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2016.01.27 | « je reviens vers vous »

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2014.06.07 | vidéo du train qui pleure

« Qu’est-ce que tu deviens, demandai-je à Lu, l’étudiante chinoise ? – Je viens ici, elle me répond interloquée ». Oubliée la difficulté pour l’autre de la compréhension idiomatique, moi qui y accède à peu près dans ma compréhension de l’américain, mais reste incapable de la mobiliser lorsque c’est moi qui parle ou écris. « Je reviens vers vous », commence cet e-mail et combien de fois cette formule utilisée, en général à la fin d’un mail – au futur – pour annoncer que la suite ne sera pas immédiate, voire même qu’il n’y aura jamais de suite (quand on vous a proposé par exemple une intervention à l’autre bout de la France et qu’il y a chaque fois dans le mail un bien sûr : « bien sûr nous prenons en charge le voyage, le repas au restaurant universitaire et une nuitée », et que vous avez répondu en précisant les honoraires minimum du respect (respect du travail, pour le bonhomme il est passé au-delà il y a longtemps) : « je reviens vers vous » mais non, on peut effacer le mail, il n’y aura pas de suite. Ou bien qu’on est censé – au présent – se souvenir qu’il a existé une phase précédente de la conversation et qu’on va pouvoir la trouver dans ses archives e-mail. « Je reviens vers vous » suppose qu’on a cette capacité et liberté de ne pas revenir, et que ce « je » s’oriente comme une boussole à distance, sans quitter son perchoir. Querelle de clochers ? Je ne crois pas avoir jamais employé cette expression pour moi. Elle est admise dans les administrations, écoles, institutions, édition et autres bibliothèques, tout ce qui serait bien incapable de trembler sur sa base pour quelqu’un comme « vous » (ça marche peu avec le tutoiement, mais il a des contre-exemples). Ce qui est bizarre dans l’époque qu’on traverse, tant tout (oui tantôt je dis tant tout) est susceptible de bascule ou d’effondrement, qu’on a chacun des paquets de mails en retard, qu’on en redécouvre certains trois semaines plus tard en se disant qu’alors autant les effacer plutôt que s’excuser de tant de retard à répondre. On aime les correspondants qui jouent de la distance et de la proximité ensemble : « Tout va bien  ? », me demande Stéphanie C., mon éditrice à Points-Seuil, plutôt que de me dire : « Mais quoi, ces 3 jours de retard sur la date promise pour les IV de couv »… En fait, on pourrait certainement travailler plus, répondre aux mails jour par jour, et envoyer balader ceux qui disent « je reviens vers vous » (suffirait de leur dire : « oui, mais à genoux, hein ? »). On a un peu peur quand on livre un texte à l’heure et qu’on reçoit un mail annonçant : « et je reviens vers vous pour le paiement dès que ». Variation, tendons l’oreille : un mail de Montréal qui abrège en « je vous reviens » – ne chicanons pas, il s’agit du billet d’avion pour le mois de mai, et la ville se refait déjà images, visages et voix. On pourrait travailler plus et tenir ses mails à jour, mais travailler plus n’entraîne pas forcément le petit surplus de phynances qu’il vous faudrait mensuellement, et vous font sérieusement envisager et explorer en ce moment les pistes alternatives. Ce n’est plus l’âge d’or de l’édition, ni les éventuelles promesses du livre numérique, et j’ai déjà quelques traductions d’avance qui attendent marché. Alors oui, « je reviens à moi », façon la plus sûre de repousser la durée. On attend (combien de milliers d’entre nous) que l’époque dise « je reviens vers vous » mais pas sûr qu’elle en prenne le chemin. Autant s’escrimer avec ce qui nous fait plaisir, lire Paul Valet dans sa chambre d’hôtel, s’éterniser dans l’atelier d’un étudiant, brasser les projets nébuleux qui n’intéresseront que le webmaster et éditeur du site Tiers Livre, le mec est bonne pâte. Photos : ville de Québec, 27 janvier 2010.

LE CARNET DU SITE
 nouvelle vidéo : Give away des 150 000
 lu sur le web : triste du décès d’Emmanuel Darley, rêver à ses photos
 nouveau ou actualisé sur Tiers Livre : histoire générale de la vidéo en 25 exemples choisis.

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 janvier 2016
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