Julien Boutonnier | Scum n° 1

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L’AUTEUR

Julien Boutonnier est né au printemps 1977. Il a grandi dans la haute vallée de l’Aude. Il vit à Toulouse où il travaille auprès d’enfants handicapés en tant qu’éducateur spécialisé. Après avoir joué dans des groupes de rock, réalisé des courts métrages, il se consacre à l’écriture depuis 2004.

Il a notamment publié Ma mère est lamentable (poésie narrative), version numérique et papier, mai 2015, chez Publie.net, et dans les revues Mot à Mot, Fibrillations, d’ici là, Dissonances, Quartier libre, Mange Monde, Terre à ciel, Empan.

On l’a déjà accueilli ici pour Le drone.

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LE TEXTE

Scum est un ensemble de nouvelles que je suis en train d’écrire. Des corps y sont mis en scène, tiraillés entre un désir d’absolu et le besoin de satisfaire les besoins les plus élémentaires. J.B.

J’ai regardé les viennoiseries en vitrine. Ça m’a fait envie. Mon ventre a gargouillé. Je me suis senti faible. Je suis entré dans la boulangerie. J’ai acheté trois croissants. Je suis sorti dans la rue. J’ai pris un croissant dans la main. Je l’ai regardé. J’ai salivé. J’ai eu très envie de croquer dedans. Je l’ai jeté par terre. J’ai jeté les deux autres croissants dans le caniveau.

J’ai marché. Je me suis senti faible. J’ai longé les magasins. A un moment il a fallu que je me tienne au mur. J’ai perdu l’équilibre. J’ai eu mal au ventre. Je suis entré dans une supérette. J’ai cherché le chocolat. J’ai pris une tablette de chocolat. J’ai pris un sachet de pains au lait aussi. Je me suis dirigé vers la caisse. Il y a eu des gens. Ma tête a tourné. J’ai perdu l’équilibre. Je me suis appuyé sur un homme. Il m’a demandé si ça allait. Je n’ai pas répondu. Je ne l’ai pas regardé. Le type a parlé encore et puis il n’a rien dit. J’ai payé. Je suis sorti. J’ai ouvert la tablette de chocolat. J’ai eu du mal à tenir debout. J’ai regardé le chocolat dans mes mains. Il a commencé à ramollir au contact de mes doigts. J’ai tremblé. J’ai jeté le chocolat sur la voie. Les voitures ont roulé dessus. J’ai jeté les pains au lait aussi. J’ai perdu l’équilibre. Je me suis tenu à la vitre d’un abribus à côté. J’ai craché par terre la salive. J’ai eu la nausée.

J’ai marché dans la rue. Il y a eu un kebab. Je suis rentré. Il n’y a pas eu de gens. J’ai demandé un kebab. Je suis resté debout. J’ai regardé le type fourrer les tomates, les oignons et la viande. Il a sifflé un air à la mode. Je n’ai rien dit. Il a dit voilà. J’ai regardé le kebab dans sa main. Il a répété voilà. Je n’ai pas bougé. J’ai regardé le kebab dans sa main. Monsieur ? il a demandé. Je me suis retourné. je suis sorti. Je me suis éloigné. Le type m’a insulté depuis le pas de la porte.

J’ai perdu l’équilibre. Je me suis appuyé à un poteau d’un panneau de signalisation. J’ai eu mal au ventre. J’ai eu des sueurs. J’ai tremblé. Je me suis dirigé vers un buraliste. Je suis allé devant les barres chocolatées. J’ai en pris une. J’ai déchiré l’emballage. J’ai serré fort. Le chocolat a fondu. La barre a été écrasée dans ma main. J’ai regardé. Le buraliste a dit monsieur ? Je n’ai pas répondu. J’ai regardé la barre écrabouillée. Monsieur il a dit. J’ai jeté le chocolat dans sa gueule. Je suis sorti en courant. J’ai couru dans la rue. J’ai trébuché. Je suis tombé. Je me suis fait mal aux genoux et aux mains. Je suis resté par terre. Je me suis mis sur le côté. J’ai regardé les chaussures des passants. Il y en a eu un qui m’a dit ça va. Ta gueule j’ai dit. Il est parti. J’ai faim j’ai dit. Ma vue s’est troublée.

