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2012.01.05 | de la pub prédictive et moi pas

Le livre se raidit et tombe, la presse papier a de l’avance sur ce terrain-là, ce sont des mutations graves parce que liées aussi à des enjeux de démocratie, de transmission et de création, même si tous ces terrains se sont déjà en partie reconstitués ailleurs, et quand c’est la pub qui s’effrite qui s’en plaindrait, on en est saturé, soûlé – difficile de comprendre tous ces sites qui ne comprennent pas qu’ils bousillent tout leur contenu avec ces pavés ineptes, qui gâchent tout leur espace graphique, au mépris d’ailleurs de qui vient les lire. Alors d’accord on peut commencer par aller dans « Préférences », puis « Vie privée », puis « supprimer les cookies », ou rajouter sur son Firefox des plugins comme AdBlock qui mettront des trous blancs au lieu des pavés de pub mais dans le principe ça ne porte pas atteinte au parasitisme.

Dans ce qui naît côté industrie de la recommandation, la constitution du web en bassins de big data change la donne pas seulement quantitativement mais qualitativement – et c’est assez fascinant de voir l’ancien monde du livre totalement incapable de changer mentalement de paradigme, même confronté à sa propre érosion.

Passionnant, par contre, de discuter avec des nouveaux arrivants comme Soundytics... Des tas de questions juridiques qui lèvent : une enseigne de magasins de vêtement qui change sa musique d’ambiance selon la reconnaissance automatisée des visages, tranche d’âge, encombrement du magasin, est-ce qu’elle s’occupe aussi de l’indice de réfraction de la peau, non non, juste densité technique dans le blanc/noir... C’est si différent de Kobo ou Kindle traitant en direct votre avancée dans le livre numérique acheté, et quelle page vous avez surlignée ?

Bon, le droit plus ça va moins on lui accorde d’intérêt, il semble paumé dans toutes les grandes questions qui bougent, mais nos usages s’établissent là où il ne les encadre plus : les machins #ReLIRE ou obsolescence des droits d’auteur ça ne m’intéresse plus dès lors que je m’occupe de mon site web et de rien d’autre à côté, passé beaucoup de temps là-dedans ces 5 ans c’était vraiment gâcher je sais même plus mes riffs Chuck Berry à la gratte. Mais questions qui imposent de ne pas rester à côté s’il s’agit de main-mise politique ou économique de ces recommandations, de normalisation esthétique, de remparts à la curiosité transgressive que nous avons sans cesse à éduquer.

Ceux qui suivent ça d’un peu près – par exemple les recommandations que vous envoient Amazon tous les matins, jusqu’à être capable une fois par mois de vous recommander votre propre livre, ou la façon dont, de mois en mois, Spotify vous encercle de choses déjà entendues ou analogiquement proches de ce que vous avez déjà écouté (donc une pratique de cocon alors qu’on rémunère précisément leur service pour mise en dispo de l’imprévu), savent combien on est dans un terrain de haut risque. En même temps qu’il nous autorise paradoxalement, parce que nous avons nos propres objets de création chez Amazon ou Spotify, à placer au coeur de la vague notre propre et minuscule trou de données singulier et portant en lui des pistes d’échappée. Mais on doit aussi éduquer notre vigilance à des formes d’algorithmes et d’outils qui jusqu’ici étaient en dehors de notre territoire.

On le voit bien là où ça barbote. Par exemple, si Soundytics est génial, et qu’Amazon et Spotify ont des armées d’ingés sur ces problèmes, la Fnac ou Facebook n’en sont pas encore là.

Facebook dispose de mon âge : quand j’ai eu mes 60 balais, en mai dernier (ô le bel âge pour devenir prof stagiaire débutant), j’ai eu droit à ma carte SNCF Senior Plus, mais mon contexte Facebook a changé quasi du jour au lendemain. Là ce soir c’est : vos soins dentaires en Hongrie avec 50% d’économie, soignez votre arthrose, et une très belle chaîne de maisons de retraites avec faux arbres en pot et chaises-longues sous ciel bleu, qu’on peut commencer à payer tout de suite pour s’y réserver une place bientôt. Hier c’était même carrément une proposition d’épargne funéraire anticipée. Je préférerais payer Twitter (grâce à Echofon Pro je n’ai pas de pub sur ma timeline) et Facebook au mois pour un service sans pub, mais ça n’intéresse pas leurs marketeurs -– au point qu’une intelligence comme celle de Marc mont-de-sucre Zuckerbeg on se dit qu’à me conseiller des maisons de retraite et des funérariums parce que j’entre dans la tranche des plus 60, c’est plutôt de la sale tronche de ses annonceurs qu’il se moque, en leur faisant croire que c’est de ce genre de conseil que j’ai besoin. S’en fiche que je clique, mais s’en fiche de me polluer, et de toute façon la monnaie c’est pour lui pas pour moi.

Sur le ciblage personnalisé et la pub comportementale creusant sa tombe en même temps qu’elle soigne la nôtre, lire l’indispensable Hubert Guillaud dans Internet’Actu.

Pour la Fnac et toutes ses sous-filiales depuis que le livre n’est plus chez eux qu’un petit machin près des cafetières, c’est encore plus caricatural parce que les ingés porte d’Ivry doivent se compter sur les doigts d’une main et encore. Donc, en juin dernier, pour le projet Fos, je passe enfin au Reflex numérique, je m’achète un modèle Canon de base, le 700D, petit capteur APS-C. J’aurais dû faire ça bien plus tôt, mais le respect pour mes potes photographes faisait que je ne m’en croyais pas capable. Aujourd’hui, je rêverais même de m’équiper d’un truc un peu plus pro, de même que mon ordi est un outil pro. Surtout, faut comprendre comment ça marche, les corrections à l’intérieur d’un objectif, les moteurs à ultra-son, les grands angles à retournement... Alors tu fais quelques pointages chez Tamron, Sigma et les autres. Juste par besoin de savoir, parce que là si j’ai pas une thune pour acheter ce genre de truc je vous dis pas.

Et ça suffit : depuis 4 ou 5 jours, sur n’importe quel site que j’aille, le Monde ou les autres journaux, Facebook évidemment aussi, et même les trucs amerloques, je suis poursuivi par Miss Numérique et les pavés de la Fnac : en bannière de toutes mes pages web, et en vertical sur les bords, des kilomètres, des cimetières d’objectifs Tamron, Sigma, Sony ou Nikon plus rien que ça. Quoi que tu regardes, même Radio France qui n’a pourtant pas besoin de ces miettes de sous ? Les cookies sont une respiration nécessaire de l’interaction web, c’est leur détournement marchant qui m’insupporte.

Sûr de sûr, si un jour je m’achète un biniou de ce genre-là (si les temps deviennent meilleurs, mais on n’ose même plus se dire une phrase comme ça tant le politique est pauvre), ce sera évidemment chez B&H 34e rue, et pas chez Fnac ni chez Miss Numérique.

Vous nous emmerdez, avec vos publicités jusque dans ce qu’on a de meilleur pour voir et dire le monde : notre écran. Photo ci-dessus : souk de Marrakech, 9 décembre 2013 et ci-dessous Radio France en pleine démo d’intelligence prédictive.

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 janvier 2014
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