Antoine Gentil | Être quelqu’un

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Mini bio et liens à compléter.
proposition n° 1

Sous l’appentis, derrière le cabanon. En fait, un garage plutôt, celui du serrurier-métallier qui habite en face, le père de S son copain d’école primaire qui avait deux ans de retard et qui faisait du rugby. Les voitures les frôlent lui et les autres. Il y repense maintenant et il sent leurs vibrations dans ses jambes. Il marche sur les graviers et les touffes d’herbes du bord de bitume pour rejoindre cet abri qu’ils se sont appropriés par habitude. Enfin, c’était déjà comme ça avant qu’il n’arrive en sixième et se mettent à attendre un car tous les matins de semaine. C’est un acquis des générations précédentes pour se protéger de la pluie. Les murs sont un chevauchement grossier de larges lames de bois noirci. Coule la résine. Parfois, on dit à un petit qui s’approche un peu trop de la nationale de faire gaffe quand même. Surtout l’hiver quand il fait nuit. Il faut dire que la pente est à douze pour cent et la route bien droite. Les bagnoles tracent ! Une fois une ambulance est allée poser une roue sur le talus et a fait un tonneau devant leurs yeux à tous. Irréelle séquence quand il y pense. Il suffit qu’un conducteur s’égare et ça peut aller vite ! Ils les connaissent par cœur les histoires d’accidents de cette route. Les freins du camion qui lâchent ou l’autocar des aveugles qui revenaient de pèlerinage et a dégringolé la pente en passant le parapet. D’ailleurs, le car scolaire a un laissez-passer, les autres bus prennent une déviation obligée. Ils sont trois quatre ados à ne se voir que là sur ces mètres-carrés. Mains dans les poches et sac sur une épaule. Pas le même âge, pas les mêmes fréquentations. Ils rejoignent un lycée qui est vaste et les filières font sélections. Souvent, ils ne se disent pas grand-chose. Il y a une fille qui crée la conversation mais elle n’est pas là tous les jours. Elle a un an de moins que lui. Comme une rythmique saccadée, les véhicules défilent devant leurs yeux à quatre-vingt-dix à l’heure. Il revoit le ralenti du car qui stoppe devant la bordure à vingt centimètres du pilier. Il entend le bruit des vérins hydrauliques quand les portes s’ouvrent en se dépliant. La file des voitures obligées de freiner. Une odeur de frein chaud qui pénètre à l’intérieur du bus certains matins. Il faut enjamber une rigole qui canalise la flotte les jours de pluie. Un torrent passe sous la route à cet endroit et sous la maison d’en face aussi. Drôle d’édifice accroché à la roche, vestige d’un temps où gravir cette rampe devait être toute une aventure et faisait exister une économie. Il monte les marches du car, il est ailleurs déjà. Dans la multitude qui l’attend en contrebas. Il va descendre au cœur du brouillard parce que le lycée est en fond de vallée. Ça se lèvera vers midi. Il est déjà avec celles et ceux qu’il va retrouver sur le grand parking, chacun arrivant avec son car et s’attendant devant l’immense mur blanc. Des bises, des serrages de mains. Et comment être quelqu’un.

proposition n° 2

Sous le croisement. Plan incliné croisant plan incliné. La route nationale au pied et au ras de la façade brune. La petite route communale au dessus de la toiture interrompue car la construction s’appuie à la paroi. Le parapet dépasse les deux cheminées. Deux étages à la baraque qui tient au relief et qui semble en plus suivre l’inclinaison de la grande route. Font exception, le recoin sous l’appentis et la terrasse bétonnée après la dizaine de marches, le portillon et les balustrades en fer forgé. Un bâtiment principal. Trois rangées de fenêtres sans harmonie, bordées de blanc. Deux garde-corps devant des volets métalliques toujours clos. Les angles avec une peinture en trompe-l’œil, simple frise de rectangles blancs. A la base du mur, les pierres noires apparaissent. Au-dessus de la première fenêtre, perpendiculaire, un support métallique rouillé soutenant quatre isolateurs en verre. Plus aucun fil électrique bien sûr. Le rez-de-chaussée est une immense cave qu’on atteint par une entrée sous la terrasse. Sur la droite, un curieux bâtiment mitoyen avec une poutrelle métallique qui porte une dalle, une pièce avec une fenêtre close. Au-dessous, un espace conquis dans la maison. Une cavité avec quatre portes minuscules et mystérieuses dont une s’ouvre sur le torrent qui dégringole sous la baraque et sous la route. A gauche, le croisement avec la falaise qui s’effrite, les ardoises qui s’érodent. De la roche sédimentaire noirâtre dans laquelle des arbustes et des bouleaux s’enracinent tant bien que mal. Et les bagnoles qui déboulent et qui filent à toute blinde. Celles aussi qui s’engagent imprudemment.

proposition n° 3

Ce que les glaciers creusent. Où la vallée mène. Où les hérons vont. Jusqu’au verrou, jusqu’aux moraines, jusqu’aux conduites forcées. Sans qu’on oublie les éboulis. Par-dessus les toits d’une petite ville industrielle. Trois rues qui partent du château. On y cadre les photos de mariage avec les cygnes sur le bassin. Et le dédain dans l’œil des daims. La rivière vire devant la ville. En rose, les papèteries colorent les canaux et font le salaire des mères. Trois rues. Vers la piscine municipale, les vingt-cinq mètres, les portes en bois. Vers le supermarché criard en bordure. Vers le lycée en forme de U derrière lequel les cars se garent. Les vieux cèdres de la cour dépassent les tuiles. Sur les dénivelés d’un premier étage, les épicéas foncés. Au dernier étage, les crêtes des massifs en pelouses ou en roches noires. Un segment de remontée mécanique à même le ciel. Des nuages stagnent. Et s’il neige tout devient différent.

