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2019.08.11 | imaginaire Nord & hydravion

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2019.12.14 | Guy Joussemet sur les toits
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Au plus ancien, un livre de la Bibliothèque de l’Amitié, donc vers 1963-1964, et ça se passait en Alaska avec un ado et un hydravion. Un dépaysement suffisant pour s’en souvenir à un demi-siècle de vie, mais on se souvient de quoi : l’illustration de couverture avec le gamin de 14 ans et le zinc derrière, et le sentiment d’espace à lire le livre. Toujours eu le goût depuis des livres qui disent le Nord, de Jack London à Shackleton, ou pour le pays d’ici, Jean Désy — encore que ça ne l’a jamais trop branché, Jean Désy, l’hydravion ? Le dernier que j’avais vu c’était à Sausalito, l’an dernier, mais ils ne bougeaient pas beaucoup. Ici, ce matin encore, Mathias Malec (six ans de plus que moi, mais combien d’éternités ?) parlait de comment son père l’avait retiré à onze ans de son pensionnat, malgré l’avis du prof de hockey, pour qu’il parte avec son frère Antoine « dans le bois » (ici, pas besoin de se faire expliquer). Soit un mois à pagayer en remontant les rivières ou portage, puis trois mois sur place, et retour. Il a dit que cinq ou six ans plus tard il n’avait plus besoin de son frère aîné, mais il a dit que ç’avait été une « école ». Ceux de maintenant continuent de partir un mois par an, mais ils se font emmener et ramener par l’hydravion. D’ailleurs, une bonne dizaine de voitures garées en attente derrière la baraque. Discuté aussi avec Antoine G., son canoë sur le toit de sa bagnole, deux autres copains à lui, de Montréal et Toronto, doivent le rejoindre demain, on met le petit canoë dans l’intérieur du grand, et celui-ci on l’attache au flotteur. Ils s’en vont là-haut et descendront pendant trois jours lacs et rivières. Pour eux c’est concret, pour moi c’est toujours dans la transposition imaginaire que ça se passe. Par exemple, rien à redire au fait que ce midi c’était repas Innu, avec oies « bernaches » et ces doux lièvres arctiques d’infinie blancheur, mais depuis 48h que je voyais les bestioles non dépecées en vrac à décongeler dans la cuisine du presbytère — ô ces yeux roses des lièvres congelés au doux pelage, vous fixant dans la pénombre —, ma chambre à l’étage au-dessus, j’aurais bien été incapable d’en ingurgiter la moindre bouchée et je me suis discrètement éclipsé. En tout cas c’est ça qui me revenait, en poussant la voiture sur le chemin marqué d’un panneau vert avec le petit hydravion dessiné dessus, et qui bute en impasse, quatre kilomètres plus loin, sur la rivière Nutashquan. Tout est majesté, l’eau et la mécanique, le canot déliquescent et les proportions de l’hélice, le désordre des fûts. C’est probablement ça, l’inconvénient des livres : on a lu ce roman pour ado dès l’âge de dix ou onze ans, un peu prématurément, l’hydravion et le Nord restent à jamais, mais ce qu’on aura fait d’aventure c’est de rester planté là sur le ponton, et de faire ses photos. Pourtant j’assume, et totalement.

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 août 2019
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