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journal | de photographier les gens

C’est encore venu l’autre jour à Montpellier : de pourquoi il y a si rarement des photos de gens dans cette rubrique ici. Évidemment, la première réponse c’est que je ne sais pas les faire : je vois bien chez ceux qui savent, et j’essaye d’apprendre. Mais c’est indiscret, sauf lorsque c’est dans lecture ou colloque et que j’ai le droit. J’aime pas trop moi non plus, sinon lorsque condition publique explicite, qu’on me mette un appareil photo sous le nez. Mais après c’est plus compliqué : les photographes que j’aime, eux, ce sont les visages qu’ils photographient. J’ai toujours rêvé que j’aurais eu le don du dessin et de croquer en trois traits des profils. Donc je sors mon appareil, maintenant que j’en ai un, plutôt sur les murs, les géométries, les parcours, les dos qu’on aperçoit au loin. Je crois que pour moi c’est plus un bloc-notes, ou directement une fonction récit : je ne fais pas une photo, mais une suite d’images qui racontent, donc sans sortir de mon territoire. Seulement, à l’évidence, photographier une pièce vide ou une rue vide c’est à la fois un portrait et un auto-portrait, je pensais ce matin dans cette rue en pente remontant vers la gare, pour repartir de Saint-Brieuc. Et quand je reprends cette photo floue, mais pour laquelle je ne tolèrerais pas qu’on identifie ni le conducteur ni les trois enfants sur la Mobylette, c’est bien l’enjeu : mes propres enfants on les entassait sur la banquette arrière (je me souviens même qu’ils avaient un tour de rôle autogéré pour la place passager) de la bagnole pour les emmener à l’école. Ce qui m’a poussé à la photo, ce n’est pas qu’à Marrakech, à l’heure de l’école, les Mob servent de véhicule familial, non, ou qu’on se passe bien du casque obligatoire de nos sociétés surprotégées – c’était bien le souvenir nu et exposé, sensible, des propres souvenirs de trajet d’école que je traîne encore, même à cette distance de temps, comme du souvenir du moment où j’ai moi-même pris cette fonction de celui qui emmène... Si ce n’était pas aussi compliqué que l’écriture, la photo, on ne s’y intéresserait pas comme ça.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 décembre 2013
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