proposition n° 4

Si tu montes, si tu suis la rampe. Passe la seconde dans quelques virages, presse l’accélérateur. En face –- vertige -– la chaine entière en enfilade entre les branches. A la verticale, la route du fond de vallée, les grappes de bâti comme des points sur la face d’un dé. Tout ça pour atteindre ces lacs entourés d’arbres, trois ellipses tracées. Mais, si tu descends jusqu’au grand-pont, alors, fais gaffe, rétrograde. Tu attendras peut-être au feu, le vert après le rouge, qui l’hiver fait l’embouteillage du samedi, avant la petite cité aux immeubles gris, sans balcon, entre la déchetterie et la casse, au resserrement de la vallée. C’est un long couloir vers les stations, les cols, les barrages, les ruines hydroélectriques, les villages sans lumière, les maisons vides. Si tu passes par le tunnel sous l’ancien château, attends-toi à une interminable ligne droite jusqu’au stade de rugby, la petite station thermale et la combe à descendre vers les zones commerciales. Si tu prends par la caserne des pompiers, au virage à quatre-vingt-dix degrés commence la montée, celle du plateau avec des vaches dans les champs, des pavillons éparpillés, des corps de ferme. Si tu sors du rond-point en longeant la rivière, avec le Vercors à l’horizon, c’est une traversée d’usines, un enchevêtrement de tubes et colonnes, tuyaux et cheminées, et des élévations de fumées blanches. La chimie pénètre l’habitacle. Une odeur douçâtre. Au milieu des assemblages métalliques, la gare, les passages à niveau, les wagons citernes qui stationnent. Il y en a des embranchements pour des voies de traverse vers des maisons connues sur les coteaux. Au-delà, la ville fait nappe dans sa cuvette, fait un Y, parce que les cours d’eau se rejoignent et les montagnes la contiennent. Si tu prends la voie d’accélération, vers la rocade ça peux te mener à des boulevards avec façades de ciment, aux esplanades de la fac, à la fontaine sur la place près des terrasses.

proposition n° 5

Cet espace gagné sur la pente pour que les bagnoles passent d’une route raide à l’autre, un quasi demi-tour. La nécessité de braquer au maximum, presque à l’arrêt. Un palier entre deux inclinaisons opposées. Entre deux gravités. Au bord, la roche qu’on retient par des filins. Et du coup, les blocs en suspens sous les mailles de métal. Dans la rigole, les trainées de graviers charriés par l’eau de pluie. L’œil qui cligne aux scintillements des réflecteurs sur le poteau. Commencement du jour. L’humidité. Le talus mou. La capillarité des gouttes sous les courbes des brins. La célérité puissante et impromptue des phares qui projettent des trapèzes mouvants sur le bitume luisant. Trajectoires nettes. Découpes lumineuses qui se translatent, s’entrecroisent et s’enfuient. Les granulés bien écrasés, bien lisses de l’enrobé qui sont autant de petits miroirs anthracites. Et le détachement des arbres dans le cylindre nébuleux. Le renfoncement derrière la gouttière, où les êtres apparaissent. Ombres sous l’avancée du toit. Silhouettes que les faisceaux de lumière parcourent à pleine vitesse. Révélation des corps et retour à la nuit pour chaque passage d’un véhicule. Dans le dos et la pénombre, les clous du bois. Les planches disposées sans parallèle. Un tas de sable pour du mortier futur. En face, les yeux du vieux berger allemand derrière le portillon.

