< Tiers Livre, le journal images : évaluer

évaluer

Que je déteste le mot évaluer. Cela fait partie du contrat de l’enseignant provisoire. On me demande de répartir au moins les notes selon échantillonnage statistique. En France, dans de précédentes expériences facs, je négociais que – si présence et implication effectives – tout le monde la même note, aux 2/3 hauts de la moyenne des autres UV. Donc je tranche et répartis. Implication et présence, possible. Progression de l’implication des textes eux-mêmes, possible. Travail réflexif, en fonction du chemin des lectures et de la perception de la littérature comme discipline, là c’est moi qui me suis pris le mur : pour qu’il y ait lecture, il faut une astreinte. Ce trimestre, l’astreinte à lire au moins un des livres suggérés sera dans le contrat de départ. Alors ensuite comment, cette répartition ? Pour certaines et certains, il y a ce miracle de la littérature : il ne nous appartient pas. Alors oui, A ou A+, et je défendrai. Qu’il soit incitation et confiance. Je n’ai pas mis de C. Aucun. J’ai des problèmes avec les étudiants qui utilisent hotmail.com : ça fait des années, en France aussi, que je leur dis de prendre gmail.com ou autre, mais surtout pas hotmail : quand ils saturent, ils bloquent les messages à fichier joint et ne préviennent pas l’expéditeur. Bon, c’est réglé. Alors les e-mails demandant pourquoi un B ou un B+ et pas un A ou un A+, oui, c’est subjectif : les échanges via mail et ce qu’on s’y est dit. La demande discrète d’un livre à lire, la colère ou la protestation aussi, je mets ça en positif. Comment dire qu’il s’agit d’une discipline, et pas d’un exercice, ni d’un savoir : plutôt la capacité à se jeter dans ce qu’on sait être en partie abîme, qu’on apprend ensemble à le frôler ? C’est le risque et la capacité de risque qu’on évalue, et l’humilité à se mettre à l’école des textes – encore tellement trop de confusion entre la lecture travail et la lecture loisir. Quelle note je me mettrais à moi-même, incapable de poésie, incapable de syntaxe qui chante (oui, des A et A+ à un rauque dans la voix, à une maladresse si elle est chemin, présence) ? Allez, F+, F dit suspensif si remise de travaux de rattrapage. Après tout, je n’ai jamais que l’âge de Cervantès dans sa première partie du Quichotte. Ce que j’ai dit de Proust, d’Artaud, oui, c’est le retour sur les fous de littérature dont j’ai parlé, qui m’a permis d’évaluer. Qu’on m’ait témoigné appréhender le chemin de littérature comme discipline, j’ai évalué, et pas ces mots résiduels qui reviennent encore trop dans les textes, talent, inspiration, j’aime écrire. Est-ce qu’il y a une légitimité à hiérarchiser les auteurs importants à lire, et ceux qu’on a pu déjà lire ? Oui, dommage, mais oui. Évaluer : en aucun cas les textes, pas le droit, en aucun cas non plus la sagesse.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 janvier 2010
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