué l’entièreté du monde sera à nouveau masse pataude, à bouger sa ville lentement.

proposition n° 29

Regarde-moi. Regarde-moi comme quand tu distingues, dans ce que tu pensais n’être qu’une voiture arrêtée, stationnée, soudain une silhouette sur le siège avant, dans ce qui serait un deuxième regard, ou l’arrière-rue du premier, quand tu vois mieux, d’avoir plissé, et alors la voiture, tout à l’heure encore fumée de rue, redevient l’animal menaçant qui pourrait bouger, à tout moment quitter son état de veille tranquille, de presque mort, et t’attaquer. Regarde-moi, regarde-moi à la dérobée, comme tu te retourneras bientôt, pour essayer d’un peu mieux saisir les traits de la présence humaine, collée à son siège, dans la voiture arrêtée, garée, dans la rue résidentielle, et alors que ni commerce ni service ne semble pouvoir la justifier, dans la presque nuit qui vient, et quoi, dormir dans la voiture, ou l’attente pédophile, ou bien un détective privé qui suit maîtresse amant et triolisme, quoi ? Regarde-moi, regarde-moi comme s’éloigne le visage et tu hésites à revenir et repasser, et peut-être qu’on a besoin de ton aide, peut-être que c’est toi, que la présence humaine, collée à son siège, dans la rue résidentielle, attendait. Regarde-moi, regarde-moi, maintenant vous êtes deux. Vous êtes deux étudiantes qui rentrez de soirée en ville, un ami vous aura déposé, laisse on fait le reste à pieds, mais oui et puis on est deux ne t’inquiète pas. Vous êtes deux à vous avancer dans la rue résidentielle pleine de voitures garées, quand soudain vous distinguez la présence humaine dans la voiture arrêtée. Vous vous prenez le bras comme font dans les salles de cinéma les spectateurs de films d’horreur, ou comme font dans les films d’amour les spectateurs de film d’horreur que le film d’amour filme. Vous attendez d’avoir dépassé la voiture et que la rue tourne pour enfin souffler. Autour de vous les maisons sont éteintes, comme des télés vivantes mais cassées. On n’entend pas les chiens comme en journée. Quelques lanternes de jardin éclairent des vérandas blafardes comme aile de libellule arrachée. Les porte manteaux se collent aux vitres. Tables et chaises vides sont la sueur d’une vie ancienne, d’une ère passée, c’est dans la véranda soudain une époque, l’époque des humains, et que les humains alors faisaient ça, s’asseoir, discuter, manger, tendre le bras pour attraper un verre, allonger une main pour tapoter une cigarette au cendrier, déboucher une bouteille l’incliner et verser. On n’entend pas les bébés pleurer, les enfants chahuter, les téléphones sonner. On ne voit pas les vélos qui passent, les coffres qu’on ouvre, les courses qu’on rentre. On ne voit pas les mères attacher sur le rehausseur à l’arrière l’enfant, et repasser devant. C’est la nuit. Quelques fenêtres éclairées, chambres, salle de bain. Les maisons sont comme des gâteaux d’anniversaire d’un enfant mort. Les maisons sont comme être un invité et voir sur le buffet la photo d’un enfant et on sait que l’enfant est mort. Autour des jardins, les haies sont noires. Vous vous endormez et l’homme collé à son siège dans la voiture garée dans la rue résidentielle est sur votre rêve, coincé comme un papillon de nuit entre sommeil et paupière. L’homme dans la voiture garée dans la rue résidentielle, qui reproduisait, mais en nuit, les gestes du jour, d’être un conducteur, qui reproduisait, mais en figé, les gestes de la rue résidentielle, d’être une voiture. Et que l’homme dans la voiture garée dans la rue résidentielle avait fait ça cette nuit-là, que vos gestes dorénavant seront plus résidentiels que naturels, et ce ne sera plus vivre, vivre c’est fini, ce sera jouer à être l’humain dans la véranda, qui discute, saisit et incline la bouteille, allonge le bras pour le cendrier, jouer à l’humain sous des absences immenses, jouer à l’humain pas pour jouer mais pour qu’après le jeu une chaise soit là, à encore donner une échelle insensée, qu’un jour sur terre à cet endroit-là, il y avait des formes, qui se penchaient sur des verres, qui fumaient. Et quand la nuit venait entre les maisons, les formes s’effaçaient.

proposition n° 30

Là, comme transe finalement s’épuise, la voiture presque soupire, et dans un déhanché léger par rapport à la danse égale de l’autoroute, vient s’agenouiller derrière les peugeot duster megane déjà présentes et qui patientent pour le sans plomb. Dans des connivences de vieilles louves, les voitures se répartissent entre les pompes. On n’a encore pas vu d’humain. Enfin une portière s’ouvre. Une jambe enjambe. Le corps suit, qui rabat dans son dos la portière et contourne par l’avant la voiture. C’est un homme. Il tire de la poche arrière de son jean une carte qui disparaît dans la machine. Il tape un code. Il effectue un demi tour sur place. Il se courbe un peu et une main dépose un bouchon noir sur le capot de la voiture. L’homme saisit et enfourne la gueule effilée de la pompe dans la béance qu’il vient de découvrir. Il s’écarte maintenant et se tient à deux pas de la voiture, comme un sort est jeté, dont on attend qu’il s’accomplisse. Autour de l’homme, d’autres voitures arrêtées, comme des statues d’humains statues. Les hommes se tiennent près des voitures, dans des savoirs muets de distance. L’on pourrait dire laquelle est auquel, comme un ancêtre éclaire sa lignée. Entre les hommes aussi des distances sont respectées, qui n’ont pas de nom, mais que chacun sait, et l’interaction n’ira pas plus loin qu’un signe de la main pour enjoindre à la patience, ce sera bientôt le tour de l’autre. Les uns après les autres et indépendamment les uns des autres les hommes défont la succion qu’ils avaient organisée, entre voiture et pompe. Si l’on avait d’autres oreilles que les nôtres, on entendrait, la stridence de comme les peaux à peaux de mère enfant qu’on a séparés trop tôt, on entendrait les pleurs les cris, on entendrait qu’on est homme, et qu’on ne sait pas soigner les choses qu’on commence, les enfants qu’on a mis au monde. On entendrait les cris. On entendrait que les voitures comme les bêtes et comme les arbres avaient entamé des confidences furtives et des cours plus ou moins craintives. Si l’on avait d’autres oreilles que juste les nôtres, on entendrait bien, que la station Total n’est pas endroit pour et à nous, et que la chorégraphie à laquelle régulièrement l’on se livre, de mettre de l’essence dans la voiture, bientôt devra finir, car la terre sous les pieds les roues est très lasse qui jusqu’ici nous a regardés faire.