proposition n° 6

Wikipédia : « Rampe de Laffrey, appelée aussi Descente de Laffrey ou Côte de Laffrey – évidemment la terminologie dépend du lieu de vie, nous, les gens d’en bas, on disait « côte » –- est un tronçon de la RN 85 dite Route Napoléon, –- statue verte de l’empereur raide et fier sur son cheval marquant l’emplacement de la Prairie de la Rencontre sur le plateau juste après la côte, au bord du Lac, et puis une forêt en forme d’aigle sur le versant ouest du Taillefert– route alpine qui relie Gap à Grenoble. La rampe débute au centre du village de Laffrey à une altitude de 910 mètres, sur la marge septentrionale du plateau de la Matheysine. Elle descend alors à flanc de montagne – le Connex ou Connest qui l’hiver cache le soleil– empiétant sur le territoire de Saint-Pierre de Mésage, traversant celui de Notre-Dame-de-Mésage –- on est à l’extrémité sud de la couronne péri-urbaine grenobloise. Les pavillons se sont construits autour des hameaux paysans (Saint Sauveur, Le Troussier, le Plan du noyer), des fontaines, des granges et des chapelles des Templiers, Saint Firmin et Sainte Marie, celle qui penche. Dans la commune, la route fait frontière entre ceux du haut et ceux du bas, ceux de la crête, ceux de la vallée– et finissant au hameau du Grand-Pont –- il y avait un bistrot : le café du Pont –- juste avant le pont qui franchit la Romanche et marque l’entrée de la ville de Vizille (…) Elle présente une forte déclivité avec une pente moyenne de 12% dans sa partie inférieure, avec des passages à 16 et 18%, la descente finissant par un virage à 110°, précédant le pont sur la Romanche -– là, les gamins font du stop en short de bain avec une serviette sur l’épaule pour monter à la baignade de l’un des trois lacs. Tout le monde sait que celle de Petichet est la plus agréable— (…) De 1946 à 2007, on compte au moins 150 morts. C’est la portion de route la plus meurtrière de France. En 1946, un car transportant des touristes s’écrase dans un ravin faisant 18 morts (une stèle rappelle cet accident à la bifurcation de Saint-Pierre-de-Mésage). En 1956, un car hollandais connait le même accident au même endroit et 7 personnes sont tuées. En 1968, un camion part en vol plané et tue ses 2 occupants. En 1970, un car transportant des pèlerins avec une vitesse excessive heurte plusieurs murs avant de s’immobiliser sur le bas-côté. 5 passagers non voyants, originaires du Nord sont tués — souvenir du voisin, pompier volontaire qui raconte l’accident —. En 1974, un camion sans frein heurte une automobile, 4 morts. Mais trois accidents de car ont été encore plus meurtriers, 3 cars transportant des pèlerins de retour du sanctuaire de Notre-Dame de La Salette et qui se sont écrasés dans le bas de la descente de Laffrey, en 1973, 1975 et 2007. » C’est une route des migrations pendulaires. On va faire les courses chez Belin l’épicier, chez Jeannot, le boucher, qui s’habille en femme le week-end. Ensuite, iI y a trois itinéraires pour aller jusqu’à Grenoble : par Jarrie, par Brié, par Uriage.

proposition n° 7

Il y a cet appartement près de la Place Saint-Bruno, une coloc de filles, une soirée d’étudiants. On s’était garé sur la place, tous les deux, à l’endroit du marché. Lui, c’est sûr, m’aurait retrouvé l’adresse. Il avait une carte dans la tête. Nouveau territoire, alors. Aujourd’hui si familier. Et pourtant cette zone de floue. Je visualise le moment où on sort de la voiture. La nuit. La brume orange autour des réverbères. On prend une direction opposée à l’église massive et sombre. Il savait où on allait. C’est une petite rue perpendiculaire au Cour Berriat. Allez savoir laquelle.

Et l’Entrepôt. La petite salle de concert au fond de l’impasse. J’ai retrouvé l’impasse. Elle était sous le balcon de mon appartement. J’ai une multitude d’images de l’intérieur du lieu. La fumée de cigarette, la cabine du technicien du son, la scène minuscule, les musiciens si proche, la chaleur. Mais, précisément, où dans l’impasse se situait l’Entrepôt ? Un hôtel avait été construit. Le quartier réhabilité. Un coup d’ardoise magique.

L’appart de ce pote où on allait avant l’entraînement de handball. On trainait un peu sur la fac. On passait. Vite fait. Un parking. Une barre d’immeuble. Un ascenseur. La banlieue.

proposition n° 8

Descendre de la Super 5. Un pied dans le gravier humide qui forme des talus minuscules, digues pour des flaques sans profondeur. Ramener au plus bas du front la capuche surdimensionnée et fourrée de polaire Rose. La veste Vuarnet bien étanche. Le sac sur l’épaule. Maintenir la bretelle mouillée. L’autre main dans la poche. Des gouttes sur les lèvres et les joues. Des stries dans les phares. Traverser une zone d’ombre. Eviter les éclaboussures, les projections sur le jean. Marcher sur le bas-côté avec la flotte dans la rigole. Ruissellements de toutes parts. La peinture blanche glissante. Les arbres dégoulinants. Le bitume, miroir de lumières. Les nappes d’eau qui plissent furtivement au contact des pneus. Atteindre le groupe rassemblé sous l’appentis pour que chacun soit à l’abri. Le bruit de l’eau dans les chenaux. L’odeur particulière des gaz d’échappement quand il pleut. L’odeur du bois mouillé. L’odeur d’une cigarette dans l’air humide. Le chien d’en face planqué dans sa niche. Monter dans le bus. La rythmique des essuie-glaces. Des trainées de flotte sur le sol noir. Le siège de mousse qu’on trempe avec sa veste. La buée. L’eau qui court sur les grandes vitres.

proposition n° 9

Décélération. Frein moteur. Sifflements. Crescendo. Scansions. Soufflets. Grincements. Point mort. Ronronnements. Accélération. Vrombissements. Chants de grillons. Crissements. Espacements. Changements de régime. Soulèvements. Superpositions. Feuillages au vent. Aboiements rauques. Voix. Cascade. Froissement. Eclats. Piaillements intermittents. Tremblements. Roulements. Frottements. Décrescendo. Chutes de pierres. Radio. Etouffement. Craquements. Rafales. Bourdonnements. Ecrasements. Eparpillements. Grondements. Etalements. Claquements. Ecoulements. Chuintements. Marmonnements. Timbre clair. Phrasé libre. Articulation légère.

proposition n° 10
1

Le goût du dentifrice. Le goût du brouillard. Le goût de la pluie. Le goût du givre. Le goût de la neige fondue. Le goût du pollen. Le goût de l’ombre. Le goût de la lumière. Le goût de la rosée. Le goût du soleil levant. Le goût du vent du sud. Le goût de la poussière. Le goût de la pierre. Le goût du schiste.

