< Tiers Livre, le journal images : journal | de si Internet prend du temps

journal | de si Internet prend du temps

une autre date au hasard :
2019.12.10 | Fribourg, ville rêveuse

C’est la remarque qu’on entend le plus souvent : – Ah non je n’aurais pas le temps, ou bien : – Mais où vous prenez le temps ? Mais si on conçoit le web comme espace naturel de respiration pour le langage, là où on le fixe pour soi-même ou bien qu’on l’adresse aux autres, qu’est-ce qui change au temps ? Munch et Strindberg, parce qu’à Berlin ils se retrouvaient tous les soirs devant des bières, ou pareil Beckett et Bram Van Velde, sont-ils moins artistes pour autant ? Ah oui, mais ils buvaient de la bière, c’est la vraie vie... Je reconnais, cette socialité ébauchée avec tant d’amis devenus proches ou du premier cercle simplement parce qu’on échange sur le web, ça ne vaut pas le bistrot. Temps social et temps privé : le même Beckett, quand il laisse 3000 lettres en 5 langues, où est-ce qu’il prenait le temps ? Les écrivains qui tenaient leur journal, faut donc attendre qu’ils soient morts pour en profiter ? Oui, il y a un décalage, une différence, et probablement qu’elle est aussi lieu de risque et de danger : dans la vie quotidienne, j’anticipe cette rédaction. J’ai mon appareil-photo avec moi. Tel instant d’épiphanie, je le penserai moins comme note du carnet secret (elles existent, ces notes, sauf qu’elles sont aussi dans l’iPhone ou directement dans un coin du Mac), qu’en tant qu’élément à reprendre comme je le fais là, dans la petite impro du soir. Comme à Cergy : j’accomplis un travail d’enseignant rémunéré, la médiation web ne fait pas partie du contrat initial. Mais cet échange, là où on questionne l’autre, là où on cherche en soi-même via ce que dit l’autre, il n’est médiation de rien - est-ce qu’il ne prendrait pas la même place, le même temps, si ce temps je ne le prenais pas directement en ouvrant le petit blog lié à l’école ? Alors j’écris sur les Instagram de Woosung, je mets en ligne les notes que j’aurais de toute façon prises après discussion avec Zukhra, ou les photographies faites hier soir de cette ancienne distillerie où le soleil couchant, et le hasard d’une réservation d’hôtel mal faite, me révélait ce tag géant : j’aurais voulu être un artiste, tout simplement. Il y a plein et plein de questions. Hubert ce soir qui me disait que la différence entre photo argentique et numérique ce n’était pas tant le résultat (sur Lightroom on peut jouer avec le grain, les couleurs) que le fait d’avoir une limite précise dans la prise de vue à cause de la pellicule. Alors non, pour moi le web ce n’est pas du temps à côté ou en plus, c’est juste une répartition du même temps du lire/écrire, qui s’installe pour commencer ici dans le cahier du site. Après, c’est juste à l’ancienneté. Dites, vous le visitez un peu, ce site cergyland où la seule vraie question, au fond, n’est pas du tout celle du web, mais celle précisément du travail : lorsque le travail en question c’est ce qui concerne l’écriture et la littérature, à quel moment cette explication qu’on met entre soi et l’autre justement par le web en fait partie, du travail même, en est sa respiration propre ? Je n’ai pas la réponse, mais je sais bien que la seule question est là. Photo ci-dessus : gare RER Cergy Saint-Christophe, sur « l’Axe majeur », depuis le bus 45, ce matin.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 10 avril 2014
merci aux 540 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page