proposition n° 31

C’était pratique. Le funérarium était au-dessus de la gare de Besancon Viotte. Depuis Paris on pouvait être en 2h30 auprès du mort. On arrivera le matin même de l’enterrement. On reprendra le train le soir. Au travail on aura posé un jour de congés. Personne n’aura pu nous croiser à Paris ce jour-la. Les enfants auront veillé le corps depuis trois jours, ils y seront passés après le travail. Ils se seront envoyés des sms : on se rejoint au funé. Un article était paru dans l’est républicain un peu pls tôt dans l’année, une femme avait accouché sur le parking du funérarium. Pour fêter l’événement et pour un peu de publicité, l’entreprise avait offert à l’enfant un contrat obsèques gratuit. Dans le funé, les retrouvailles et cousinades. Tu as de beaux cheveux. Tu es encore avec comment il s’appelait déjà ? Range ton portable, la mère dira quand même, juste avant d’entrer dans la chambre mortuaire, où la grand-mère attend qu’on l’enterre, un gros chat. Sur le parking, c’est la répartition des voitures pour du funé à l’église. Qui a une voiture et qui pas, qui le permis, tu l’as eu c’est vrai bravo alors félicitations, qui est venu en train. La grand-mere est morte. C’est du côté du père. Les cousins, les jeunes, débarqués frais de chacun sa ville étudiante ou son premier boulot. On retrouve les parents. C’est comme les vacances de Noel sans Noel. Le père est un peu plus orphelin. L’année avance vite, bientôt les partiels. La vie avance vite, déjà on meurt. Sur le trajet du funérarium à l’église,, la foirfouille, maaf assurance vie, garage Delsey. Ça faisait longtemps qu’on n’était pas venue. Ici c’est là que juillet 98 la coupe du monde. Quand même, on le dira pas tout haut. On a vingt ans. Le père entre cinquante et soixante, et la grand mère en avait quatre-vingt, c’est une mort dans le cours des choses alors. L’église. C’est beau, c’est plein. C’est beau une église pleine. On lit un texte écrit pour la grand-mère. Grand-mère tes tartes, grand-mère ton rire d’ogresse, comment tu chantais, et questions pour un champion, et que t’allais aux enterrements comme moi à Paris au cinéma ta jambe droite droite comme un point d’exclamation tendu, que t’étais énorme et qu’on avait essayé un jour mamie tes culottes dans ta chambre et on passait à trois dans un seul trou, et que c’est grandir et la fin de l’enfance. On avait écrit le texte la veille. On l’avait envoyé au père, comme on faisait avec les autres textes, les textes pour lire, les textes pour lire que personne lit à part les parents. Ma petite fille, celle tu sais mais oui dis voir, celle qui aime bien écrire, à Paris, vain Dieu à Paris je sais pas ce qu’ils ont tous avec Paris. Dans le cimetière, le cercueil est descendu avec une corde. La grand-mère était énorme, ça doit être lourd. A un moment le père court et s’égare, comme un oiseau qui a perdu le ciel. Je suis tout seul, je suis tout seul. Papa, tu n’es pas tout seul, et nous, et maman. C’est pas pareil. Après le portail du cimetière, derrière, les portes automatiques de Super U ne cillent pas, qui d’habitude virevoltent et organisent, qui entre qui sort. C’est dimanche et c’est mort.

proposition n° 32

Il y avait le ciel, il y avait les humains. Et parmi les humains, ceux qui parlaient du ciel. Ceux qui, descendant dans la ville matin, se donnaient cette seconde, de l’à peine suspense, entre le chez eux et la journée, entre le dedans et le ciel, qui nous est une contrainte. Il y avait les humains. Et parmi eux il y avait le père. Qui parlait du ciel et de ce que le ciel lui faisait. Il y avait le ciel d’Alger de la mère, qui parlait peu d’Alger mais l’on saurait bien, que lorsqu’elle dit « lumière », c’est ça dans ses yeux et vers sa peau, le grand ciel méditerranéen, bleu roi, plein, éclatant, partout éclatant, éclatant longtemps. Il y avait le ciel. Et il y avait les livres. Il y avait les livres qu’on n’avait pas lus, mais dont on nous avait parlé. Il y avait le ciel et sans intercession l’âme, et l’on pleurait, ou l’on avait mal au ventre, ou l’envie soudain de vivre, ou de mourir maintenant sur place, mais pas les mots des formes, pas les mots des couleurs, pas les mots de c’est quand le ciel, c’est où. Il y avait la lumière de Camus. La lumière chez Camus. Il y avait le ciel de midi. Il y avait les pierres chaudes, blanches. Il y avait le ciel de Devecey. Un ciel, dirait le père, mouchoir gris placé très bas et qui pèse. Il y avait le corps de la mère, et sa façon d’aller à la sensualité, je crois, qui n’était pas sans rapport avec l’étourdissement serein, d’un seul ciel immense devant soi, et d’une longue clémence, devant ou au-dessus. Il y avait le ciel de ne pas sortir de chez soi longtemps, et si l’on nous demandait, ce que c’est le monde, et ce qu’il y a dedans, l’on oublierait sans doute, le mettre. Il y avait le ciel, à balayer tous les il y a. Il y avait les précisions de ciel, et déjà qu’il soit différent partout, différent tout le temps, et toujours là. Il y avait ces immobilités de ciel. Quand c’est nous, d’en bas, d’être des statues, et l’âme ne tremble plus, et on vit bien sûr, on vit mais on vit comme on meurt. Il y avait ces grands élans, d’arracher le ciel, mon dieu. Il y avait ces exactitudes de ciel, et ces reconnaissances et on croira s’émouvoir soi, s’émouvoir de soi même, comme soi-même avoir soif, qu’on sera en train déjà de s’émouvoir du ciel de quelqu’un d’autre, du ciel du père, de son ciel bas. Il y avait le ciel des instituteurs, quand à la mi aout le ciel d’un coup baissait, se remplissait, roulait ses nappes blanches, s’épaississait, et c’était soudain, en un ciel-un regard, toute l’année et septembre et octobre et l’hiver et les matins froids, et des cris d’âme, à manquer de lumière, de lumière ou bien de sommeil. Le ciel des transports en commun, le ciel grandparisien, le ciel des grues jaunes à s’enfoncer dedans, le ciel à avaler le sacré coeur le matin et les mains froides à se coller au même pas de poches. On avait déménagé de ciel. Il y avait le ciel whatsap, des matins niçois des parents. Le ciel de l’église Jeanne d’Arc, le ciel de Matisse avec dedans des dômes blancs qu’il aurait collés. Il y avait le ciel d’être enfant, et le jour la nuit c’est deux ciels différents. Le ciel steack haché, de plein de ciels en même temps et qu’on a mélangés, de pas un seul animal tête et pieds. Le ciel végétarien. Il y avait le ciel, d’être seule dessous, et prendre une photo moche, pour dire à qui l’on aime : regarde ce matin comme le ciel est beau. Et le ciel, plus loin que le ciel, fou profond et beau comme avoir deux mains, comme : j’ai deux mains. Il y avait la voix de la mère, dans whatsap, lorsqu’on lui avait demandé : maman, le ciel d’Alger ? Le ciel d’Alger, bleu, au-dessus d’une ville blanche et puis des hortensias violets, énormes, presque monstrueux, une réverbération intense, et puis les odeurs de la ville, quelques odeurs d’algues, peu de souvenirs, plus des noms : clinique du soleil, clinique solal, clinique des orangers… et après des mots j’avais dû chercher sur google, en écrivant comme j’entendais « staweli alger ». Google m’a gentiment suggéré : « staoueli ». Cherchell. Tipaza. Des noms. Le carrelage frais sous les pieds. La cour en plein soleil. La méditerranée devant soi. Derrière ma mère, entre les mots du fichier vocal 2018-08-09-audio12520.opus : les cris fauves de quelques oiseaux. Les ciels steack hachés. Ciel père et mère. Milène, on s’appelait. Il y avait Hélène. Il y avait Rémi. L’écriture steack haché. Il y avait les ciels d’aimer. Il y avait les ciels à tout imaginer et c’est bien, c’est bien ça suffit. Le ciel en Grèce. Le ciel du 19ème siècle. Rimbaud devant le ciel. Le ciel entre les pointes de l’épine dorsale d’un stégausaurus. Le ciel de Gaza. Le ciel, mes pieds noirs. Le ciel, dans dix mille ans, dans l’écart qu’il y aura, entre nuque et épaule, de, debout, un humain.

