Tout le monde a en mémoire cette toile d’Edward Hopper (en tête de l’article) où le train — probablement celui qui le ramène de son atelier dans Manhattan à son domicile dans le Queens — quitte le mode souterrain pour rouler à l’air libre. Quand je passe à cet endroit précis, au-dessus du RER B, immanquablement je repense à cette toile, une de celles de Hopper que je considère importantes, symboliques. Mais si je veux photographier cette sensation en écho, je m’y prends comment ? Quand on ouvre les carnets de Hopper, on découvre que l’illusion de réel tient précisément à ce qui s’est reconstruit ici à l’écart du réel, des crayonnés sur motif. C’est une discussion que je retrouve souvent dans la fabuleux journal de Jérémy Liron, ses Pas perdus. Je cherche une sensation équivalente de fuite, de ville, de transports en commun, qui soit aussi ma mémoire et ma citation discrète de Hopper. Mais la photographie ne me laisse pas loisir de décanter, séparer, enlever : on pourrait, avec Photoshop et tout ça, c’est infini, mais ça ne m’intéresse pas. C’est le réel comme présence et épreuve que me convoque. C’est un endroit où je suis amené à passer régulièrement, même si pas assez fréquemment, et là aussi chaque fois je fais image : la même. Le dépli en cinq images, les masques de Lightroom sont-ils ce même travail de séparation de l’illusion et du réel, au profit de la première ? Bien sûr je ne sais pas. Mais l’appareil-photo au moins permet ça : quitter le crayonné, quitter le chevalet, aller à l’affront des choses, et de la géométrie des choses. La revanche en ce que cette image ne pourrait être peinte. C’est ce qu’on partage avec la littérature. C’est ce qu’on a appris ensemble des peintres, autrefois, mais à part des Jérémy Liron ça ne les intéresse pas toujours, ou pas forcément.