Parpaing 2 : COUPER

A deux dans le jardin ils travaillent commencent dès le matin balayer la terrasse les feuilles tombées pendant la nuit ou apportées par le mistral et les gouttes qui tombent du tilleul comme des gouttes de sucre sur le carrelage nouvellement posé rosé et ça finira en taches noires si on ne s’en occupe pas balayer frotter nettoyer COUPER la pelouse les mauvaises herbes les arracher trier nourrir arroser engrais round up qu’importe si c’est toxique on n’a pas trop le choix à cause de la prêle vigilance et grands moyens difficile de s’en débarrasser c’est une plante ancestrale avec une racine longue qui plonge verticalement dans le sol pas besoin de ramification elle se coupe avant d’être délogée jamais on n’attrape assez COUPER surveiller replanter un gazon plus épais de meilleure qualité le même que celui des terrains de golf dru touffu résistant plus assez beau l’ancien mité de mauvaises herbes elles avaient gagné alors retourner la terre pour semer à nouveau COUPER les haies rabattre tronçonner le palmier phœnix atteint par la maladie ne pas assister à son agonie la faute du charançon COUPER être sur le pied de guerre un jardin impeccable tiré au cordeau on n’a que ça à faire le temps à la retraite on en a à revendre le jardin est complice il leur en prend sans compter il leur prend tout leur temps à travailler à deux dans le jardin COUPER en 2 mois maladie opération mort en 2 mois enterré il avait une très bonne forme physique pour son âge 70 ans une bonne génétique aussi des parents morts presque centenaires pourtant et c’est déjà fini COUPER elle seule à travailler au jardin plus le cœur plus l’envie elle vend la maison très bien une femme seule plus jeune à peine comment va-t-elle faire maison et jardin impeccablement entretenus à cause de ça peut-être séduite COUPER les voisins à peine le temps de dire au revoir elle part et c’est tristesse c’étaient voisins et amis et toujours travaillant mais toujours invitant tous ceux habitant autour de leur jardin rendant service aussi tant et tant COUPER lui mort elle partie COUPER la nouvelle pas trop le cœur à l’accueillir et elle pas bonjour pas bonsoir COUPER toute menue dans un bleu de travail perdue et sa tondeuse au bruit de Boeing qui atterrit et elle pousse et elle tond les quelques brins de méchant gazon plus du tout entretenu l’arrosage automatique en panne jamais fait réparer COUPER première année en hiver tailler le mûrier platane elle commence mais le travail est stoppé et des baguettes tendues vers le ciel qui restent en place à implorer dieu sait quoi quand les autres branches tout autour accessibles ont été taillées COUPER ni fait ni à faire COUPER débarque d’un grand camion une équipe tôt un matin d’hiver et le ciel est bleu pourtant et cinq hommes au travail et ça avance vite et tout va y passer COUPER en premier le vieux cerisier aux fruits si foncés et juteux que les mains d’avant et leurs doigts aussi teintés couleur aubergine des kilos de confiture tous les jours du mois de juin à offrir au voisins COUPER puis le mûrier platane qui ombrageait bien maintenant après les dix ans qu’il avait été planté les tablées de voisins pour les apéritifs et les invitations COUPER le tilleul est passé en dernier le tilleul qu’on avait préservé malgré ses taches collantes qu’il faisait mais son feuillage délicat et le bruit du vent qui jouait dedans COUPER le dernier planté premier à y passer jeune abricotier qui avait donné 5 fruits si rosés dans l’oranger de la peau regarde et juteux avec ça et fierté d’en faire goûter un si pends-le et tant pis s’il ne leur en resterait que 4 COUPER et c’était comme si on rajoutait du malheur au malheur ce massacre à la tronçonneuse en une seule matinée c’était fait COUPER c’était net et plus de feuilles traînant en automne et plus rien en hauteur qui dépasse et on pensait sans le dire en été ici sans plus d’ombre du tout elle va mourir de chaud la parisienne  et ça consolait on se console comme on peut quand on est malheureux COUPER pas bonjour pas bonsoir les contacts elle n’en cherchait pas et ça arrangeait COUPER pas le cœur de copiner d’accueillir choqués par ce deuil tristes de ce départ COUPER ce n’est que bien plus tard qu’on a appris pour son cancer à la nouvelle voisine COUPER du sein.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces : https://annedejardin.com. Né ici à partir du cycle«Photographies». Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Voir aussi sur Youtube.

11 commentaires à propos de “Parpaing 2 : COUPER”

  1. j’aime bien : il y a une histoire, des verbes, il se passe des choses, un début, un milieu et une fin. Je suis très traditionnelle et j’aime bien qu’on me raconte des histoire

    • Très sympa votre retour et si juste. Un grand merci. Oui, un peu traditionnel pour l’exercice mais j’ai pensé que ça pouvait aussi s’appliquer à une histoire compréhensible. Merci

    • Peut-être moi aussi j’aime les histoires et là, effectivement, nous en avons une. Ce qui est drôle, c’est que j’ai failli prendre ce même verbe COUPER et puis j’ai finalement choisi l’ambigüité de BOIS mais nous restons bien au départ dans une idée végétale même si la suite se décale. J’aime bien ce texte, on y voit des gestes, une scène, une récitation, histoire citée et re-citée parmi tous les autres de cet atelier.

  2. pas si traditionnel j’y vois des tas de métaphore jardin vie et l’essentiel, Quelle chute. Comme ça se répand. Et jm beaucoup la bio. M’y retrouve pas mal. Bon atelier jardin.

  3. Confirme la sympathie (comme l’encre !) éprouvée à la lecture du 1er texte. Moi aussi j’aime les histoires. et il y a quelque chose de très tranchant dans votre écriture, donc, tout est raccord…

  4. Rétroliens : proposition #02 | un parpaing de phrase – Tiers Livre, les ateliers en ligne

  5. Presque cinématographiques ces images qui défilent, coupées, ces vies qui défilent, ces corps coupés… Très beau !

  6. Merci de votre lecture et vision, Laurence.
    C’est étrange de recevoir vos retours… Il va falloir que je rajoute un bloc à mon texte « A vous lire ici… » à propos des commentaires reçus.
    Merci

  7. On part sur quelque chose de l’ordre de la simplicité, de la sobriété, d’un geste lié à la nature pour arriver à la mort, au départ sous différentes formes, à la solitude alors qu’autour il y a le monde, la vie qui pousse, qui grandit, qui gronde. Et les souvenirs qui remontent de ces arbres. C’est fort. Bravo !