CONTRE

Tu t’appuies pour éloigner la peur, tressaillement de sang, sa peau, battre à l’unisson de sa peau, elle qui est limites de toi tu te poses, tu confonds vos pouls, présence et solitude emmêlées, en ce point d’appui où ça cogne, tu te redresses, ses muscles moulus, sortir des morsures de l’enfance, tu pousses, au frottement de ton corps, ses os et tu connais la densité, quitter le sol, te séparer des débuts, tu sais la gravité terre sous toi, sol nudité, longtemps tu te tiens, sa lèvre qui dit ton prénom, ses lèvres sur toi tracent les lignes où te penser, les verticales du vide que ça laisse d’être deux, deux ou plus, ou seule, ciel et abîmes de nuages, orteils à agripper l’air, tu te relèves, sa voix, tu t’écris, ses cils et leurs récits, les bordures de son amour, inconditionnel amour de mère, ce point d’elle qui te relie au monde et t’en sépare, horizons longtemps sans écho, te presser elle, tu te retires, ses secrets et l’oubli où tu te pends, bruissement de ses cheveux quand elle bouge quand ça te frôle te chatouille, tu vis ses attentes et les confidences venteuses quand elle dit malgré elle, te soude toute décence à la misère de ses doigts que le quotidien fatigue, la douceur de ses doigts qui clament souffle, tu te reconnais dans ses gestes minimes, elle et tu es contours, tu balbuties le sommeil de sa bouche, trembles ses paradoxes, les reflets de cette haute qui chute, la cécité de son amour et l’éternité bafouée par le dépit des hommes, tu te perds, ses jambes de mère quand les adultes t’abordent, grands, et d’incompréhensibles sourires, te soustraire à ta honte de gamine, les odeurs de ses cuisses, son corps est ton précoce pays, l’absurdité de tout signe vu de ta hauteur d’enfant, ça nomme drame et émerveillement, tu esquives, pivotes sur ses insomnies, le cri qu’elle retient, mais tu connais l’incrédulité des murmures, ses confidences, douleur de femme, tu romps et vacilles, ce lieu de toi qui palpitera toujours elle, tu grandis dans ses souliers de femme, sa surdité, tu te projettes comme on dénonce, absolu qui s’oppose, puissance te consume, une vie, une vie de sottes revanches, debout, tu quittes la fixité de la terre sur toi, tu abandonnes ta peau maniable, deviens pierre dans la nuit, le silex de ses mots, tu prends volume en t’érigeant, il te faut cette matière pour échapper à l’aléa, tu t’armes masse, point de tout lien, t’opposes aux origines, vivre leurs symboles, ingénues images d’antan, le tout du réel, volte-face et poing fermé sur l’oubli, mais toujours rallier la vie de ta mère, ses jambes qui se traînent à présent, les relents de ses soupirs fatigués, sa lenteur qui défait le temps, tu es restée à terre, forme ouverte. Séparée.

A propos de Gracia Bejjani

Gracia Bejjani est née à Beyrouth. Elle a quitté son pays à vingt ans, elle a fugué, n’a jamais quitté. Elle dit : « J’écris, je filme, photographie. J’écris ». Elle est auteur du recueil J’ai appris à parler sur tes lèvres (La Kainfristanaise). Ses textes sont publiés par de nombreuses revues comme la NRF Gallimard, l’anthologie 2024 du Printemps des poètes (Castor Astral), Décharge, Wam, Lettres d’hivernage, Radicale… et en ligne par le Courrier International, Plume Francophone, Hors-Sol, Poema… Elle a été programmée au Festival Extra Litteratube à Beaubourg, à la Maison de la Poésie de Paris et au Festival international de Poésie de Roulers (Belgique). Elle tient également une chronique dans la rubrique « culture » d’Ici Beyrouth. Sa chaîne YouTube, régulièrement alimentée par de nouvelles créations, regroupe à ce jour près de sept cents vidéos-poèmes. – Site : https://graciabejjani.fr/ – Chaîne : https://www.youtube.com/c/graciabejjani

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