2

L’odeur du goudron chaud. La lessive. L’odeur des gaz d’échappement. Le parfum fruité. L’odeur du lichen. L’odeur du métal rouillé. L’odeur de l’eau vaporisée. Le gazole. Le plastique cramé. L’odeur du torrent. L’odeur de résine.

3

Le souffle sur la peau. Le poids sur l’épaule. Le pli sous le bras. Les courbatures. Les phalanges qu’on enserre. Le frôlement de la joue. L’effleurement des cheveux. Les picotements des épingles glaciales. Les brûlures aux lèvres et aux paupières.

proposition n° 11

L’écho des voix. L’écho des pas. Le rebond des ballons. On entre par une porte latérale, lourde, métallique et vitrée, dans cette antichambre du gymnase. Traces de rouilles sur les montants et peinture jaunasse écaillée. Rayures sur paroi de verre dépoli. L’ouverture par l’intérieur se fait au moyen d’une barre à levier qu’on maintient bloquée par un dossier de chaise, détournement d’un système de serrure antipanique réservé aux issues de secours. Sol saumon en ciment avec d’innombrables traînées noires. Quelques chaises grises en plastique granuleux et montants inox. Deux portes bleues toujours closes vers des espaces de rangement. Des gobelets en plastique blanc et une tireuse à bière sur un comptoir –parallélépipède en contreplaqué verni– qui prend la largeur du mur, s’interrompant au niveau de la porte d’accès au terrain. Vision parcellaire mais profondeur du champ quadrillé par un filet de protection à larges mailles placé derrière la cage au cadre rouge et blanc. Rectangles et couleurs tranchantes. Arcs de cercle. La zone est bleu-ciel tandis que le reste du terrain est beige, délimité nettement. Les lignes blanches sont droites ou elliptiques. Les joueurs apparaissent et disparaissent. Courses brèves. Impulsions. Détentes. Glissades au sol. Appels. Replacements à petites foulées. Au fond, des gradins de métal sur lesquels s’entassent les sacs et reposent les bouteilles d’eau colorées. Des spectateurs, assis, buste incliné, avant-bras en appui sur le haut des cuisses. Le bloc aluminium d’une aération. Les colonnes pour l’air. Les espaliers de bois. Le matelas bleu et épais redressé contre le mur. Et près du comptoir toujours le même type chauve et moustachu. Le seul qui reste là quand les autres ne font que passer.

proposition n° 12

Un tunnel. Sous la galerie commerciale. Quand le gamin l’empreinte, avec sa trottinette, on lui dit de ralentir au resserrement entre l’arrêt de tram et les portes vitrées coulissantes. Des deux côtés quelqu’un pourrait déboucher sans prévenir. Quand on a effectué l’extension de la zone commerciale, la ligne du tram A existait déjà. Elle contournait l’ancien bâtiment. On l’a laissée à sa place et on a fait passer la galerie marchande par-dessus en créant un arrêt supplémentaire dans le tunnel. il jouxte l’entrée sud de Grand-place aux larges escaliers de métal. On quitte l’allée de boutiques lumineuses par une série d’escalators. Un seul pas suffit pour déclencher l’ouverture automatique des portes vitrées sur la gauche. En continuant tout droit, on pourrait tout aussi facilement rejoindre les parkings couverts qui occupent le niveau inférieur du bâtiment. L’impression étonnante que les portes s’ouvrent directement sur l’arrêt de tram. L’impression de ne pas avoir encore tout à fait quitté la galerie. Même si l’air n’est plus conditionné. Il suffit de parcourir quelques mètres pour atteindre le premier quai. On redescend une grosse marche. On traverse les rails et on remonte pour atteindre le quai en vis-à-vis. A l’entrée du tunnel, où les rails entament une courbe, la masse désordonnée et bigarrée des vélos appuyés sur des socles entre de larges piliers de soutènement. Les voitures et les cycles circulent dans un couloir parallèle, de l’autre côté d’un mur, dans le dos de l’arrêt de tram. Les flux de véhicules débouchent soit en face de la patinoire, soit devant Conforama. Plan Vigipirate oblige, il y a toujours deux ou trois bagnoles de flics qui stationnent là, dans les recoins, devant les bennes bleues et les portes d’accès aux parkings. A l’intérieur des silhouettes en attente. Une étrange fresque de métal chromé recouvre le mur qui s’épare tramways et voitures. En immenses lettres majuscules qui font miroir côté quais : « VIT-VITTT A TAMWAY ». Palindrome abstrait ou SMS abscons. Plusieurs matins, j’ai vu cet homme aux cheveux longs sauter d’une voiture et faire en courant la dizaine de mètres séparant le feu rouge devant la patinoire et l’arrêt de tram sous le tunnel. Une autre fois, en fin d’après-midi, des ados jouaient à s’envoyer un ballon de foot par-dessus les voies d’un arrêt de tram à l’autre. Un collège est tout proche. Il y a souvent des grappes de jeunes près des grilles bleues cadenassées qui doivent permettre les livraisons ou les évacuations de déchets. Des personnes parcourent à pied la portion de tunnel qui va de l’extérieur aux portes du tram. La plupart sont des employés des boites informatiques situées derrière la patinoire. Ceux qui passent les portes vitrées et attendent le transport en commun sous le tunnel, ont tous les âges, toutes les corpulences, toutes les physionomies. Ils sont venus à la galerie faire des achats, se restaurer, se promener, travailler, consulter, emprunter à la médiathèque Kateb Yacine qui se situe maintenant précisément au-dessus d’eux.

