< Tiers Livre, le journal images : 2016.03.12 | dispositifs symboliques du livre (de merde)

2016.03.12 | dispositifs symboliques du livre (de merde)

une autre date au hasard :
2019.11.21 | mystères de Liège

Par exemple, pourquoi avoir ajouté, en vertical petit à gauche, le mot « culture », qui douterait de la définition du mot culture et qu’elle englobe aussi les productions molles de l’industrie culturelle ? Ou bien : au moment de faire débourser pour l’objet éditorial industriel, en quoi le mot culture rassure ?


Ensuite, tu mets surtout en avant que la principale raison d’acheter l’objet éditorial industriel, c’est que d’autres l’ont fait avant toi. Pourquoi ? Pas besoin de pourquoi, puisque justement c’est un phénomène. Mais attention : pas un phénomène (de) bof, un phénomène littéraire. Tu n’achètes pas du yaourt, tu achètes du littéraire (prononcer comme n’importe quel plouc en charge de responsabilités audiovisuelles vous dira : – Mais c’est trop littéraire, votre truc...).


Bon, là on s’incline, c’est l’argument imparable, jamais on ne jouera dans la même catégorie, cause toujours mon pote nous on s’occupe de choses sérieuses, voilà ce qu’ils disent au pauvre type qui se les gèle sur le quai de gare, méditant sur sa journée d’atelier d’écriture à venir. T’as 60 balais d’accord, mais t’as pas joué sur le bon terrain de foot...


Est-ce un roman ? Oui, puisqu’on vous le dit. C’est comme culture et littéraire, faut asséner que c’est vous-même que vous valorisez par la dépense : elle déborde l’objet qui sert de base à la transaction. Courez-vous le risque d’une manipulation intellectuelle, parce que vous achetez de la culture littéraire en roman ? Non, rassurez-vous : voyez les deux petits coeurs entrelacés, on dirait un horoscope. Est-ce que le fondateur de cette maison d’édition s’appelle Hugo comme un de mes rejetons du même nom, ou alors parce que, justement, vous avez peut-être déjà un vague souvenir lointain d’un Hugo dans la littérature ? Mystère – il ne s’est pas appelé les éditions Marcel comme moi j’aurais choisi à cause de la Recherche.


Après, revenons aux choses sérieuses : le vrai déclencheur d’achat, c’est l’appui sur le divertissement principal, donc non pas le livre mais la série télé. Ce qui a l’avantage, contrairement aux (excellentes et parfois curieuses) séries Netflix, que vous aurez à repayer pour le tome suivant. Noter l’importance accordée à la mention l’éditeur, des fois qu’on confonde. Et enracinons ça dans le présent, non pas dans la vieille artillerie littéraire : romance ça ferait bateau. Avec new romance, en bon français, c’est presque un petit fumet d’avant-garde qui vous vient. À preuve aussi la discrète pacotille iconique empruntée directement au web : les petits sigles pour se déplacer en haut en bas à gauche à droite ça marche sur papier ? Et l’immanquable #hashtag (moi sur Twitter c’est @fbon) plus page face de bouc.


Prenez soin, dans l’arrangement de 3/4 de l’objet éditorial industriel, puis des ombres rajoutées sur Photoshop, a bien valoriser d’abord l’épaisseur. Quand bien même ce serait écrit avec un générateur de texte, ce que vous dépensez c’est d’abord pour une quantité de mots, quoi que ce soit ce qu’on vous raconte c’est au poids et vous n’achetez pas de la fumée d’histoire niaise.


Montrer qu’on respecte les dispositifs symboliques de la profession. L’auteur existe-t-il je ne sais pas, mais a-a-o + n-t-d en onomastique ça le fait, et autant dans le bas de l’image vous chargez toutes vos salades, autant en haut vous venez prier à la loi éternelle du livre : le nom de l’auteur et le genre comme s’il était répertorié dans le Lagarde et Michard (d’ailleurs c’est de mieux en mieux porté à l’université, la sociologie de la narrativité à l’eau tiède).


Et maintenant balancez le tout. N’oubliez pas que tout grand livre se résume en une phrase, avec Before, il se croyait maudit c’est déjà moitié gagné, ne serait-ce que parce que vous prouvez qu’on ne s’en tient pas à la misère hexagonale mais qu’on est dans le grand melting-mot mondial. Jouez des mises en abîme de la bouche à baisers, remettez vos petits coeurs tant que vous pouvez. La seule chose rassurante, c’est que tous les zozos qui comme moi attendent sur le quai ils tournent le dos à tout ça, à preuve le mec penché sur son téléphone et l’autre main dans les poches. Ce après quoi toi aussi d’ailleurs tu as pris ton train.



François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 13 mars 2016
merci aux 845 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page