proposition n° 33

Deux vieux descendent d’un taxi, le chauffeur tient la portière, tend les cannes posées sur la plage arrière, il aura un pourboire. Il attend son Blablacar assis sur la barrière. Ce soir c’est grosse crêpe salée pour la famille, pliée triangle dans du papier aluminium, ça coulera tout à l’heure, l’œuf les champignons gris mous. C’est l’heure où les restaurants prennent les relais des commerces, sur la grande place. Elles font la manche devant le distribanque et alpaguent la famille qui a côté attend les crêpes. Le cycliste Delivero a adossé son vélo à la statue au centre de la place, il rejoindra bientôt le flot de la circulation, sac de livraison isotherme rectangulaire bleu sur le dos. Ils passent avec des sacs papier marrons Macdos qui sentent la bouffe Macdo. Il fume assis à l’envers sur son scooter, il ne mate pas les filles, il mate son smartphone. Elles échangent près des trottinettes en libre-service une cage avec dedans un chat, à nourrir sans doute pour les vacances. Ils s’embrassent. Une petite fille joue à faire voler sa robe cloche rose sur la bouche d’aération, sa mère ne voit pas le vieux, assis à l’arrêt de bus et qui la regarde. Elle mange depuis tout à l’heure des biscottes, contre le kiosque à journaux. Elle mange en face d’un clochard endormi presque mort, on lui voit le ventre. Au-dessus du clochard lévite, à demi scotchée, une vieille affiche Centre spirituel Animaev. Ils jettent à un mètre de la poubelle le tract qu’on vient de leur fourrer dans la main à la sortie du métro. Ils s’embrassent encore. Les serveurs se voient de loin, en tablier blanc sur la terrasse pleine, une belle soirée d’été. Ils discutent, le bras appuyé contre le réverbère. Il porte au bout du poignet un sac G2à0, dont il s’est servi pour porter un écran télé, sans doute acheté sur Amazon et récupéré dans la journée chez un particulier, y’a pas d’emballage. Il se fait tard, les témoins de jehovah reprennent leur petit présentoir sur roulettes : Y a-t-il un Créateur qui se soucie de vous ?, Réveillez-vous, Le bonheur familial, Jésus le chemin la vérité la vie. Il passe avec un costume cravate, un dimanche soir, il doit alors sortir de la loge maçonnique tout près. Le coursier consulte son itinéraire sur son smartphone accroché à un brassard Foodora au poignet. Elle fouille dans la benne à vêtements du secours populaire. Il se sont assis sur le fauteuil laissé pour les encombrants avec dessus le numéro en W. La jeune femme passe et repasse en marchant très vite, elle est très maigre. L’épicier de mini market à sorti sa petite chaise dehors, il fait frais. Un bus de touristes lâche sa pleine grappe devant le magasin de souvenirs et va se garer en double file à peine plus loin. Certains métiers se voient, serveurs, livreurs, policiers, chauffeurs. D’autres pas, les professeurs en vacances les dames de ménage qui rentrent chez elles. Un camion passe Dron location de matériel pour le btp et l’événementiel. Une vieille fume à son balcon là-haut. Sur le balcon l’étage du dessous, il y a encore le drapeau bleu blanc rouge de la coupe du monde, ils seront partis en vacances avant la finale. La statue au milieu de la place est belle. On peut être beaucoup autour à fumer manger téléphoner lire vérifier son porte monnaie. Je ne sais pas qui c’est. Une femme tente d’aider une autre femme, dans un anglais de rue, right left seconde on your hand. Ils font une photo devant la statue, un montage perspective minute, de l’un qui avec son doigt toucherait l’un des seins, mais pour l’instantl’index pointe juste vers les fesses de la femme en couverture du magazine pour hommes sur le côté du kiosque, ce genre de magazine c’est côté, devant ce serait trop indécent, devant c’est Le Monde ou Elle ou Management. Ca va ? Vous êtes triste ? Non, je suis pas triste, j’écris. Soit je trouve une fille qui traîne, qui a le temps, qui a le temps de profiter, soit c’est télé. Si elle a le temps, je profite elle profite, sinon c’est télé. On est sur terre, et quand y’en a une qui a le temps, un verre deux verres ou manger, je profite elle profite. Ou alors télé, mais si y’a une fille c’est mieux. La nuit s’avance de plus en plus, et en sous main rémunère le jour, de la laisser un peu plus longtemps. L’air d’été et de vacances sera là jusqu’à la mi septembre, un camelot qui veut pas rendre son stand. Y a-t-il un Créateur qui se soucie de nous ? Dans le ciel passe une étoile filante, pour rentabiliser et au cas où, je fais un vœu.

proposition n° 34

Au sud de Devecey s’immensait le désert biblique et jaune. Le grand désert de sable, où on n’était jamais allée mais qu’on avait colorié, sur des feuilles A4 de catéchèse, et le désert c’était facile, illimité, on pouvait déborder, exténuer le feutre jaune, mort de sécheresse et sa pointe dure, qui crisse mais peint plus rien, même après qu’on ait donné un peu à boire, le bout sur la langue. On finissait le désert dans la tête, alors, en fermant les yeux, ça faisait noir, et il suffisait, remplacer le noir par du jaune du chaud. Le grand désert biblique. La chambre d’or d’Abraham. C’était là où Moise. Le beau désert de Sinai, et celui d’Ephraïm. Les chants de sable et les tempêtes à enrouler le désert au désert, brasser ensemble le même, et aveugler celui qui déjà avait dû abdiquer tout discernement pour s’étourdir du loin devant, autour, partout, de ce genre de partout du ciel. Et ici, comme dans les tunnels interminables qui aujourd’hui relient entre elles les villes lourdes, pleines, on parle, on prie, et sa propre voix s’élève autre, sa propre voix comme déjà une deuxième, apparition ou mirage, mais le monde depuis longtemps est un long doute duneux beigeux, et ce n’est plus croire ou pas, c’est soudain céder, comme nuque craque et la tête presque tombe, et au moment où ça y est, c’est la fin, ça doit être ça, la fin, on réalise : deux mains sont là, qui nous tenaient, et les mains sourient, baisse un peu le son, la petite s’est endormie. C’est, entre les rois mages qui arrivent de loin, entre les hommes à endurer le désert, le vertige la soif la faim le rien, la nationale 7, la route bleue des vacances, qui descend vers le midi, bordée d’arbres de voitures garées portières ouvertes et de petites chaises pliantes rayées en tissu, de limonades et de glacières. C’est, entre l’Egypte la Mésopotamie, les balcons à sortir comme seins d’adolescente pointent, et les petits étendoirs légers déployés ça et là comme des petits extraterrestres adorables, avec dessus culottes et bandanas, en une heure c’est sec, prédisent les mères, et elles laissent le linge là, confiantes, comme le matin les enfants à la crèche, et s’en vont tartiner l’anchoiaide sur des mouillettes préalablement frottées contre gousse d’ail. Les hommes traversent le désert, le long désert de quarante jours, les hommes avancent de cette marche presque à reculons, tête baissée recouverte d’un pagne, pour pas le vent à fouetter, le soleil à éblouir, le sable à blesser les joues. Les guitares affolent le ciel ardent des soirs brûlants, dans certaines plus rares, si l’on se penche on verra, de vieilles villes de sable orange, rouge, presque marron. Les enfants short se hissent sur la pointe des pieds pour ouvrir sur les aires de repos des autoroutes cagneuses les bacs à glaces réfrigérés et dégainer des Kim-cônes, Pouss-pouss, Mikojet et Calipo. Les pères sandales baissent les vitres, et laissent leur bras dehors. Dans les jardins les draps enflent comme un cri se prépare, les vagues abondent, et sous les peaux de certains cuirs s’animent les doublures rouges feu, ça crapahute nu autour des pataugeoires posées bâches sur béton ca et là sous la lumière inépuisable. Les chameaux lévitent leur bosse inanimée en genouillant leurs pattes maigres, dans des souplesses de sabots à s’évaser bas comme des petits animaux. La peau des vieux sèche et lézarde aux heures de siestes contre le mur blanc, très lent. Les dos sont chauds, et cherchent l’ombre. On fuit les places des villes aux heures méridiennes, les vieilles sortent à la nuit promener leur volpino ou leurs chiens d’eau romagnol, tandis qu’autour les fennecs creusent bas sous le sable chaud. Des feux d’été et de chansons sans fin suivent la nuit dans les patios des alhambras, des alcazars. Les épaules se collent à la fraicheur des mosaiques. On couvre les volants des voitures d’un tee-shirt. Le sol est bouillant, en bas. En haut on aspire à la paille des granitas oranges et vertes. Les hérissons de jardins tremblent devant les orteils nus. Les mouettes narguent les hommes et tournoient au-dessus des étals du marché aux poissons, en bas des villes vers les ports. Les motards débarquent aux terrasses des boulangeries de bords de route en grappe, pleins de cuirs et de soleils et enfoncent leur gros pouce dans des cannettes de bières des garrigues. Une cigale meurt sans que ça s’entende. Les enfants se souviendront, plus tard, un jour d’hiver blanc d’une ville de l’est froid, des mains des mères et de l’odeur de la crème solaire en spray, ils ne souviendront pas, comment on fait pour pleurer et chercheront dans Google un tuto. En bas de Devecey, le sud est un grand pare-soleil que les pères accordéonnent et posent sur la plage arrière, avant le parcmètre, les rabanes le couffin maillots et livres, la plage. On conduit pieds nus. On nait blanc. On meurt brun. Même le ciel est maigre.