proposition n° 13

Fait nuit. En face de chez moi. La route à traverser. Le pont à passer sur le ruisseau. Un feu. Un passage piéton. Après le vélodrome. Après le terrain des gitans. Après la forêt. En bas de la combe. Les voitures arrivent de loin. Descente rectiligne. Toboggan. On ne peut pas savoir si c’est la bonne. La voiture attendue de l’ami qu’on retrouve. Ebloui, on est vu sans voir en retour. Ce rond-point, c’est une porte de ville. Pour preuve, c’est le terminus du bus. Un espace aménagé dans le rond-point pour que deux engins se garent et que les chauffeurs fassent la pause. A l’entrée du parking relais, juste en face, une petite cahute pour pouvoir boire un café et aller aux toilettes. Déclenchement du feu rouge à l’entrée du rond-point quand un bus démarre. Le soir, moins de bus à l’arrêt. La fréquence des rotations diminue. Des promeneurs de chiens, solitaires, vers les terrains de tennis en contrebas ou bien entre la route et le torrent. Une ou deux voitures stationnées sur la zone réservées au bus. Phares et plafonnier allumés. Fumée et musique par les vitres ouvertes. Une fois, vue une enfant passer d’une voiture à l’autre pour un début de week-end. Terrain d’échange neutre pour une garde alternée. Plombante vision. Au sommet de la colline, la silhouette du château, les arbres, amples, en ombres chinoises. Est-ce que c’est la bonne ? Phares jaunes, phares blancs ? Coup d’œil vers le camion pizza. Boite. Foyer lumineux. Au-delà une étendue de clarté. Superposition des sources de lumière. Station service. Lampadaires. Immeubles. Rocade. Avenues. Les montagnes luisent et s’approchent parce que les yeux s’habituent à l’obscurité. Le Vercors sur lequel l’esprit s’appuie. Les nuages étirés. Et les corneilles qui survolent. La route reste un temps sans véhicule. Pyramide sombre. Une ombre passe. Le froid se fait sentir. Et le torrent, entendre. En cas de crue le vélodrome fait réservoir. Jamais vu servir. Phares dans les arbres. Clignotant.

proposition n° 14

Celui, tête inclinée. Regard par en dessous l’arrondi d’une visière noire. Les yeux dans l’ombre. Visage sec et tendu au creusement des joues. Barbe de quelques millimètres. Cernes en trois larges plis profonds et sombres. Ongles noircis. Doigts usés crispés sur le haut du volant calant une cigarette incandescente. Celui, assis sur le guidon. Les joues dans les genoux. Entre les bras tendus de celui qui pédalent. Les tibias qui pendent et bringuebalent sous les poignées de frein. Tee-shirt étiré par les torsions du corps. La mèche rousse épaisse jusqu’à la paupière. Regard clair, liquide, long. Rondeur du faciès. Bouche rougie au sourire en coin. Celle qui regarde ailleurs. Là sans être là. Décoiffé. Cheveux de paille. Veste couverte de poches. Absence de cou. Epaules relevées. Une main molle posée sur le volant. A plat, le téléphone dans l’autre. Elle écoute. Bouche entrouverte. Deux plis au front. Deux creux aux tempes. Celui qui regarde au loin. Dos plat. Un mur. Lunettes rectangulaires aux verres fumés. Grosses paluches. Les avant-bras musclés. Les manches retroussées de la veste à capuche grise. Un pantalon de chantier avec des renforts. Des tâches de peinture. Des chaussures de marche. Une longue nuque. Cheveux dégradés qui vont en se redressant sur le haut du crâne. Il sait s’arrêter. Il sait observer. Il rappelle le chien qui furète langue pendante. Celle, tête en avant, bras tombants. Toute en pensées. Toute en absence. Toute pâle. Cheveux noirs en queue de cheval. Seule dans le monospace. Traits tirés. Le masque sans maquillage. Elle remue à peine les lèvres. Se murmure quelque chose.

