< Tiers Livre, le journal images : 2006.10.05 | de la pollution par mots à vendre

2006.10.05 | de la pollution par mots à vendre

Ce jeudi 5 octobre au matin, descendant dans le métro à la gare Montparnasse pour prendre la ligne 4, je décide faire (sans m’arrêter, en marchant) une photo de chaque affiche publicitaire m’imposant des signes au mental, que je les lise ou pas.

Qu’est-ce qu’un minimiseur ? Je voudrais bien un appareil à minimiser : l’emploi du temps surchargé ou tout ce qu’on a à payer, les frictions et vexeries, les distances entre les villes etc. Ceci dit, on ne nous dit pas ce que ce machin-là minimise. Qui le sait, achètera ?

Le mot différent . Différent de quoi, voilà qui n’est pas précisé. Ça ne doit pas être si grave, puisque de toute façon ça l’est clairement, différent. Du mot commercial nul ne s’interroge.

Les affiches qui se mettent par deux s’alignent toujours sur un compte poétique symple : Au coeur de la fraîcheur / au coeur de la fraîcheur, mais jamais Baudelaire n’oserait un alexandrin si simpliste. Le décompte du vers préliminaire, alexandrin aussi, intéresserait beaucoup plus Jacques Roubaud : Sans sucre / Hollywood chewing-gum / 2 fresh.

Idem pour ce film que je n’irai pas voir. Mettez le en décasyllabe, accent sur de ou sur sa : dans les deux cas on est loin de François Villon. Pour qui ils nous prennent : ils croient que chaque oeil regarde en face, et qu’il faut deux images à notre cerveau amoindri mais encore disponible ?

Le matraquage de l’argent a toujours quelque chose d’obscène. Surtout quand il est répété à dix ou vingt exemplaires sur votre chemin. Le mot forum pour faire croire que votre parole ou votre pensée sert à quelque chose, le mot épargne comme si on y arrivait etc. Organisé par le Figaro et TF1 : pour pareil matraquage, faut les moyens. Qui seront les pigeons ? On irait bien, rien que pour voir leur tête. Personne ne regarde l’affiche, personne ne regarde rien, tout au long du tapis roulant.

Puisque le tapis roulant est en panne, comme la plupart du temps. Mais le message sonore continue de passer en boucle, imperturbablement, pendant les 2’50 que dure le passage moyen : GARDEZ LES PIEDS A PLAT GARDEZ LES PIEDS A PLAT GARDEZ LES PIEDS A PLAT, quelle pollution est la pire ?

J’ai de la considération pour les saltimbanques du privé, même si je n’aimerais pas que mon nom figure sur un spectacle de ce genre-là : au moins, on se démène pour que les gens viennent. Ont-ils tant de goût pour les amuseurs, qu’on doive cependant en être réduit à cette exhibition de soi en pitre ?

Pourquoi il y a le couloir informatique à bas prix, le couloir donnez votre argent, et maintenant le couloir bouffe ? Ceux-là ont stratégie différente que la casse des prix. Mais ensuite c’est une étrange alternance du triple cheezy gold avec 3 fromages dans la croûte et les salles de gym pour perdre des kilos : le même propriétaire ?

Les couloirs sont longs : mais tous les quatre mètres, à gauche et à droite, le harcèlement monotone continue. Qui regarde ? Mais tous on enregistre. Que le mouvement antipub avait été salutaire : disparu complètement ?

Celui-ci, on vous le met bien en face de vous au coude (emplacement à supplément ?) : crédits bradés. Je croyais ce genre d’incitation à la surconsommation et à l’endettement interdits. Le chiffre en gros, vu de loin on ne perçoit que lui : hors sens. Eux aussi ont besoin des assonnances : le mois de moi, vive le moi au cube. Moi de moi ni toi de toi ne s’aperçoit qu’on lui colle un crédit de plus, pour acheter quoi de quoi : tout ce qu’il y a sur les pubs précédemment avalées ?

Encore un qui fait dans le redoublement, décidément, le décasyllabe en stéréo fait boum. Et même boum boum, au moins question poésie c’est pas méchant. Les rencontres proposées non plus, probablement : à qui on conseillerait l’adresse ?

Est-ce qu’on l’enregistreur à signes encore assez frais pour accepter une affiche plus politique ou civique, cette fois prenant au sérieux le travail des lettres ?

Beckett, est-ce qu’il aurait pu se dispenser de venir là (sa tombe à deux cents mètres à peine, de sous terre à sous terre), l’affiche mise exprès parce que je venais de photographier tout ça ? Remuement, remuant, remuait : sous nous, sous nous, sous nous...


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 5 octobre 2006
merci aux 5133 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page