A l’est de Devecey, c’est une fumée grise qui vit sur place, ne s’en va pas. Le ciel est bas, dans les cuisines on laisse cuire dans des cocottes fonte les pots-au-feu à couvert le temps de la messe. Les usines vrombissent et les trains passent. La nuit tombe, elle vient tôt. Dehors les pas sont petits, serrés, rapides, et les jambes tremblent dans les manches des pantalons. On souffle dans ses mains. Derrière la buée des vitres où des doigts d’enfant ont volé un coeur et un je t’aime Olga au trajet vers l’école et à la main glacée des mères, les nez bleuis penchent dans des girons de chocolat viennois. Le matin gris avale le dos des pères. Les enfants sont au pied des mères. Avec des briques Lego jaunes rouges et verts ils hissent et démontent le mur de Berlin pendant qu’au-dessus d’eux les mères, entre deux doigts, démêlent leurs nœuds blonds. Les mains gauche et droite se rapprochent au fil de l’accordéon. Les lèvres de Victor toucheront bientôt celles de Marina, dans une casardas hongroise ou slovaque dansée à deux temps et un kouglov dans la cuisine. Les bières coulent entre les seins et sur les smartphones qui dépassent des poches des robes des serveuses bavaroises. On va volontiers dehors, même à l’hiver long. Dedans, les cartes collent un peu au bois des tables des tavernes pleines d’épaules d’hommes, d’instruments dorés posés sur des genoux et dans lesquels soufflent des joues pleines, rouges au milieu et blanches sinon, la musique et la choucroute réchauffent l’air. A l’est de Devecey, c’est les tziganes, dont je ne sais rien, à part une exposition « tziganes, gens du voyage », et qu’il y avait, entre les chaises tièdes et les plantes vertes municipales, soudain un air de liberté, de misère et de liberté, d’une vie dehors sans qu’il fasse chaud, de pull trop grands, et de corps serrés les uns contre les autres, et que les visages me regardaient, que les visages vraiment me regardaient, comme si eux et moi avions oublié, que bien sûr c’est une photo et une exposition, et dans soudain une grande naïveté – une naïveté ou une croyance forte, plus forte que la nôtre molle et convenue, à la présence.

Au nord de Devecey, s’étend finalement la banquise inhumaine des livres d’enfants. La banquise des ours blancs et des igloos. Le long monstre ivoire glacé, mais lumineux, intensément. Au nord de Devecey, c’est le Pole-Nord déjà et l’océan arctique. Une immense fuite immaculée. Surtout, c’est l’issue enfin trouvée, pour se hisser hors du champ contrechamp perpétuel du jour et de la nuit et des trocs courts comme des hoquets, aborder enfin l’élégie lente et superbe d’une seule nuit contre un seul jour. Une seule nuit de six mois, à se partager l’an, et comme si la vie effectivement n’était plus que ça, une ascension et ensuite une avalanche. La banquise le désert blanc, on verra la carrie de la vieille inuit deuxième molaire gauche depuis la lune lorsqu’elle baille. Comme enfant on jetait aux fontaines des places des villages une pièce, pour la chance le bonheur et l’année nouvelle, et la pièce étincelait sous le vrac d’eau. La banquise d’un seul regard et sans l’interruption humaine des immeubles, des épiceries, des chiens de ville, et ni feu rouge ni phare. La banquise, on se souviendra soudain qu’un seul regard devrait suffire pour aimer, aimer tout en une fois pour toujours, et si la vie parfois est trop longue c’est qu’elle est pleine d’images, au lieu d’une seule île sans bord qui repousserait sans cesse sa mer. La banquise l’incandescente expiration blanche, pleine, longue, lente sans plus la contrepartie mesquine d’inspirer reprendre des forces. La banquise, la neige en grand, la neige en longtemps, la neige en violente, la neige sans la terre dessous. C’était le 21 ieme siècle au grand nord de devecey et la banquise fondait. Pendant que nous vivions plus ou moins longtemps et fort, pendant que nous écrivions plus ou moins bien, pendant que nous faisions plus ou moins bien l’amour sur des lits rectangulaires, la banquise fondait, et le temps finissait. Il y aurait une application pour les filles gentilles qui aiment les mères sans réussir à bien leur dire. Les filles gentilles iraient dans le monde, aux quatre coins du monde, planter dans la banquise blanche, et entre deux statues de l’île de pâque, au milieu pile de la muraille de Chine, et sur le pont rouge de san fransisco, des mots d’amour des mots de je t’aime des mots forts et doux des mots qui calment pour que les mères, avant de mourir, aillent tremblantes et croulantes, dans des fins de forces sublimes de comme les derniers mètres des marathons, pencher dessus leur smartphone dernier cri offert à la fête des mères, scanner un qr code en forme de cœur et entendre, dans un ultime tour du monde et de piste, entendre les je t’aime maman des filles gentilles craqueler les nappes blanches de la banquise, les nappes un peu grises à force de vivre de leurs tempes. On restera sur la banquise imberbe pâle et boréale sept jours, la création à rebrousse-poils, et on oubliera la forme des villes.

