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2015.12.12 | du verbe regraphier

Ce matin, dans les e-mails, un courrier d’Erika Fülöp, de l’université de Lancaster. Pour découvrir son travail, voir cette conférence sur Proust compositeur, quand « écrire l’imparfait » passe par une « agressivité dans la douceur » (elle est aussi sur Facebook). Le mail d’Erika concerne quelque chose de bien bien confidentiel sur mon site, la reprise de mon 2ème livre, Limite. « Lorsque vous dites que vous avez en 2010 entamé la recopie manuelle du livre, vous voulez bien dire recopier en le tapant à la machine (ordinateur), n’est-ce pas ? », demande-t-elle. Réponse facile : « Limite a été écrit en 1985 à la machine à écrire (je n’ai eu mon premier ordinateur qu’en 1988, à ma connaissance il n’y a que Pierre Bergounioux à avoir adopté le Mac dès 1984). Lorsque j’ai voulu faire une version numérique, j’ai préféré en effet le dactylographier de nouveau plutôt que le scanner, ce qui aurait été plus rapide, mais ne m’aurait pas permis cette ré-articulation des phrases. J’ai corrigé ou supprimé des choses, mais pas tant que ça, et c’est dans le temps de cette dactylographie que me sont venues les idées pour les suppléments intercalés. » Cette version réécrite, avec les inclusions des suppléments, est disponible dans les epubs proposés aux abonnés du site. En bonne proustienne, Erika ouvre alors une parenthèse, que voici : « (Dans ce cas, je me demande aussi comment vous appelleriez le fait de le réécrire vraiment à la main, avec stylo sur papier ?) » (je la laisse, la parenthèse !) Réponse tout aussi simple de mon côté : « pour réécriture à la main j’en serais bien incapable – j’ai gardé mes vieux stylo-plumes Schaefer, mais ils sont très encrassés et desséchés ». Il y a pas loin de 15 ans que j’ai complètement renoncé à l’écriture manuscrite, elle m’est même devenue difficile (adresses d’enveloppe, formulaires). L’enjeu, pour moi, c’est comment trouver sur l’ordinateur des calepins qui permettent le jeu de notes, brouillons, plans, gribouillis et aide-mémoires, ce à quoi je parviens par une utilisation conjointe de Ulysses et de NotationalVelocity – depuis, l’app Note de Mac a bien progressé, les outils comme Evernote aussi, et mon Ulysses est synchronisé sur mon Mac et sur mon iPad, mais je me déplace toujours avec mon Macbook, et c’est quasiment mon seul outil d’écriture. Lorsque je dois noter quelque chose à l’iPhone, en fait je le tweete, liens ou phrases ou photos, c’est Instagram et Twitter qui me servent de carnets de note (tiens, aujourd’hui mon compte Instagram atteint les 1000 abonnés !). Mais si Erika a mis entre parenthèses, c’est qu’elle se doutait de la réponse, je suppose... Reste le conditionnel : « Comment vous appelleriez le fait... » Et moi, à ça je n’avais jamais pensé. Flaubert pratique ce sport à l’extrême : pour chaque chapitre de la Bovary, une ébauche recopiée le lendemain et agrandie, et ainsi de suite le surlendemain, puis plusieurs jours pour récrire la me^me version, ainsi arrive-t-on à près de 500 pages de recopie en boucle et 23 versions pour un chapitre de 18 pages comme celui des Comices – voir le travail mené sous la direction d’Yvan Leclerc madamebovary.fr. Mais qu’à ce travail de recopie différenciée on n’a jamais donné de nom. Erika me cite une expérience hongroise (son pays) : « PS. Votre geste me fait penser à celui de l’auteur hongrois Péter Esterhazy, qui a recopié vraiment à la main, en 1981-82, un roman entier de Géza Ottlik sur une seule feuille de papier, en guise d’hommage à cet auteur... Le texte dit : Le texte comme Paysage. Et là, l’endroit : où l’esprit est. Et là : on peut construire : chez-soi – le mot hongrois pour “chez-soi/foyer” comprend “là” et “patrie”. » Discussion qui s’inscrit dans le cadre d’un projet initié par Rebecca Braun et auquel participe Erika Fülöp : Authors and the world auquel je serai fier de participer, nonobstant le beau stylo-plume en repère iconique de la page d’accueil. Alors c’est la question que je me posais, espérant au passage quelques oreilles tendues : on la nomme comment, cette opération, qu’elle soit numérique ou manuelle, regraphier ? Photographie ci-dessus : Jean-Christophe Norman « recopiant » la Recherche au FRAC Franche-Comté. Comme c’est une question, et une vraie question, j’ouvre les commentaires...


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 12 décembre 2015
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