Je me suis levé. J’ai marché un peu. Je suis entré dans un restaurant. Je me suis assis. J’ai tenu ma tête dans mes mains. J’ai sué au crâne. J’ai attendu. Un serveur est venu. Il m’a dit c’est trop tôt pour être servi. Je n’ai rien dit. J’ai tenu ma tête avec mes mains. J’ai regardé la table devant. Vous pouvez revenir plus tard il a dit. Je me suis levé. J’ai titubé. Un serveur m’a aidé à marcher jusqu’à la sortie. Voilà monsieur à bientôt il a dit. Il m’a lâché.

J’ai marché en titubant. J’ai vomi de la bile. Je me suis mis à genoux. J’ai attendu que ça finisse. Il y a eu une femme. Vous voulez de l’aide elle a dit. Je n’ai pas répondu. Elle a attendu à côté. Après je me suis levé. Je peux vous aider elle a dit. Elle m’a tendu un mouchoir en papier. Je l’ai regardée dans les yeux. Je n’ai pas pris le mouchoir en papier. J’ai dit j’ai faim. Elle m’a accompagné jusqu’à un banc. Je me suis assis. Attendez ici elle a dit. Elle est partie.

J’ai vomi à nouveau. Ça m’a fait mal au ventre. Il a fait nuit. Il a fait froid. J’ai tremblé. Je me suis levé. J’ai regardé autour. J’ai vu des sandwichs. Je me suis approché. J’ai salivé devant les sandwichs. Un vendeur a dit je vous sers. Je n’ai pas répondu. Ma vision s’est troublée. Il a répété je vous sers. Je n’ai pas su quoi dire. Je suis retourné au banc.

La femme est venue avec un sac de courses. Elle s’est assise et elle a posé le sac entre nous sur le banc. Voilà elle a dit je vous laisse maintenant. Je n’ai pas su quoi dire. J’ai regardé le sac. Elle a dit au revoir bonne chance. Je n’ai pas su quoi dire. Elle est partie. J’ai regardé dans le sac. Il y a eu du pain, du fromage, du jambon, du beurre, un couteau, une bouteille d’eau et des yaourts et des bananes.

J’ai pris le jambon. J’ai ouvert l’emballage. J’ai pris une tranche. J’ai ouvert mon pantalon. J’ai salivé. J’ai beaucoup salivé. J’ai eu très faim. J’ai mis le jambon dans mon anus. J’ai fait rentrer le jambon dedans. J’ai eu faim.

Il y a eu des cris. Un type m’a dit monsieur arrêtez ça tout de suite. J’ai pris une autre tranche. Je l’ai roulée. Je l’ai faite entrer dans mon anus et puis une autre encore. Il y a eu la police. Un policier m’a dit monsieur habillez-vous tout de suite. J’ai pris du jambon. J’ai essayé de me le mettre. Le policier m’a donné un coup à la main. Il a menotté. Avec ses collègues ils m’ont amené.

Dans la camionnette ils ont posé des questions. Je n’ai pas su quoi dire. J’ai insulté. Ils n’ont plus posé de questions. J’ai vomi à nouveau. Le jambon est sorti. J’ai eu du jambon dans le slip. Les policiers ont crié. Ils ont tapé.

Ils m’ont amené dans une cellule. Je suis resté là. Ça a duré longtemps. J’ai été seul. J’ai tremblé. J’ai eu mal au ventre. J’ai eu des sueurs. J’ai pris le jambon dans mon slip. Je l’ai posé sur le sol. J’ai disposé les bouts devant. Il y a eu beaucoup de morceaux. J’ai forcé pour déféquer. J’ai séparé les morceaux de jambon et les bouts de merde.

J’ai regardé le jambon. J’ai disposé les morceaux de différentes façons. J’ai salivé. Mon ventre a fait des bruits. J’ai pris un bout dans les doigts. Je l’ai posé contre ma joue. J’ai fermé les yeux. J’ai senti la texture molle du jambon contre ma joue. Je l’ai porté sur mes lèvres. J’ai tremblé fort. J’ai vomi de côté.