A l’Ouest de Devecey, la grande Amérique rit gras. Elle étend ses jambes loin devant, et son bras le long des dossiers cuir des banquettes rouges des diner. Elle saute d’un camion truck Western Star pour la pompe à essence, va au cinéma sur des parkings le soir et berce des poupons pour apprendre comme si des vrais bébés. C’est le Texas des mobil home et des petites maisons à peine posées sur le sol, qui ne tiennent pas le temps d’une vie, légères comme des cheerleaders en première année de fac, sous le beaucoup de ciel et le pas beaucoup de dieu. Maxi best of Nothing. Le long des highway, les motels imitent l’Amérique qui imitent les films américains, et partout des steack, même les vaches dans les champs, des steacks, et les épaules des étudiants, des steacks. On vient chercher l’eau dans un bidon au water store de Los angeles Agua Aqui. Le linge durcit dans les séchoirs au laundry pendant qu’on lave la Ford à Car Wash. C’est l’été sur San Fransisco. Les clochards de Tenderloin ont un pont rouge accroché entre les deux yeux, de coke à crack. Ils sont dans les rues un sac poubelle sur l’épaule qui touche terre et qu’ils traînent derrière eux, remplis de cannettes. C’est pour la consigne. Je suis un ours jaune et bleu en petit short et je cours ce dimanche matin dans le campus encore désert de Berkeley. J’ai moins de seins que les américaines et un gros accent français. C’est l’été sur Yellowstone. C’est l’été et c’est la nuit, les geyzers continuent de fumer. Demain on se réveillera avec Le Monde, Google s’est réorganisé cette nuit. Ce sera presque comme avoir changé de siècle. Regarde comme les étoiles sont mad ce soir. Cette nuit, dans une des mille fenêtres d’un des mille gratte-ciel d’une des mille villes la grande Amérique, loin du sol, et à l’Ouest de Devecey, Google en personne a signé. La nuit dans Yellowstone les élans brament, leurs bois flottent et jamais ne se cognent. Les bisons ont des visages d’humains, et plutôt d’hommes que de femmes, d’hommes qui auraient la plus longue, la plus belle raison de pleurer, mais pas assez de force pour encore être tristes. Larry Page a signé cette nuit un papier, et je tremble, l’immense immensité mais le manque immense aussi, soudain, de Dieu et d’un câlin, d’être rassurée. Les guides de Yellowstone communiquent par talkie walkie. Sur les tableaux blancs devant les lounges en bois, les heures les endroits et le nom des bêtes aperçues. Nous sommes les voitures qui parlons comme des bêtes, par signes et couleurs de phare. Des complicités de 4-4, ça bouchonne, on ouvre les portières, est-ce-qu’il y a quelque chose ? Les rangers débarquent, c’est un ours. Il disparaît entre les fourrés, on a vu un ours. Le cœur chaud de la terre bat ici à vue, je suis en short pour toujours. C’est que tout soit si grand, ça rentre nulle part, et pourtant ça rentre bien quelque part, et j’ai mal, j’ai mal ou il y a mal. L’incendie de 88 a enflammé Yellowstone. C’était un feu naturel, les rangers ont laissé faire. Ils ont évacué, ça a brûlé des jours entiers, ils sont revenus, et tout avait changé. Aujourd’hui les sapins poussent à côté des troncs secs, vivants qui se tiennent tout près des morts, et la terre est régénérée. On trouvera le wifi en plus des geyzer. Le vieux ranger seulement a pleuré. Il ne serait plus là pour voir la nouvelle génération pousser. Je suis née, plus près de Devecey que de la grande Amérique, pendant que Yellowstone brûlait. Une petite file tombe. Tu as mal ? Non sauf à mon corps. Elle a chaud. J’ai chaud. Il ne fait pas si chaud. Le chaud est dans ma tête. Old Faithful lance ses vapeurs. La terre bouillonne. Dans les prairies, les bisons, accablés et modestes, paissent et meuglent. A New York le bitume pleure et crie et chante, what do we want ? Justice. When ? Now. C’est que ce tout soit si loin, si grand, et moi quand même la même. La nuit d’été entame sa vire vers Luna Park. Coney Island est un vieux pantin de bois. Ce sera bientôt l’heure de rentrer, la fin de l’ouest l’est le sud le nord et le retour aux journées, avoir plutôt des journées que des lieux et des dieux. De vieilles russes très apprêtées marchent en se tenant le bras, la mer est calme. Elles ont un châle sur les épaules, bientôt elles prendront un plateau de fruits de mer. L’été était beau. Je sais qui je suis et puis je ne sais pas qui je suis.

proposition n° 37

Le père a dit « c’est beau un beau bol ». Il vient du vide grenier, la potière avait de l’arthrose, elle devait arrêter. C’est beau un beau bol, a dit le père, et c’est la cuisine toute, qui a été plus ronde, onctueuse et orange comme une soupe en louche. Les médecins de ville ont des cabinets dans des appartements qui ressemblent à des cabinets qui ressemblent à des appartements avec du parquet intime sous des chaises impersonnelles de salle d’attente. Le psychothérapeute a sur son bureau une carapace de tortue, en presse papier. On vide les carapaces comme on ouvre en grand les quatre portières de la voiture et on passe l’aspirateur sans fil qui a tête de tamanoir. On vide les tortues et on les met sur des bureaux, c’est parce que c’est lourd, ça fait pays lointain, ça porte bonheur. Les anciens jeux de société s’empilent sur les étagères dans les caves, on ouvre les boites entre deux doigts pour récupérer les vieux dés à jouer à des jeux nouveaux. Un jour on les vend, au vide-grenier, avec un petit bandeau scotché, complet sauf dés. Les chambres d’enfants sont pleines des mains des mères, les édredons enflent l’après-midi, le lit a des douceurs d’ourson. Les chambres d’enfants sont terrifiantes, quand on y vient en leur absence, et après que les enfants sont morts. Les jouets ne pleurent pas, qui ont indifférences de plante verte. Un jour la mère craque, elle les descend à la cave. Un jour la mère a presque fait son deuil, elle les donne pour rien, au vide-grenier, à un enfant comme lui, mais vivant.

proposition n° 38

Le droit de vivre.
Le droit de mourir.
Sinon quoi ?
On ne demande rien au hachis parmentier, qu’être du hachis parmentier.
Qu’il y ait un bol n’est pas moins étrange qu’il y ait saturne.
Devant dehors autour dedans et l’au-dessus immense.v
Les mots raccrochent ce que les mots décrochent.
On prendra de l’élan sur la langue.
Des réserves, des réserves.
La langue devra aimer, être aimée, pardonner, s’excuser.
La langue sera yeux nez bouche.
La langue aura des pieds et ce sera elle, le matin, qui… petit déjeunera, travaillera, métrora, dormira...
Après quoi on pourra.
Enfin !
Le livre devrait déborder comme un gros bol de soupe sur une table l’hiver après rentrer du dehors du jour long et du froid.
On devrait pouvoir mettre le visage au-dessus du livre et trouver qu’il fait chaud.
Donne une pichenette dans une miette, tu verras qu’elle volera.
Si on s’approchait bien, on verrait que le livre tire la langue.
Si on s’approchait encore plus, on verrait que cet imbécile joue à presque se laisser tomber, du haut de l’étagère.

