J’ai découvert ma première limule en marchant sur Rock Island, au bout de Brooklyn, dans la surprise d’être confronté ainsi, alors que c’était le même Atlantique que le mien, juste en face, à cet animal sorti droit des plus hautes profondeurs du passé. On n’explique pas cette affinité ou ce que ça interroge en vous même. J’en ai trouvé d’autres en marchant à Montauk ou Long Island, un autre séjour new-yorkais ou le même, et puis en 2015, lors du séjour à Providence, en marchant sur le Cape Cod. Celle qui était la plus belle, je l’avais laissée sécher, sur ma pile de Lovecraft, et avais tenté de la rapporter, mais elle s’est effondrée en poussière. Ces questions de la mer, et du désastre qu’on y installe, ça taraude tant. C’était la raison du voyage à l’Institut océanographique de Monaco. Ce serait tellement bien l’accès quelques semaines à leurs réserves pour écrire et photographier –– c’est une science qui a à peine un peu plus que 100 ans, née juste après le cinéma. C’est peut-être un des points qui me relie aussi à Lovecraft. Alors, devant cette grande, grande limule, l’indiscrétion de lui photographier les dessous, puisqu’on nous en montre les dessous (on ne devrait pas, elle mérite plus de respect, de confidence). Après ma première llmule (n’en ai jamais vu en Californie, par exemple), j’avais aspiré sur le web toute la doc que j’avais pu trouver. Produire cette doc comme non-fiction me semblait un chemin vers ce fantasme qu’elle induit. Cette doc je l’ai toujours dans mes disques durs successifs, avec d’autres dossiers du même genre d’ailleurs, même s’ils n’iront jamais vers un livre. Pourtant c’est ça qui travaille, l’idée du livre, ou comment ce fantasme agirait sur notre idée du livre lui-même, quand on prend la photo de la limule dont on ne saura jamais le nom (elle a forcément un nom).