Putain a dit un policier. Il a dit c’est un porc ce type. Je me suis allongé. Le policier est entré. T’as joué avec ta merde il a dit. J’ai regardé le plafond. Il a shooté dans mes côtes. Je me suis recroquevillé. J’ai étouffé. Il est parti. Je me suis agenouillé devant le jambon. J’ai regardé les morceaux. J’en ai pris un. J’ai déchiré les bords. J’ai fait un rond. J’ai fait un petit trou au milieu avec les ongles. J’ai mis le rond devant mon œil. J’ai fermé l’autre. J’ai vu à travers. J’ai regardé des détails du mur, des barreaux. Je me suis allongé. J’ai regardé le plafond à travers.

J’ai eu mal au ventre. J’ai tremblé beaucoup. Des hommes sont entrés. Ils ont dit bonjour venez avec nous. J’ai suivi. J’ai titubé. J’ai perdu l’équilibre. Je suis tombé. Les types m’ont pris aux aisselles. Ils m’ont porté jusqu’à un fourgon. Ils m’ont sanglé sur un fauteuil. On a roulé. Je me suis senti faible.

Je me suis réveillé dans une chambre. Ça a été le jour. J’ai été sanglé sur un lit. Il y a eu un tuyau qui est entré dans mon ventre. On a fait rentrer des choses par le tuyau dans mon ventre.

On a enlevé les sangles. On a enlevé la sonde. Ça a été une femme. Vous avez repris des formes elle a dit. J’ai forcé pour déféquer. J’ai fait sortir tout ce qu’ils avaient mis dans le ventre. J’ai mis un doigt pour enlever ce qui restait. La femme a dit des choses. Je n’ai pas écouté. Il a fallu que je vide. Il a fallu que plus rien ne soit dans le ventre. Des hommes m’ont attrapé aux aisselles. Ils ont gueulé. Ils m’ont mis à la douche après un grand couloir. Ils m’ont laissé un moment dans la douche. J’ai tremblé beaucoup. J’ai eu froid. J’ai mis deux doigts dans la bouche. J’ai vomi pour que ce soit vide. Ça n’a pas suffi. Je me suis levé. Je suis sorti de la douche. Les hommes m’ont ramené à la chambre. Ils m’ont sanglé. Ils m’ont mis la sonde. Des choses sont entrées dans le ventre. J’ai essayé de regarder par la fenêtre. Dehors les choses étaient trop en vie. Les choses étaient trop présentes, trop là pour que je regarde. J’ai tourné le visage vers le tuyau.

On a enlevé les sangles. On a enlevé le tuyau. Je me suis levé. Une femme a marché à côté. J’ai marché dans le couloir. Une femme a dit des choses. Je n’ai pas écouté. Je me suis senti pris dans la situation. J’ai sauté dans une vitre. La vitre s’est brisée. J’ai chuté dans un parc. J’ai pris un morceau de verre et j’ai ouvert le ventre. J’ai mis la main dedans. J’ai vidé. J’ai enlevé ce qui était. Des hommes et des femmes ont regardé. Ils m’ont laissé. Ils ont regardé faire. J’ai enlevé ce qui était en trop. J’ai fait le vide. Après je me suis levé. J’ai marché un peu. Je me suis retourné. J’ai vu ce qu’on avait mis dedans, je l’ai vu. Ça faisait comme un chemin jusqu’à moi. ça faisait une trace de moi vers l’endroit de la chute. Je suis tombé. J’ai ouvert les yeux. Il y a eu des visages et du ciel. J’ai regardé le ciel blanc derrière les visages. J’ai trouvé un ventre là-haut. Ça a été un bon ventre là-haut. Il y a eu un oiseau une fois. Les visages se sont poussés. J’ai vu des branches d’arbre aussi. On m’a fait glisser. J’ai senti le ciel dans le ventre. L’espace blanc du ciel dans mon ventre. J’ai fermé les yeux. Il n’y a plus rien eu. Il y a eu le ciel blanc et puis c’est tout. J’ai bandé. J’ai bandé comme un fou.



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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 avril 2016.
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