proposition n° 39

C’est comme une pensée s’en va. On se souvient le premier jour, de ce qu’il y’avait la veille, là, un champ, et puis, c’est comme une pensée s’en va, et il y a un trou, et on ne sait plus, un champ mais un champ comment ? Il n’y a pas de mémoire, que l’espace et ce qu’on voit devant. Depuis sa terrasse la vieille suit chaque jour le chantier de super u comme un bon feuilleton. Les enfants s’approchent des grilles. Les grues sont belles comme des dames. Les grues pourraient les soulever par le col. Les parpaings s’entassent, ce n’est pas comme des legos, gris sans couleur et troués. Les hommes travaillent avec des casques oranges, un casque comme quand on fait du vélo devant la maison, orange comme les prisonniers dans les films américains. La vieille voit bien : super u vivra plus vieux qu’elle. On la couchera au cimetière, ils feront l’inventaire le soir dans les rayons. La vieille voit bien : super u, c’est Besancon qui s’approche de Devecey, on n’est déjà plus un village vraiment, on a des hontes et des culpabilités, on est autour de Besancon, on est pratique, on est moins de circulation, on est le petit saut par Cevecey, après la journée, les courses l’essence et facile pour se garer. La vieille voit bien, les grues qui s’affairent, pas très loin du cimetière, ça doit boucaner fort pour ceux qui sont déjà tout à fait tranquilles. La vieille voit bien, on meurt et tout encore vit, on sort d’un bal, ce serait plus simple sur la fin d’une musique, mais on sort d’un bal et une nouvelle chanson s’entame. On décale, comme une vieille porte. Les enfants se fascinent. Les pelleteuses s’embrassent, elles vont chercher loin dessous et elles reviennent, pleines comme des femmes enceintes. Les pelleteuses décrètent une temporalité autre, de racines, d’animal enfermé dans un animal. Les pelleteuses ont des lenteurs de filles simples et des applications de filles gentilles. Les pelleteuses sont comme des trains comme des escargots les pelleteuses sont indifférentes. Et puis les enfants un peu s’ennuient. Ou bien, veulent s’exciter, comme on décide, d’aller jouer dehors, et même s’il pleut. Ils sortent leur zizi. Ils sortent leur sexe comme des hommes, comme des pères, mais leur sexe s’appelle zizi, leur sexe a un prénom d’enfant de chat, comme Tagada ou reinette. Les enfants frottent leur zizi aux grilles, en regardant les pelleteuses tendre leurs nuques et décharger. Les enfants regardent et leurs sexes en bas entre leurs deux yeux se dressent. Et chacun de leur sexe installe, comme les pelleteuses, sa temporalité, d’animal à part d’eux, de limace sans cerveau qui parfois durcit, s’anime sans s’animer vraiment, s’anime sans s’en aller, s’anime sur place, s’anime pour rien. Les enfants ont leur sexe près des grilles et les pelleteuses se frottent, leurs becs se croisent et se décroisent. Ils calent maintenant leur respiration sur les machines, inspirant et n’expirant que lorsqu’elles recrachent leur semence de gravats. Ils ont dix ans, deux mains chacun, un sexe chacun, une mère chacun, un père, une vie à mener mais ça peut être qu’ils ne le savent pas encore. Ils découvrent le plaisir dans une petite synesthésie locale, d’ici bientôt un super U, et personne n’aura rien su, de ces après-midi le sexe dehors qui respiraient. Eux non plus, ne se rappelleront plus trop bien. À peine si, zieutant dans le dos des mères un magazine pour hommes au rayon presse du super u, entre l’Est Républicain et Le Monde, avec des femmes nues dedans, ils se souviendront, du déployé fade et fascinant des hanches presque inamovibles des pelleteuses, et que leurs sexes suivaient des yeux.

proposition n° 40

Après le petit souterrain, et l’écho, comme avoir un deuxième copain avec soi ou la souvenance d’un frère mort bas dans le ventre, l’ancienne voie ferrée était devenue la voie verte, qui reliait entre elles les communes. C’était la fin déjà de devecey le village, comme on bute à la fin de l’année ou comme les enfants parfois s’amusent, à toucher leurs orteils. Les rails avaient été enlevés, n’en restaient que quelques uns, épars, mèches survivantes sur tête de chauve. A partir du petit souterrain, il n’y avait plus ni commerce ni maison, et rien que cette longue voie qui longeait l’épuisement des villages. On marchait sur du passé, l’époque florissante du train et d’amener les choses en train, quand grâce à lui un pas ne valait plus un pas et que loin était plus près. La voie n’apparaissait pas sur Google maps, lorsqu’on indiquait vouloir aller de devecey à Vieilley, c’était pourtant l’itinéraire le plus rapide et simple à´ pieds, droit, sans aucun virage ou de ces façons qui font des routes autre chose sur juste un trait. Les mères dans les cuisines n’avaient qu’une image alors à former sous le crâne, pour suivre en pensées les dos leurs enfants partis maman rejoindre Fredo à Vielley on va taper le ballon, une longue voie ferrée absente, pleine de train fantômes et de traces sans mémoire, pour des enfants d’années 2000 oublieux du temps des choses et des gens, de la vieillesse du monde et des mères, des fleurs couleurs et formes des saisons. Le dimanche, le chemin servait de promenade digestive après les déjeuners dominicaux plus lourds et longs que ceux de la semaine, avec ses six journées qu’on ne voyait pas passer, furtives comme des vives, lundi mardi mercredi jeudi vendredi samedi. Dans les soirées d’été, les jeunes grandissaient ici leurs adolescences tardives dans des canettes de bières à taper le plus loin possible, dans des rendez vous avec des filles et des capotes laissées sur place, des petites enceintes portatives à faire en bordure de villages des réponses blafardes et comateuses de shit et beuh aux meuh beiges des vaches comtoises. On venait se battre. On courrait nus et joyeux aux résultats des examens et avant le départ définitif de devecey et de la région pour la grande France et la fin des mères et le début du mal de ventre et de melancolier ses dimanches dans les grandes villes de France loin des villages, d’avoir ses amis près, et les champs autour, le ciel en haut, et l’avenir devant, comme voie ferrée manquante ou rêvée.

proposition n° 41

On revient, on revient c’est par les escaliers. Le petit moulin du jardin tourne, il ne sert qu’à tourner, et montrer le vent, que c’est du vivant, pas en photo [1]. On revient, on a garé la voiture devant. C’est l’entre temps qu’il y a, entre les choses et revenir, entre l’arrière de la voiture et avoir grandi, avoir grandi tellement qu’on a le permis. L’allée du garage, qui descend. Le jardin, qui fait le tour. Les escaliers, qui montent, pour l’instant. Ça y est. Elle a posé sa main sur la rampe qui mène à la terrasse, elle est la petite fille. La fille du père, celle du fils de la maison. Elle revient, c’est juillet, c’est juillet comme chaque année et comme toutes les vacances. Juillet d’ici dans le plein oubli de bientôt septembre, d’à nouveau les longs matins, le gris, les froids. La chaise en plastique blanc, à côté de la table que recouvre la nappe, la chaise en plastique mais indépendante de la table, une chaise pas pour manger, une chaise à lire et tricoter, une chaise à ouvrir le journal, à caresser le chat, et une table à poser les lunettes, à poser l’avant-bras. La terrasse, boucle d’oreille de la maison. Les géraniums à affronter les montagnes, et les belles lettres du nouveau Super U, à se dessiner dessus comme si Hollywood, Hollywood à soudain Devecey. On revient, et puis on repart, c’est pour faire la mer, il n’y a pas la mer, ici. [2] On repart, le taxi nous a attendue. On repart, à 110 kilomètres heures, comme recommandé sur les routes de campagne. On repart, on a quatre ans, à l’arrière du taxi, mi-juillet tout ça d’été, et les yeux sur le fil électrique qu’on dirait bien que c’est toujours le même morceau de caoutchouc qui vient avec nous dans la vitre dans la fenêtre, comme parfois en ballades les chiens inconnus. [3] Besançon Viotte, Madame. [4]

