HEURT contre la jambe capricieusement sensible d’une bouteille d’huile au fond du sac balancé à bout de bras au rythme de ma marche déstabilisée par l’appui sur une canne HEURT du sourire humide d’un enfant que l’on gronde HEURT de l’extrémité d’une branche contre un volet clos en léger décalage avec le chant du vent courant dans le fil de la rue au fond de la place HEURT d’une injure lancée on ne sait vers qui ni par qui dans l’animation d’un marché HEURT de tes doigts sur la peau d’une caisse HEURT des balais HEURT de l’entrée brusquement triomphale d’une trompette HEURT de ce regard méprisant sous lequel je me recroqueville me rassemble trouve force d’un sourire sans agressivité HEURT du contre-heurt grimaçant HEURT de ma volonté ou mes désirs rencontrant le réel le monde HEURT de mes paumes sur le sol qui enfonce des cailloux dans ma chair parce que n’ai pas assez freinée ma descente en ces temps où debout dans le pré j’étais capable de me courber en arrière pour faire le pont HEURT de ma fierté blessée puisque les adultes ne me regardaient pas ou plutôt ne me voyaient pas HEURT de constater que j’avais tort de quémander HEURT de dizaine ou centaine de mains qui applaudissent HEURT de rires moqueurs même s’ils ne me sont adressés HEURT de deux mains qui se disent fier accord HEURT suspendu de la chute d’un corps redoutée et attendue HEURT un jour adolescent de me dire j’appartiens à ce monde et cette famille HEURT d’en être fière et souvent désolée HEURT que l’idée que c’est ainsi pour tous ne soigne pas HEURT de mots HEURT d’idées qui s’entrechoquent en cherchant le point de dialogue possible HEURT de sourires et mots étrangers HEURT sur la ligne ou dans la voix de ce H dressé comme homme fier pour introduire en lui donnant force et peut-être sens la syllabe neutre un peu rugueuse désespérément mate qui le suit HEURT des malheurs qui surviennent dans un jour d’ennui souriant ou de bonheur radieux HEURT des coups qui s’abattent et s’acharnent HEURT des yeux durs et de la bouche tordue crachant des mots en réponse à la tendresse naïve HEURT des voix qui annoncent platement le matin le malheur du monde HEURT des raisonnements rebattus et dont la fausseté avec le temps est consacrée HEURT que l’on voudrait être capable d’opposer à un enlisement sirupeux à un discours séduisant et si visiblement faux que c’en est injure HEURT de se dire que la violence pourrait être salubre HEURT de constater en regardant le monde que ce n’est jamais vrai même contre la violence alors garder le HEURT de la branche sur la vitre au matin le HEURT d’un sourire qui monte dans les yeux pour un accueil le HEURT de la découverte d’une nouvelle minuscule main recroquevillée sur l’avant-vie le HEURT d’une belle nouvelle le HEURT d’une amitié inattendue sur laquelle on ne s’interroge pas.
(publié le 2 juillet 2019)
image © Brigitte Célérier – Avignon
HEURT qui se transforme en bonheur de lecture…
Françoise, trop gentille une fois encore
j’aillais justement chez toi (et puis j’arrête suis hs ce soir… dans une heure on verra)
Un parpaing de phrase heurté d’où s’échappent des fêlures nos fragilités.
« HEURT du contre-heurt grimaçant » c’est très beau. Le reste aussi. J’aime beaucoup.
Heurts dirais-je. Mais qui de phrases en phrases donnent des contours au monde, comme un sculpteur.
Quand tout nous heurte, même le bon finalement. Mais il y a comme une résolution comme dans le rosaire de Francis Jammes, le monde entier contenu dans ce heurt, vos riches heurts… je finis par avoir l’impression de vous connaitre, marchant avec votre cabas dans l’aventure de la vie chaque jour renouvelé…
Très beau Heurt que vous nous proposez. Cri que vous avez eu la bonne idée de porter, le faisant avec efficacité. Les mots qu’il faut pour ce choix.
C’est l’HEURT que je préfère : HEURT de l’extrémité d’une branche contre un volet clos en léger décalage avec le chant du vent courant dans le fil de la rue au fond de la place…
Les heurts auxquels on se raccroche, touchée par cette oscillation. Merci !
et grand merci à vous tous (d’autant que honte à moi vous lis peu pour le moment et encore moins dans le futur proche… pardon demandé)
pardon accordé – mais attention encore et joies et bonheurs de théâtre de lecture de morue pommes de terre – que l’été vous soit beau chaleureux tendre (sans trop de heurts, sinon les derniers,là)
« le HEURT de la branche sur la vitre au matin le HEURT d’un sourire qui monte dans les yeux pour un accueil » on garde précieusement et on navigue dans tous ces heurts que tu sais défier, absorber contrer ou attraper
J’en veux plus. J’en prends un livre au complet de HEURTS. Et ce début, ce début parfait, celui qu’on espère toujours un peu quand on commence à lire, car voix singulière et image poétique « HEURT contre la jambe capricieusement sensible d’une bouteille d’huile au fond du sac balancé à bout de bras au rythme de ma marche déstabilisée par l’appui sur une canne »
se sentir chaloupé entre tous ces HEURT renvoyé de l’un à l’autre avec certains que l’on connait bien…
Cette façon que tu as de porter attention au quotidien et de déambuler (comme chaque matin) dans la VIE, la tienne et celle des autres avec une telle force d’évocation en peu de mots… on continue alors ?😉
que vous êtes gentils (tiens ça a même amadoué ma souris)
Merci, c’est très beau!
Touchée par la sensibilité profonde de ces « HEURT » qui absorbent l’indicible ou le moitié-dit, le demi-dit. Merci !
De bon heurt en mal heurt, tout le talent de Brigitte Célérier… Bravo !