proposition n° 15

Je t’ai reconnu, oiseau des bords de route, drôle d’oiseau, avec tes réflexes, avec tes coups d’œil, alerte au danger, prêt à l’accident, à la fraction de seconde où –tu t’en es raconté des histoires dans la marche à pied, quand tu remontais, quand tu gravissais, quand tu refaisais le parcours, reprenant ton souffle à ce point névralgique, l’intersection où la pente rupte, dans la traversée entre les bagnoles qui dévalent en relâchant les freins, les pieds resserrés sur le bas-côté, des histoires de résistance, des histoires de traque, d’échappée, et la petite vieille qui te voyait venir de haut à la fenêtre de sa maison sur la crête –ça pourrait être moi, ou plutôt ça pourrait être ma sœur, cette fille à la balafre, la voiture s’était retournée sur le parapet, équilibrée de justesse, elle aurait pu tomber sur le toit de la maison du serrurier juste en-dessous –quand tu as eu le permis, ancrée en toi la vigilance au carrefour, comment apprécier la distance, le surgissement, comment définir le temps nécessaire à l’accélération jusqu’à l’insertion dans la vitesse des autres, et puis comment rétrograder sans écraser les freins avant le virage et le passage du pont ; ces départs à tout juste 18 ans, vers des amitiés solides, indéfectibles, édifiantes, ces liens, ces trajets arborescents, peu à peu ton territoire se créant tout en écrivant dans ta tête pour recopier plus tard, au volant –sais-tu que derrière sa vitre teintée et dans son boitier gris zébré de jaune, un radar scrute désormais les voitures à la descente, veille au ralentissement des véhicules en amont du carrefour, sais-tu qu’une plateforme, un trottoir, fait maintenant office d’arrêt de bus un peu au-dessus de l’appentis, avec barrière et panneau portant nom de ligne, et les minots attendent le car en prenant la pluie, sais-tu que la falaise a été cimentée dans le virage suite à l’éboulement de trop qui avait obstrué la petite route –toi, tu te tiens parfois au bord de cette même nationale, en un autre point, tu attends encore, tu l’attends encore.

proposition n° 16

Me souviens le coureur cycliste racontait avoir atteint ses vitesses-records dans cette descente qui allie inclinaison et rectitude. Côté vallée, les arbres font de la dentelle devant les contreforts de Belledonne. Une fin de pente longée par un genre de digue contre les éboulements sur les cents derniers mètres, un talus large qui laisse un espace creux au pied des filets et des pieux métalliques ancrés dans la paroi. Dire qu’il a fallu se suspendre pour installer tout ça qu’on ne voit presque plus, qui disparait sous la végétation. En bas, dans le virage, les corniches et surtout le mur bétonné et incurvé prennent de la place. On oublie le lieu de rencontre que c’était. Le bistrot du bas de la pente, le bistrot du pont. Terminé tout ça ! Cachée derrière la glissière renforcée, une cabine téléphonique, elle, reste encore un peu. Et ce type vouté, le vieux, un ouvrier-paysan, de la maison en face de la fontaine, avec son béret noir et sa veste sur l’épaule, qui poussait son vélo dans la côte. Et puis la maison de cantonnier devenue une ruine frôlée par les bagnoles, qu’on a démolie et qui laisse une zone vaguement terrassée dans les arrêtes de schiste. On revit les fois où on s’est fait peur. Les dépassements inconscients sur la ligne blanche, les déboitements au cul d’une caravane hollandaise trop ralentie, le face à face qu’on évite, le coup de klaxon, les appels de phare. Bien sûr que je me souviens de l’accident. Me remémore d’abord les photos en vue plongeante dans le Dauphiné libéré, prises depuis le pont quinze mètres en surplomb : le squelette calciné et déformé du car dont il ne restait que les montants, masse noire et blanche, fumante, en travers sur les berges de la Romanche parmi des arbustes verdoyants, à quelques mètres du pilier d’ancrage orné d’une petite tourelle. L’amas, le fatras dans la minuscule prairie sous le hameau, jardin paisible avec une balançoire et un tas de bois : véhicules de pompier, draps blancs sur les corps, tuyaux jaunes déroulés, parasols prêtés par les riverains pour protéger les victimes, brancards, valises éparpillées, tissus. Et les silhouettes des sauveteurs accroupis sur les êtres allongés, d’autres parés de gilets orange-fluo, casqués, se concertant, un homme rescapé tenant un enfant par la main, et sur le pont des badauds penchés sur le parapet derrière une kyrielle de gendarmes. Le jour même, le brouhaha des hélicos dans la chaleur du mois de juillet, l’embouteillage, la route coupée. Aujourd’hui, on passe sans voir la stèle érigée un peu en retrait derrière le mur de protection, sans remarquer le parapet du pont recimenté. C’est juste après l’accident, aussi, qu’on a installé au sommet de la rampe des portiques et une barrière pour empêcher les poids-lourds de descendre. On dirait un poste frontière maintenant. Peu après le drame, le chef d’équipe des sapeurs-pompiers volontaires dans son émetteur radio : « sommes en présence d’un car tombé en contrebas de la route, à côté de la Romanche. Nombreuses victimes, nombreuses victimes ! » Une voix blanche écrivait le journaliste, et puis « autocar en feu ! Autocar en feu ! Demandons déclenchement du plan rouge ! » Dans ce même article un motard dit son impuissance, se souvient des personnes prises au piège par l’embrasement du véhicule : « ils nous regardaient ! » Il évoque des étincelles sous le bus qu’il suivait pendant sa folle descente. Une survivante reprend les paroles du chauffeur : « accrochez-vous aux sièges ! Les freins ont lâché ! » Cet homme avait 22 ans. Il est mort dans l’accident. Il possédait le permis depuis 10 mois. Il avait suivi les indications du GPS mais ignoré la signalisation en empruntant une route interdite aux poids-lourds sauf autorisation et équipements spéciaux de freinage. Le groupe polonais effectuait un pèlerinage à travers l’Europe, 7000 km pour relier 10 lieux saints. Notre-Dame-de-la-Salette était leur avant-dernière étape. Ils en étaient partis le matin même. La majorité des passagers ont été éjectés du car. Curieusement ça a réduit un peu le nombre de victimes qui pour la plupart sont mortes dans l’incendie du bus. C’était le quatrième accident du même type en cinquante ans. Le Président de la République, le premier ministre, le ministre des transports sont venus prononcer des discours face-caméras, sur le pont. Annoncer des mesures pour que plus jamais… Il y avait eu des projets de tracés alternatifs qui n’ont jamais vu le jour et dont on ne parle plus. Une route aurait pu serpenter à travers la forêt et rejoindre la vallée. Une vraie route de montagne en lacets. Une sacrée quantité d’arbres à abattre tout de même ! On pensa également tirer tout droit en bas de la descente. On supprimait le petit hameau, on franchissait la rivière et on rejoignait un rond-point. Le tout financé par l’implantation d’un Macdo. Un bon paquet de pognon, et des infrastructures gigantesques. Projet rangé dans les tiroirs des bureaux d’acajou, pour le moment.