proposition n° 42

Entre propositions n° 1 et n°2

Besançon Viotte, Madame. Et puis on ferait comme dans les films, on dirait non, non monsieur laissez-moi descendre, en fait je ne veux pas, ramenez-moi. Madame, calmez-vous, calmez-vous enfin. On ferait comme dans les films, de sortir la main par la vitre, pour rattraper le paysage, c’est comme dans la mer nager contre les vagues. On ferait comme dans les films, d’ouvrir la portière en pleine course, de laisser un billet sur le siège, de descendre, de courir, de remonter la route, de revenir. On reviendrait revenir. Puisque c’était ce qu’on faisait. On ferait comme dans la vie, d’être essoufflée et rouge, et la peur de mourir. Il faudrait boire. L’eau est coupée. Le robinet d’arrivée d’eau, on ne sait pas où c’est. Parmi le tout ça qu’on ne sait pas, d’où venait la joie de la grand-mère, si la jambe droite lui faisait mal, ce que ça fait, d’avoir une jambe droite, si elle aurait voulu aller à l’école plus longtemps. Il est où le robinet d’arrivée d’eau ? Les gens meurent, qui laissent une maison. Les gens meurent, on les aimait, sans savoir ce que ça pouvait faire, être eux, la vie en eux, la vie comme nous mais en eux. Les gens meurent, on cherche leur robinet d’arrivée d’eau. On prendra autre chose, pas de l’eau autre chose. L’eau appartient au village et aux rivières. Les briques de jus de fruits appartiennent à juste la maison et au congélateur avec les réserves, comme pendant les guerres, pour si des visites et des petits enfants, des voisins ou pour l’infirmière qui venait, faire les pansements et les piqûres.

Entre propositions n° 2 et n°3

Est ce que tu sais si ta mère avait d’autres sacs de course ? La fenêtre ne se ferme pas bien, il faudrait raboter. Ca dû geler, l’hiver passé. Soudain on a découvert à la maison des petits vices d’usure, sans qu’on sache trop si c’est là vieillesse de maison ou leur vieillesse. Quel sens ça peut avoir, une petite fuite, vers la fin ? Les beaux échafaudages, les chantiers et réparer, c’est pour les épaules jeunes. Quand même, ils avaient investi dans une douche à l’italienne. C’est pour la jambe droite et passer de être habillée à être nue, de être sèche à se mouiller facilement, sans le rebord à enjamber. Mourir à l’italienne, on meurt sans même lever le pied, on meurt dans la continuité d’une pièce, on meurt dans vivre, on meurt sans rien soulever de soi, on avance doucement et c’est la douche mourir, et l’eau de la mort, en petite pluie massante mitigeur inox ergonomique. Est ce que tu sais si ta mère avait d’autres sacs de course ? Les joints de l’évier à la cuisine sont décollés. Est ce que cette installation est aux normes ? La fenêtre ne se ferme pas bien.

Entre propositions n° 3 et 4

Route de Bonnay. Rue des charmes. Route de Besançon. D108. Vers Chatillon le duc Rioz. Rue des Bolons. A36 suivre Paris et Lyon.

proposition n° 43

On a demandé au père, ce qu’il regrettait ne pas avoir fait avec ses parents. Il a dit ne pas les avoir emmenés à Paris. Qu’ils auraient pu aller en voiture manger une glace en Italie. Ne pas les avoir emmenés à la mer. Si les textes sont les berges, où viennent finalement claquer les écumes denses, il faudrait les ériger le plus tard possible. On emmènerait ses parents voir la tuyauterie colorée de beaubourg, le sacré cœur, la Tour Eiffel, et les bateaux sur la mer. On les emmènerait au bord de l’eau, ils ne savent pas nager c’est quand même beau. Le père a continué. Ils ont passé leur vie à travailler, pour rembourser la petite maison. Le père est à la retraite. On était devant la mer, la lumière et la chaleur d’août. La mer était immense et bleue. Je veux dire que tout à coup elle était vraiment immense et bleue. Ils ont passé leur vie à l’usine. Les petits matins de partir à l’usine. Le père était descendu vers la lumière, devenu instituteur, les vacances, l’été. Si les textes sont pleins de ce qu’on a écrit et oublié d’écrire. J’aurais pu, plus parler du grand père et qu’il était une branche sèche, si la grand mère un tonneau, et qu’il s’est mis à faire des blagues et rire tard, qu’il a été un grand père sans rapport avec le père que mon père avait connu. J’aurais pu parler des fontaines fleuries et de la tournée des fontaines les soirs d’été pour arroser les fleurs de la fontaine avec l’eau de la fontaine, au moins ça allait vite. J’aurais dû parler de l’hopital, qui a son arrêt de tramway. Si les textes sont ce long regret qui ne sait pas se dire, de juste avoir compris trop tard, que les parents vont mourir et que le monde était cet endroit où aller avec les parents et que le monde comme endroit va rester et les parents comme lieu vont partir. Si les textes sont ce long regret pas précis, de toutes façons quoi, de comprendre trop tard, ils vont mourir, réaliser ça, ils vont mourir, mon père dans entre dix et vingt ans si pas avant va mourir, mais il y a peu on en était encore, à attendre de mourir soi avant eux et pour que ce soit eux, qui fassent notre homélie, et parce que si la vie n’a pas de sens, après, la mort non plus, de mourir dans le monde sans les parents, ni vivre ni écrire et ni mourir. Et ça n’empêche pas, écrire, qu’on aille à la plage, mais c’est encore le père, qui emmène à la plage, et pas on pas je pas moi, qui l’emmène à New York ou à Rome à Lisbonne et au palais de l’Alhambra. Si les textes sont faibles comme des dos, si les textes sont des tisanes tardives, des tisanes claires de tous les lieux du monde qui resteront après les parents, claires de la vie qu’on mènera où ils ne seront plus et dont ils ne sauront rien. Les textes bien sur sont faibles et manquants, devant mon père et le visage qu’il a, et devant la mer qui ne parle que de devecey et du ciel des matins qui serrait l’enfance, un tricot après la nuit humide. Et la lumière, et les visages, contrairement aux textes, sont des choses unes. Devant un chat le père toujours s’extasie : tu ne peux pas pas croire en dieu, regarde comme c’est beau, comme c’est parfait, il ne manque rien, ça ne pourrait pas, un chat, être autrement que c’est. Les textes ne sont pas des chats. Chaque année le père donnait à ses élèves, l’exercice, imaginez l’humain si l’humain n’était pas comme il est, bras et jambes et tête. Tu veux des extraterrestres ? Non, des humains, mais si les humains étaient autrement. On n’a pas compris, l’exercice du père. On a attendu qu’il aie soixante ans, pour lui demander s’il est heureux de son ventre, s’il se trouve beau, ou pas très beau. J’aurais dû parler des vieilles tantes qui s’enfoncent maigres à une chaise, dans la salle des fêtes. Et des mains grosses corneilles qui s’agitent au-dessus des assiettes. Des enfants qui courent entre les tables. De Paris qui attend. De Paris pas loin, comme on laisse son sac à mains dans un coin de la salle. Il y a le père la lumière et la mer, il y a les chats. Les chats beaux promènent sur leur dos la journée quand les maisons sont vides chacun un livre.

