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2017.06.08 | s’amuser en travaillant, dans les grands ministères d’État

une autre date au hasard :
2016.03.25 | le Grand Palais par les toits

« Dans le cadre de la labellisation S’Amuser En Travaillant, la DGAFP met à la disposition des administrations engagées dans la démarche un outil d’auto-formation qui prend la forme d’un « serious game » principalement destiné aux encadrants. Il nous a ainsi été possible d’obtenir 2000 licences pour tous les agents cadres de l’administration centrale, de la totalité des services déconcentrés et des SCN ainsi que pour ceux des établissements publics engagés dans cette même démarche. Nous en avons dressé la liste avec votre aide, et l’avons transmise à la DGAFP. Hébergé par la plate-forme de l’IGPDE, le déploiement de S’Amuser En Travaillant s’est opéré dès hier, mardi 6 juin et a été distribué par courrier électronique à toutes les personnes concernées, y compris bien sûr à l’ensemble du réseau des responsables de la prévention des discriminations, quel que soit leur lieu d’affectation (et même si leur établissement d’affectation n’est pas encore candidat aux labels). Le « jeu », devient alors accessible à l’aide d’un identifiant et d’un mot de passe confidentiel, depuis chaque poste de travail correspondant à chacun des utilisateurs identifiés en amont. Cet outil, qui requiert au moins deux heures pour en explorer tous les aspects et s’en approprier le contenu, peut être considéré soit comme une alternative au stage « S’amuser en travaillant : un enjeu au cœur du management », soit comme un accompagnement en amont ou un complément en aval, aussi solide que ludique, pour garder en mémoire les acquis du stage. Une traçabilité du taux de réalisation ainsi qu’une validation par QCM figurent parmi les fonctionnalités de cette ressource. Ajoutons enfin que le jeu peut se révéler également un excellent support, en termes de communication interne, autour duquel peuvent s’organiser des séances d’échanges, de partages d’expériences utilisateurs… »

Je m’inquiète beaucoup en ce moment de cette aberration propre au dispositif dans lequel je suis entré il y a 4 ans, l’enseignement en école d’arts. Par exemple, je voterais bien pour que tous ces postes soient des contrats de 3 ans renouvelables une fois, et donc que chaque 6 ans on puisse découvrir comme ça une autre école, fini leurs aberrations de « territoriales » ou « nationales », et ça amènerait de l’air frais (on m’a recruté à 60 balais, et dans 1 an dehors). D’ailleurs cette rotation pourrait avec bonheur être étendue à tout le monde universitaire.

Comme on est payé pas cher (la progression des salaires se fait uniquement à l’ancienneté, voilà qui est culotté et pertinent), ça limite les dégâts, mais je trouve pas sain non plus qu’on ne bosse que 30 semaines par an. J’entends, en présence école. C’est quand même pas l’usine. D’accord, le lien avec les étudiants est permanent, les mails et les textes c’est toute l’année, mais quand même. Je trouverais nettement plus sain des contrats qui me garderaient free-lance, et pour l’école la liberté de choisir des enseignants sur des périodes ultra-déterminées et des objectifs hyper précis. Qu’on ne nous dise pas que les 22 autres semaines c’est pour la recherche et le temps personnel d’écriture : je ne suis pas fonctionnaire quand j’écris pour moi, et ce que je cherche ne tient qu’à mes hantises et mes engouffrements nocturnes d’écriture. Par contre, ce manteau d’ombre qu’on porte sur soi, service de l’État jusqu’à ce que mort s’ensuive, ça fait de rudes dégâts à ce qui tremble, la part vivante de soi.

Remarque, chaque deux jours que je passe à l’école, train + RER+ hôtel + sandwiches, je perds plus d’argent que j’en gagne. Donc le pacte salarial avec l’État, c’est que je gagne de l’argent les jours où je ne travaille pas pour compenser les jours où je travaille mais n’en gagne pas.

Et donc, de temps en temps, on reçoit des mails joyeux comme celui-ci, reçu hier avec un autre à suivre pour mot de passe et login et tout ça. J’ai remplacé l’expression du jour par le syntagme S’amuser en travaillant, il s’agissait d’un problème de société plus cruel, du genre justement à ce qu’on soit perpétuellement attentif le concernant. Indépendamment du fait que je n’ai jamais eu de « poste de travail » et encore moins d’ordinateur autre que le mien perso, comme si je pouvais bosser sans. Des gens, dépendant de mon même employeur, sont donc occupés et rémunérés (avec vos sous, c’est les impôts), à concevoir des jeux pour nous distraire sur les heures de boulot, avec un QCM à la fin. Tu vois le truc : un machin avec des cases, et tu coches la bonne.

Alors là, t’as 2 solutions : soit tu dis que vraiment ton patron il considère qu’il t’en manque une, de case. Soit tu demandes tout de suite une mutation pour être affecté au Service de la Fabrication des Jeux pour Fonctionnaires des Grands Ministères, avec QCM inclus. Un QCM sur Proust, par exemple, ou un jeu Michaux.

Là il y a projet de film qui se concrétise, et puis éventuellement résidence auteurs région, tout près d’ailleurs de mon job. Mais quand tu reçois des machins comme ça, avec insistance et redoublement, faisant de toi presque un honteux réactionnaire quant au thème abordé, si tu ne remplis pas le QCM proposé avec la douceur du petit jeu pour te distraire (sûr, ça vaut mieux que bosser avec les étudiants ou préparer ton prochain cours ou atelier), tu te dis que franchement la liberté intérieure c’est de te mettre en congé sans solde et retrouver tes chemins d’aventure. Ça et puis le reste.

Sinon, quand même ça va. Super fier du magnifique diplôme. Tout ce que vu et reçu. La façon dont ils et elles se sont dépassés. La beauté de tout ça. Les routes qui se construisent. Le partage. Les 2 images ci-dessus prises à leurs diplômes, gratitude.

Vive la DGAFP de la SCN de l’IGPDE, je dis.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 juin 2017
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