proposition n° 17

1. La neige qui tombe dru, la chute continue sous le lampadaire, cataracte floconneuse, en cours et à venir, la neige imprévisible, multiple à l’extrême. Ça pose, comme on dit par chez nous. Ça tient, ça s’accumule, ça réfracte, ça étouffe. Bourrelets compacts sur la route en bas. Enveloppe sur le monde. Nappage sur les branchages. Bienvenu dans l’illisible. C’est parti pour la nuit. Ça pose. Ça pose question. Qui dit rendez-vous, dit désir. Elan, attente. Chaud, froid. Retarder le départ. A l’affût des variations, des ralentis, des transparences, des allègements, des distensions qui ne se produisent pas. Toujours, le sol qui s’épaissit, qui s’élève. Envisager le danger. La perte d’adhérence et l’impossibilité de retour. La pente infranchissable. La pensée infranchissable. En venir au renoncement. Se convaincre. S’en tenir à la prudence. Prendre sa décision. Annuler le rendez-vous. Parce qu’il neige. Il neige. Téléphoner. Y perdre.

Cette même rengaine, la cassette qui tourne dans l’autoradio du car, et puis la rengaine suivante. François Feldman. C’est une fille plus âgée du plateau qui chaque matin propose la bande-son du trajet vers le collège. Tous les jours la même : « Toutoum ! toutoum ! Maintenant que deviennent que deviennent les valses de Vienne… » Tous les jours pratiquement callée à la seconde près au franchissement des portes louvoyantes : « toutoum ! toutoum ! Dans la romantique, errent les romantiques… » Ça colle aux oreilles, ça colle aux synapses, la journée entière, encore aujourd’hui, ça refait surface, on se surprend à murmurer une mélodie en boucle : « toutitoutitoutada ! C’est toi qui m’a fait qui m’a construit, jour et nuit, dans ton ventre gonflé comme un bateau à quai, sans bruit toutitoutitoutada… » Sur nos sièges, du haut de nos 12 ans, on rouspète, on en plaisante ! Ça va durer l’année scolaire jusqu’au remplacement du chauffeur qui achetait ainsi sa tranquillité, un type immature, cheveux en brosse et longs sur la nuque comme Chris Waddle, le footballeur. Il conduisait beaucoup trop vite et trop brusquement dans la descente. Des parents se sont plaints.

Et pour aller où ? Quand est-ce qu’on se pose la question ? Pourquoi s’intercaler dans la file. Dans le flux. Pourquoi laisser la pente décider ? Se laisser porter en roue libre dans le monde. Pour terminer le programme ? Pour être citer au conseil ? Pour aller où ? Dans la vaste translation des choses ? Dans la big transhumance ! S’ouvrir des portes ! Il faut s’ouvrir des portes ! Un maximum ! Et tracer des vecteurs à la con ! Tous dans le même sens ! Des vecteurs de quoi au juste ? Tracer avec précision les flèches pour les suivre ensuite ! Laisser faire la pente ! La loi de la gravité universelle et pas autrement ! Pour recevoir des compliments ! Et des encouragements ! Ça paye, le travail personnel ! Résoudre des équations dont le sens échappe par la fenêtre de la chambre. Heureusement qu’il y a le cerisier. Mettre en place des protocoles dont le sens échappe par le fond du couloir. Heureusement qu’il y a les bancs. Echafauder des démonstrations dont le sens échappe par le portail du lycée. Heureusement qu’il y a la musique. Emmagasiner. Ordonner. Apprendre par cœur les principes ! S’aligner les uns avec les autres sur le vieux parquet de la salle des devoirs surveillés. Un par table. Et restituer. Et régurgiter. Apprendre des langages ! Utiliser le bon langage ! C’est fondamental ! Selon le modèle ! Après tout, c’est pas si difficile ! Avec la machine à calculer ! Si tu connais tes propriétés ! N’oubliez pas de renseigner le bordereau ! De remplir le dossier. Ça vous conduira jusqu’à l’amphithéâtre. Parce que c’est comme ça ! Suivre la pente ! Sur sa lancée ! Ça vous conduira à l’immeuble le plus gris, le plus froid, le plus sinistre. Et après tout pourquoi pas ? On va pas se plaindre de savoir faire, de réussir, d’être capable. Le choix par l’absence de choix ! Qu’est-ce qu’on propose sinon avancer pour avancer ? Quand est-ce qu’on apprend à se connaître ? Tendez-nous un miroir bordel ! Et une carte d’état major ! Qu’on puisse au moins se demander qui on est ! Et quelle place on occupe ! Et on occupera ! Et puis observer ! Aller voir ailleurs ou même là tout près ! Entreprendre des fouilles ! Alors bien sûr, on est raisonnable ! Mais comment devient-on lucide ? Est-ce qu’il suffit de surveiller les voyants lumineux ? Comment on fait pour réaliser ? Comment on fait pour butter, pour hésiter ? Comment on fait pour partir à la recherche de soi ? Bien sûr, on a la conscience du travail bien fait ! Ça n’empêche. Il faut se le dire ! Il faut quelqu’un à qui le dire ! Fermer pour travaux ! Déviation obligatoire ! Par la route forestière sur l’autre versant ! Et attention aux animaux sauvages qui pourraient traverser !