proposition n° 44

C’est avancer dans le texte dans la ville comme dans de la mauvaise viande, filandreuse, c’est avancer en s’aveuglant presque exprès, et l’ivresse de s’aveugler, de se boucher yeux comme on remplit sa bouche, c’est avancer et en avoir plein sur soi, du rouge du sang. Du pas liquide, du paille mouillée écarlate. C’est ramper debout avec les coudes, on écarterait ce qui ne plie pas, ce qui, pas souple, interromprait sinon la marche, comme on chasse des joncs du mollet, pour préparer le pas suivant. On ressortirait de la ville pleine d’odeur, balancée entre être écœurée et le regret que ce soit pas encore plus que déjà c’est, et la ville une grosse aisselle où coller la joue, on aurait le droit, puer, et on ferait plus la différence entre son sang à soi et le sang des autres, son odeur et celle des autres. On serait en ville comme un gros orteil tuméfié dans sa belle semelle vermeille. On avancerait dans la ville comme la langue et les dents s’avancent dans la viande, quand il faut éviter les nerfs et faire du vide faire du passage. On avancerait dans la ville comme brasse dans une gencive pleine juteuse et violente, une plaie. On croit qu’on marche, ça déchire, ça s’écarte, ça se fend, et il faut coller l’oreille, pour entendre, ça crie tout doucement, un long bébé fin qu’on a tiré pieds et tête et qui suit la ville, un long bébé berge, rose vif gluant. La ville viande aurait son rêve. On rêverait après la congestion de soudain une ampleur comme la place le temps de crier dans une grande halle vide avec rien qu’en cascades des bâches transparentes de boucheries, à tomber rigides, à dévaler toutes droites et coller la peau un peu quand on passe entre, des grosses larmes agglomérées. On s’avancerait dans la ville et ça irait jamais dedans, jamais au cœur, le cœur un ballon un pneu un poumon qu’un enfant machinalement tape et renvoie plus loin, le cœur on dit cœur, au coeur, mais ça verse à gauche. On attrape la ville par les flancs, comme on retourne sur un étal une côte large de bœuf. On avance et le cœur tombe plus bas, on avance droit et ça vire gauche, la ville une bouteille qu’on penche sur une table penchée. La ville vient avec nous, la ville suit comme chien suit la viande, la ville vient sur nous, c’est notre pied la ville. On marche avec son pied sur son pied. La ville le chien et la gueule du chien qui tient dans sa gueule l’autre gueule d’un autre chien.Tombent dans le grand vide de la halle du rêve de la ville les bâches plastique transparentes, comme tombent dans les bouches les voyelles, et ce n’est qu’à la fin du rêve qu’on réalise : le plastique de la bâche, c’est le plastique le même que celui des albums photos, les petites poches plastique où l’on fourre les portraits les visages comme menottes d’enfant dans moufle. Son enfant meurt, la mère ne hurle pas. Son enfant meurt et la mère voudrait au moins, monsieur, garder une de ses mains.

On avancerait dans la ville comme une épaule d’enfant sous la main d’un père, à peser doucement, et l’enfant d’abord est content et puis se plaint, une main c’est lourd, et puis un jour se retourne, et la main n’est plus là, et la main manque, et si la main manque l’épaule aussi manque. On avancerait dans la ville, on voudrait que la ville s’avance sur le visage. Que la ville comme un gros chien doux s’assied sur le visage. Que la ville s’avance comme s’avance la paille dans la bouche quand on aspire, que la ville s’avance comme remonte le coca. On tiendrait la ville au bout de la main, comme tiennent dans leur main les enfants au passage clouté les peluches de lit et de nuit, et les mères de l’autre côté des mains de l’autre côté de la peluche et de l’enfant, et les têtes de mères à flotter loin des têtes d’enfant, et les têtes de feu rouges, et les têtes par deux par quatre ou une ou trois dans les voitures les têtes de voitures. On serait dans la ville comme une petite fille arrive devant l’école et chasse sa mère une rue avant. Le temps de la rue qui reste avant l’école, la fille joue à être la fille abandonnée, la fille que sa mère a laissée, la sauvageonne qui va seule entre les rues jusqu’à l’école. On avancerait dans la ville comme une sauvageonne, son petit pagne toujours à remonter. On serait un petit singe. On serait un petit singe dans le ciel gris.

La ville est une épicerie, le front d’une épicerie, la ville est une placette, la ville est le rond d’une fontaine. Le texte aime que les choses soient ici. Le texte a peur du loin. Le texte tire sa marge comme la chèvre tire sa corde, et le texte comme la chèvre n’aimerait pas, finalement, que la corde aille plus loin. On pourra se pendre dans le texte, en pliant la petite corde, le cul de la petite chaise étroite, une petite chaise de cuisine ou de messe, une chaise modeste, une chaise maigre comme n’avoir soupé toute sa vie durant qu’un bol de soupe, une chaise pour deux pieds larges comme deux dents, on pourra se pendre dans le texte, ce n’est pas très haut mais juste assez, assez haut pour une chaise un humain, on mourra de rien, de la taille de juste une petite chaise, et deux pieds qui pendent dans le vide, deux pieds qui rasent le sol. Et y’aura dans la pièce dans le texte, le même silence qu’il doit y avoir, autour des pendus, et avant qu’on les découvre, avant qu’on entre, et que comme dans les films comme dans la vie comme dans la vie quand la vie est triste comme un film triste. La ville est un petit caniche qui tourne dans les mollets de sa vieille. Le texte ne veut pas penser grand. Le texte est un petit bocal posé sur un meuble, et qui ne veut pas savoir l’océan et la barrière de corail et les murs de requins. Le texte tremble et la ville tremble et on tremble et on se met à vivre sur trembler, comme une petite vieille de bus se tient à sa rampe.



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1ère mise en ligne 11 juin 2018 et dernière modification le 15 septembre 2018.
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[1Sur la vidéo du père, le moulin tourne aussi. Il n’y a que chez moi, que rien ne tourne. Je ferme les fenêtres. Souvent je tire les rideaux. Je n’ai pas de jardin. Pas très loin de chez moi les cars de voyages tournent autour du Moulin Rouge. Cet été j’ai acheté un ventilateur. C’était pour refroidir mon ordinateur. Je mettais l’ordinateur devant le ventilateur et je regardais, comme font les vieilles avec leur caniche—avant l’appartement était pour elles et leurs maris et les enfants, aujourd’hui tout est pour le caniche. Parfois je souffle entre mes doigts. C’est pour les petites tempêtes les grosses frayeurs, et avoir en même temps dans ma studette trois mouches et un infarctus.

[2Ici non plus il n’y a pas. Ma chasse d’eau fait son bruit bas. C’est à moi, d’imaginer les poissons.

[3Il y a des chiens. Mais pas des inconnus. Les gens sont plus inconnus que les chiens, par exemple.

[4On est en septembre. C’est un texte d’été, de juin. Un texte d’enfance, écrit plus tard plus loin. Comme avoir mes mains loin de mes yeux, et mes mains me regardent. J’ai plus de bras, j’ai moins de coeur, peut-être. Ca repousse. Ca repousse ailleurs. C’est comme les fleurs. Je préfère regarder les vidéos d’avant si je suis aujourd’hui moins laide moins grosse que la fille des vidéos d’avant. Il faudrait pas relire si on a moins de coeur moins de chaud que la fille qui a écrit.