proposition n° 18

La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. A quoi ça tient l’inéluctable. Pourquoi ça ploie. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Ça tient à pas grand chose. Ça tient à un frisson. Ça remonte ou ça verse. La capillarité des gouttes sur les courbes de brins. Ça tombe. Pile. Comme les secondes. Comme l’instant d’après. Pile. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Ça tombe. Ça devient quoi ? Est-ce qu’on oublie ? La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Clepsydre végétale fait le décompte du temps. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Clepsydre remonte le temps, inverse le mouvement. L’arrête. C’est comme elle veut. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Clepsydre, toutes ces tentatives pour retrouver le temps perdu. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Clepsydre retourne la ville. Détourne le réel. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Va savoir ce qu’elle veut. Ça remonte en surface. Hésite et résiste. Au fond, c’est comme elle peut. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Suffit d’être contre. Tout contre. Ce qu’elle touche s’oppose. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Bombées sous les rayons. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Corps à corps aux lézards infimes. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. C’est fou comme elle éblouit. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Débris réfléchis d’un foyer lointain. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Suspendus à la pointe. Le doute bombé. La capillarité des doutes. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Juste avant le saut dans le vide. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Une tension superficielle sur les courbes des bras, au creux de la main, des routes au creux des reins. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. A même la peau. A même la chlorophylle. A même la pellicule. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins. Ce qu’il y a d’intenable sur la mauvaise herbe qui s’enracine là. La jeune pousse. La capillarité des gouttes sur les courbes des brins.

proposition n° 19

Jusqu’à la tour hertzienne, par la voie romaine. Parce que le geste est là. Parce que les chevilles tiennent. Au devant des souches. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Jusqu’au pré. D’un état à l’autre. Encore un effort. Au-dessus du transformateur. Au-dessus des jardins ouvriers. Contre le tronc du noyer. Sous le pylône. Coupant la route du fort. Après le bassin. Entre les barbelés. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Dans le terrain militaire. Jusqu’à l’épave abandonnée. Derrière le muret. Pour souffler. Jusqu’à la carrière. Jusqu’au broyeur. Au détail près. Jusqu’au garage. Vers l’étang. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Quand on coupe à travers le jardin. Dans les broussailles. Au rotofil. Dans les ardoises. Dans les marches mal taillées. Ecorché. Aux épines des ronces. Parce qu’on y pense. Une hâte de vivre. Parce qu’on alimente. L’œil à Belledonne. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Jusqu’en bas de la rue. Jusqu’au passage. Jusqu’à la porte. Devant les étals. Devant le kiosque. A l’angle du bistrot. A l’entrée du métro. L’œil en terrasses. L’œil en l’œil. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Face au port. Face aux grues. Dans la baie. Jusqu’aux Calanques. L’œil aux feux. L’œil au ciel. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Par le réservoir. En-dessous des ruches. Jusqu’au fleuve. Sur les ponts en enfilade. Derrière les grandes surfaces. Après la gare. L’œil aux reflets. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Sur la route. Dans les lacets. Dans le virage. Dans la roche. Sur le barrage. Après la centrale. Jusqu’au col. Jusqu’au glacier. L’œil à l’oiseau qui plane. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Sous le téléphérique. Jusqu’au promontoire. Jusqu’au soir. Jusqu’au parc. Par-dessus le bâtiment vide. L’immeuble vaquant. Par-dessus les palissades. Par-dessus les échafaudages. Jusqu’au musée. L’œil à la fenêtre. L’œil au linge qui pend. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Au décollage. A l’atterrissage. Parce qu’on décèle des monuments. Parce qu’on décèle des édifices. Avec un léger oppressement. Sur le bleu. Dans le bleu. L’œil à la mer. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Sur l’A7. Après le péage. Avec la vitesse. Avec la lumière. Sur les meules. Sur les ombelles. Dans les éoliennes. Jusqu’aux silos. L’œil dans le rétro. L’œil à l’openfield. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. A travers les roseraies. Près du manège à l’arrêt. Jusqu’à la cathédrale. Dans la spirale. Le coup de chaleur. Jusqu’au marché. Et même sur les faïences de la boucherie. Sur le trottoir. Avec les décrottoirs. De l’autre côté de la route de Paris. Près du lavoir. L’œil à l’aplomb des chaussures. L’œil en soi. L’œil au Vercors, au château, au cimetière. Quand la ligne se brise. Tout ne coïncide pas.



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1ère mise en ligne 11 juin 2018 et dernière modification le 26 août 2018.
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